«Hello les filles! C'est Mary, en direct de Chicago». Chevelure brune, lunettes carrées sur le nez, veste en jeans, sourcils froncés. Impossible de deviner, au premier regard, que cette femme de 59 ans à l'air sobre et posé est la nièce de l'extravagant ex-président des Etats-Unis, Donald J. Trump.
Sans s'attarder davantage, Mary Trump entame la conversation avec les deux co-animatrices de son émission en live sur YouTube, pour échanger leurs impressions sur cette seconde journée de convention démocrate. La psychologue a passé les heures précédentes à tweeter frénétiquement. «Merci Joe!» «Cette première nuit a été incroyable.» «Je n'ai jamais été aussi fière d'être démocrate que cette semaine.»
Des propos inattendus, venus d'une membre de la famille la plus célèbre d'Amérique. Sauf que Mary n'est pas une Trump comme les autres. Pas seulement parce qu'elle n'est pas blonde. Ou parce qu'elle a longtemps traîné son patronyme comme un boulet.
Surtout, parce que cette universitaire est l'une des rares du clan à s'être publiquement opposée au tout-puissant Donald Trump. Une rébellion qui s'explique par son enfance, passée dans l'observation de son grand-père, le terrifiant Fred Trump Senior.
Attention, accrochez-vous, c'est la minute généalogique - et comme les Trump ont une fâcheuse tendance à s'attribuer les mêmes prénoms de génération en génération, cela complique nos affaires. Campant au sommet de l'arbre, Fred Trump Senior, reconnaissable à ses yeux bleus glaçants, sa moustache foisonnante et ses costards taillés au rasoir.
Fred Senior n'impose pas seulement sa loi dans l'immobilier du Queens, où il a fait fortune. Ce type brutal, méchant, sans vergogne ni morale, qui ne supporte pas la faiblesse, dirige aussi sa famille d'une main de fer. A commencer par ses cinq enfants, dont Donald et Fred Junior, le père de Mary, qui grandissent dans la crainte et le respect de ce père sans pitié.
Cette histoire familiale tourmentée, Mary Trump la racontera bien des années plus tard, dans un best-seller publié en 2020, Too Much and Never Enough: How My Family Created the World’s Most Dangerous Man («Trop et jamais assez: comment ma famille a créé l'homme le plus dangereux du monde», en français). Un livre explosif que les Trump tenteront par tous les moyens de faire interdire. Sans succès. Le bouquin s'écoule à plus de 1,3 million d'exemplaires au cours de sa première semaine de vente et se hisse en tête des ventes du New York Times.
Il faut dire que les anecdotes croustillantes, voire ridicules, sur l’enfance de Donald J. Trump, alors président des Etats-Unis, ne manquent pas. Sa nièce dépeint une «famille dysfonctionnelle et maligne» qui, selon elle, explique en grande partie les problèmes d'empathie du milliardaire en poste à la Maison-Blanche.
Pour Mary, la faute originelle repose sur ce grand-père, Fred Senior, «un sociopathe de haut niveau» selon ses mots, qui exerce une influence néfaste sur sa progéniture.
Constatant que son fils aîné, Fred Junior, n'a nullement l'ambition de travailler pour l’entreprise immobilière familiale, il mise tout sur son second fils, Donald Junior et l'élève comme un «tueur».
Selon la psychologue, qui n'hésite pas à poser son diagnostic à distance sur ce tonton Donald qu'elle n'a pas revu en personne depuis 2017, Donald développe de son côté des mécanismes d’adaptation «puissants, mais primitifs» pour faire face à ce père impitoyable. Fred Senior lui inculque et renforce à la fois ses pires qualités – l’intimidation, le manque de respect et d’empathie, l’insécurité et l’autosatisfaction crasse.
Fred Junior, le fils mal-aimé, décédera prématurément à l'âge de 42 ans, après avoir sombré dans l'alcoolisme. Mais ses enfants Mary et Fred III continueront pendant des années à prendre part aux réunions familiales - dont un combat de Mike Tyson à Atlantic City avec Donald Trump, la fête d'anniversaire de leur grand-père au Peter Luger Steak House, le huitième anniversaire d'Ivanka, ainsi qu'à des mariages, des vacances et des visites avec leur grand-mère.
Mais un Trump ne se refait pas. Dans cette dynastie où tout est toujours affaire de conflit et d'argent, en 1999, Fred et Mary intentent une action en justice contre le reste de la meute, après avoir découvert qu'ils étaient exclus de l'héritage de leur grand-père. Ce procès, qui fascinera les tabloïds et sera réglé à l’amiable en 2001, se trouve au cœur du livre de Mary Trump.
Sa guerre ouverte contre les Trump, ses expertises psychologiques et ses piques à l'égard de cet oncle «dangereux» et «inapte à diriger le pays» lui valent depuis lors d'être l'invitée régulière des talk-shows et des podcasts.
En ce qui concerne son frère, Fred Trump III, les liens avec son oncle et les autres Trump ne sont pas moins complexes. Devenu promoteur immobilier, le neveu s'est souvent tourné vers tonton Donald pour obtenir une aide financière - ou une adhésion à l'un de ses clubs de golf.
Après s'être tenu à l’écart de la mêlée pendant des années, au point de se distancer publiquement du livre à succès de sa sœur en 2020, le cadet s'est finalement trouvé bien inspiré. Plus tôt cet été, Fred III vient de publier à son tour ses propres mémoires. Une surprise, à quelques mois de la présidentielle. Bien qu'un poil moins cinglantes que celles de son aînée, All in the Family dresse un portrait peu flatteur de plusieurs générations de la famille Trump et de ses individus toxiques, narcissiques, comploteurs et cruels - ou encore, cerise sur le gâteau, racistes.
Quant à Mary Trump, elle ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Cette démocrate de la première heure s'apprête à publier un nouveau livre le 10 septembre. Le thème? On vous le donne en mille: «Je vous ai raconté ce que le fait de grandir dans cette famille a fait à Donald. Maintenant, je vous raconte l'histoire de ce que cela a fait à mon père et à moi», a-t-elle indiqué sur son compte X.
Trump est peut-être un nom dur à porter. Mais au moins, il fait vendre.