En 1987, alors qu'il est surtout célèbre comme entrepreneur, Donald Trump publie son célèbre ouvrage: The Art of the Deal, un enseignement sur l'art subtil de réussir dans les affaires. Près de quarante ans plus tard, l'ancien président est également passé maître dans l'art de détruire les deals politiques – avec des conséquences potentiellement dramatiques non seulement pour son propre pays, mais aussi pour le Proche-Orient, l'Ukraine, l'Europe. Et le monde entier.
Alors que démocrates et républicains négocient depuis des semaines un compromis qui aurait pu être historique, le projet de loi minutieusement élaboré s'apprête, selon toute probabilité, à échouer ce mercredi à Washington. Au coeur des discussions: l'aide militaire à l'Ukraine réclamée depuis des mois par Joe Biden.
Les républicains ont été surpris par la bonne volonté des démocrates, qui ont concédé à plus d'exigences qu'ils ne l'imaginaient. Pour aboutir enfin à un accord et fournir des financements urgents aux Ukrainiens, après des semaines d'interruption, Joe Biden était prêt à injecter d'importantes sommes d'argent dans la sécurité des frontières avec le Mexique sans même s'attarder sur les demandes habituelles – comme l'amélioration des conditions de vie des enfants d'immigrés illégaux nés aux Etats-Unis, les «Dreamers».
Un tel accord bipartisan aurait non seulement permis de sécuriser la frontière sud avec le Mexique, il aurait surtout permis de poursuivre l'aide financière à l'Ukraine, essentielle à sa survie. Le soutien à Israël contre les terroristes du Hamas et l'aide humanitaire aux Palestiniens auraient également été relancés.
Et puis, tout s'est arrêté. Même le puissant leader de la minorité au Sénat, Mitch McConnell, pour qui l'aide à l'Ukraine est une véritable préoccupation dans la lutte contre la Russie, a capitulé devant l'homme qui, en coulisses, n'a jamais cessé de tirer les ficelles du parti: Donald Trump.
Paradoxal, de la part d'un individu qui ne détient actuellement aucun pouvoir formel en tant qu'homme politique. Donald Trump n'est ni député, ni sénateur, ni président. Il n'est même pas encore le candidat officiel de son parti. Mais son influence est telle, à dix mois des élections présidentielles, qu'il est en mesure de manipuler la législation américaine dans son sens.
Ce pouvoir informel, Donald Trump le tient notamment au fait qu'il peut mettre fin à la carrière des députés et des sénateurs en un claquement de doigts. Ceux qui ne se soumettent pas à ses idées courent toujours le risque de ne pas être réélus lors des prochaines élections ou de ne pas être pris en compte lors d'une attribution de poste ultérieure. L'ancien président conserve une influence si absolue et irréfutable sur la base du parti qu'elle peut, sur son ordre, saboter ses adversaires déclarés et les remplacer par des trumpistes loyaux.
Trois raisons expliquent le blocage total de Donald Trump à ce projet de loi. Tout d'abord, il n'est tout simplement pas dans son intérêt de se débarrasser d'un thème décisif de la campagne électorale, en réglant la crise à la frontière mexicaine. Deuxièmement, cela fait longtemps que le milliardaire entend empêcher l'octroi d'aides financières urgentes à l'Ukraine, en vertu de sa maxime et celle de son mouvement MAGA, selon laquelle les Ukrainiens vivant dans une Europe lointaine ne devraient pas profiter de l'argent du contribuable américain.
A ces deux points s'ajoutent, enfin, les motivations très personnelles de Donald Trump: à l'automne de l'année dernière déjà, l'ancien président admettait volontiers qu'un blocage du budget serait aussi sa dernière chance d'éviter les «persécutions politiques» contre lui et «d'autres patriotes».
Voilà pourquoi Donald Trump fait pression depuis des mois sur les députés et sénateurs républicains, à coup d'appels téléphoniques et de déclarations publiques grandiloquentes.
A l'en croire, les «démocrates d'extrême gauche» chercheraient ainsi, avant les élections, à faire porter aux républicains la responsabilité de leurs propres manquements en matière de politique migratoire.
Au sein même du Grand Old Party (GOP), la pression sur le vieux Mitch McConnell est telle depuis les dernières heures qu'il a recommandé à son groupe de rejeter purement et simplement le projet de loi. Ainsi, les républicains feront probablement échouer le paquet au Sénat, votant contre le financement de milliers de nouveaux gardes-frontières et d'une centaine de nouveaux juges en matière d'asile. Une majorité de 60 sénateurs contre 40 serait nécessaire dans cette chambre. Les démocrates disposent d'une majorité maximale de 51 contre 49.
Une très mauvaise nouvelle pour le pays qui subit de plein fouet une crise migratoire, mais aussi pour ses alliés européens et ukrainiens. D'ici à l'élection présidentielle, dans dix mois, le soutien des Etats-Unis dans l'alliance contre la Russie pourrait faire défaut.
L'administration Biden ne peut désormais plus accorder d'aides financières ni livrer d'armes à l'Ukraine. Du moins pas directement. Si l'Ukraine veut poursuivre sa lutte défensive, l'Europe et l'Allemagne devront augmenter massivement leur soutien. Des fonctionnaires du gouvernement de Washington admettent à demi-mot chercher d'autres fonds pour les réaffecter à la lutte. Ce qui permettrait à la fois de réduire la pression que font subir les républicains - et de couper court à l'impression de faiblesse que renvoie actuellement le pays le plus puissant du monde, qui doit péniblement rassembler ses moyens.
Un signal désastreux et potentiellement fatal envoyé à Vladimir Poutine, mais aussi à d'autres rivaux comme la Chine.
Alors que le chancelier allemand Olaf Scholz s'apprête à lui rendre visite cette semaine, muni d'un paquet d'aide de 50 milliards d'euros récemment décidé par l'UE, Joe Biden, lui se retrouve les mains vides. Accablé par le pouvoir et l'influence de Donald Trump, avant même le début de la campagne électorale aux Etats-Unis.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci