Sous ses airs de jeune premier bien sous tous rapports, Matt Gaetz est l'un des représentants les plus machiavéliques et les plus extrêmes de la Chambre. Le «pire parmi les pires», tranche Vanity Fair. «L'un des législateurs d'Etat les plus courageux ou les plus épouvantables du pays», résume Slate. Pour Mother Jones, nous avons affaire, je cite, au «membre le plus méchant du Congrès». Vous voyez le tableau.
C'est ce curieux spécimen de 42 ans au sourire carnassier et à la passion pour les costumes bien coupés que Donald Trump a nommé au poste de procureur général des Etats-Unis, ce mercredi. Sans doute son choix de collaborateur le plus inattendu et décrié jusqu'à présent. Le président élu n'a pourtant pas cessé de nous surprendre, entre un «lanceur de hache» comme secrétaire et à la Défense et une «trumpiste au lance-flammes» à la Sécurité intérieure.
Il faut dire que non seulement Matt Gaetz n’a jamais oeuvré comme procureur (après avoir obtenu son diplôme en droit, il a officié au sein d'un cabinet d'avocats en Floride et vu sa licence brièvement révoquée en 2021 pour frais impayés), mais sa réputation de fauteur de troubles le précède.
Au fil des années et des tweets enflammés, l'avocat s'est forgé une réputation de pugnacité. Ses saillies et ses coups d'éclat n'ont épargné personne. De la modeste bénéficiaire de bons d'alimentation au collègue de parti, Kevin McCarthy, dont la consécration annoncée comme speaker de la Chambre s'est transformée en séance d'humiliation publique, l'an dernier.
Un sens du tapage médiatique que l'élu républicain partage avec son père spirituel, Donald Trump. Son modèle. Lorsque Trump qualifie Haïti de pays «de merde» en janvier 2018, son élève rapplique pour renchérir qu'Haïti est «déplorable», plein de «tôles et d'ordures». Les deux hommes partagent plus que leur goût pour chambrer les démocrates et leurs interventions intempestives sur Fox News.
Pour beaucoup, sa nomination au poste de procureur général, ce mercredi, n'a aucune justification concevable. Si ce n'est, peut-être, qu'il «faut une marionnette», comme le glisse l'un des anciens avocats de Trump à la Maison-Blanche à Politico. Le loyal représentant de Floride a largement démontré qu'il se plierait aux quatre volontés de son idole.
La promesse d'un soutien indéfectible qui rend les employés du ministère de la Justice un poil nerveux - et à raison. Donald Trump a réitéré à plusieurs reprises son intention de poursuivre au cours de la campagne électorale de poursuivre ses opposants politiques. Matt Gaetz est le pantin tout désigné pour mettre en œuvre cette vengeance annoncée.
L'ascension politique de Matt Gaetz ne doit pas tout à Donald Trump. Elle aussi été alimentée en partie par la fortune paternelle, qui lui a ouvert la voie grâce à une série de «manœuvres financières peu orthodoxes». Originaire de Niceville, enclave endormie de 15 000 habitants, nichée dans une baie au nord-ouest de Floride, Gaetz grandit dans une communauté presque exclusivement blanche de la classe moyenne, connue pour son festival consacré au «Boggy Bayou Mullet» - le poisson local. Les Gaetz passent leur temps libre dans la résidence secondaire de Seaside. Plus précisément, dans la maison même du tournage de The Truman Show.
today i learned matt gaetz grew up in the house used as truman's home in the truman show!!! his parents still live there!! pic.twitter.com/0DmkXaSfoV
— David Mack (@davidmackau) June 18, 2020
Petit-fils de maire, fils d'un éminent sénateur républicain, cet avocat diplômé de l'université de Floride a la politique dans le sang. En 2010, il se lance dans l'arène. Et ce sera pas pour faire dans la demi-mesure. Issu du «Freedom Caucus», groupe ultra-conservateur de la Chambre, dont certains membres ont épaulé Trump dans ses efforts pour tenter de renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020, Matt Gaetz n'a eu guère de scrupules à brailler son soutien au groupe des Proud Boys - avant de finir par se rétracter.
S'il part en croisade contre les soins abordables et le droit à l'avortement, ce membre à vie de la NRA, qualifié comme «l'un des plus pro-guns à avoir jamais servi à l'Assemblée législative de Floride», défend avec ferveur le port ouvert des armes à feu. Le projet de loi dont il est le plus fier? L'accélération des procédures dans les couloirs de la mort, pour que les exécutions aient lieu plus rapidement. Un texte grâce auquel la Floride a pu exécuter sept condamnés en 2013 - le deuxième total annuel le plus élevé de l'histoire de l'Etat.
Si le républicain compte l'«immigration illégale» et les «terroristes musulmans» parmi ses principales préoccupations, oubliez la défense de l'environnement. Climatosceptique, il est opposé à l'Environmental Protection Agency (EPA), dont il propose l'abolition. Il restera également gravé dans l'histoire des Etats-Unis comme le seul élu du Congrès à s'opposer à une loi prévoyant de donner plus de moyens au gouvernement fédéral, pour combattre le trafic d'êtres humains.
Il y a finalement qu'une chose que Gaetz préférerait garder pour lui: sa vie personnelle et amoureuse. Et on le comprend. Son parcours étant jalonné de quelques épisodes peu glorieux. En 2017, il est d'abord épinglé par le Miami Herald pour avoir mis au point un «jeu» avec un groupe de jeunes élus masculins pour noter leurs «conquêtes féminines», parmi lesquelles stagiaires et collaboratrices, avec un système de points. Quelques années plus tard, c'est ABC News qui révèle «photos et vidéos de femmes nues avec lesquelles il aurait couché», exhibées par à ses collègues, alors qu'il est déjà membre du Congrès.
Ce n'est presque rien face au scandale mis au jour en mars 2020 par le New York Times. Matt Gaetz est alors soupçonné d'avoir entretenu une relation sexuelle avec une mineure contre de l'argent. Une enquête clôturée par le ministère de la Justice, sans qu'il ne porte plainte contre l'intéressé pour trafic sexuel. Récupéré par le comité d'éthique de la Chambre, celui-ci a dû abandonner les investigations lorsque le trublion a posé sa démission - dans la foulée de l'annonce de sa nomination par Donald Trump au poste de procureur général.
Il n’est pas encore totalement certain que le truculent congressman obtienne les voix nécessaires pour accéder réellement à la fonction. Si les républicains disposent désormais de 53 sièges sur les 100 membres du Sénat, de nombreux membres du parti contactés mercredi par l'agence de presse dpa ont évité de se prononcer sur un éventuel soutien à Matt Gaetz.
Une chose est sûre. L'élu le plus sournois du Congrès n'a pas fini de semer le chaos. Où qu'il soit.