Il est 21 heures et Donald Trump a eu son compte. Ce soir-là, dans une arène bien remplie de Manchester, dans le New Hampshire, le milliardaire en campagne a parlé pendant plus d'une heure et demie. Après avoir exécuté quelques mouvements de danse maladroits sur fond de vieux tube, le voilà qui me pointe du doigt. Ou peut-être est-ce mon voisin. «Thank you very much», articule le candidat sur la scène. Au premier rang, à une certaine distance de sécurité, se tiennent ses partisans les plus fanatiques.
C'est le cas de Mike Boatman. Ce quinquagénaire fait partie d'un groupe informel, les «Front Row Joes», qui sautillent de meeting de Trump en meeting de Trump depuis 2016. C'est son 89ᵉ rassemblement. Et cette fois encore, Mike Boatman reste jusqu'à la toute fin. Lorsqu'on lui demande comment il explique cette ferveur, il réplique:
Pour le remercier, Donald Trump aura même un petit mot pour les «Front Row Joes», affublés de t-shirts à son effigie qu'ils ont confectionnés eux-mêmes. Parfois, il va jusqu'à danser pour eux.
Et c'est peut-être cette dynamique qui explique pourquoi Donald Trump n'a jamais cessé d'être soutenu. Pourquoi, en ce samedi glacial, des milliers de personnes sont prêtes à trépigner pendant des heures pour le voir. Lorsque je me présente devant le stade du centre-ville de Manchester vers midi, sept heures avant le début du discours de Trump, il y a déjà des dizaines de personnes qui font la queue devant moi.
En 2024, le spectacle bien orchestré de Donald Trump est un huis clos. On est entre soi. Une goutte de cet océan de casquettes rouges estampillées «Make America Great Again». L'ancien président exploite habilement cette constellation. Il parle longtemps. Bien plus longtemps que ses concurrents. Un discours typique de sa concurrente Nikki Haley ne s'éternise pas au-delà des 30 minutes réglementaires.
Au-delà la forme, le fond, lui, est plus extrême que jamais. Donald Trump n'en fait plus mystère. Ainsi, ce samedi, dans le New Hampshire, il couvre d'éloges le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, qu'il considère comme un «strong man» qui sait gouverner son pays. Un «homme fort», ce qu'on peut également traduire par «leader autoritaire».
La suite n'est pas plus heureuse. Les élections présidentielles de 2020? Du «bullshit» (des «conneries»). Les journalistes présents sur place? Des «ennemis du peuple». Le président en exercice, Joe Biden? Un dictateur qui «menace de détruire la démocratie américaine» et de «provoquer la troisième guerre mondiale». Une tirade qui résume de manière limpide pourquoi Donald Trump, qui se pose comme un messie politique moderne, veut se présenter une nouvelle fois à la présidence.
Peu importe que les problèmes juridiques, civils et pénaux avec lesquels Donald Trump se dépatouille n'aient pas grand-chose à voir avec le quotidien d'un Américain moyen. Ni que l'ex-président exige à nouveau une «immunité totale» pour tous les occupants de la Maison-Blanche, tout en clamant que Joe Biden est un criminel. Peu importe. La foule est en délire.
Les participants se sentent compris par leur messie. Lui qui s'exprime si différemment des hommes et femmes politiques normaux. «Il est tout simplement drôle», s'extasie une partisane qui se tient à côté de moi. Elle a fait deux heures de voyage pour apercevoir son idole.
Seule différence notable, par rapport à 2016 ou 2020, aucun débordement n'est à signaler. L'ambiance a beau être électrique et les participants enjoués, l'énergie agressive qui flottait dans l'air lors des manifestations précédentes ne débordera pas ce soir-là. Les gens huent, crient et s'amusent des insultes et des invectives de Donald Trump contre ses concurrents politiques. Mais ils n'iront pas chercher la bagarre ni la confrontation.
Au contraire, tout le monde est gentil. Courtois. On se connaît. Tous les acteurs du «Trump-show» ont désormais un rôle à jouer. L'acteur principal campe le rôle du «dictateur» en herbe («mais seulement le premier jour») et la foule veut se laisser divertir. Ravie d'assister à la performance de cet homme qui brise les conventions. Reste à savoir si la majeure partie du pays est prête à payer pour une deuxième représentation du spectacle.
(traduit et adapté par mbr)