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Roy Cohn, le «scélérat» qui a forgé Donald Trump

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Controversé, immoral, sans vergogne: Roy Cohn, figure incontournable du New York des années 70 et mentor de Donald Trump.Image: Bettmann

Voici le «scélérat» qui a forgé Donald Trump

Dans les années 70, il règne sur New York et le cœur du jeune Donald Trump. Lui, c'est Roy Cohn, le «serpent», avocat véreux et sans scrupules, devenu l'un des personnages centraux de The Apprentice, film présenté lundi au Festival de Cannes. Portrait d'une raclure, une vraie, dont le style a marqué à tout jamais le futur président des Etats-Unis.
22.05.2024, 16:5723.05.2024, 14:26
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New York, 1973. Nous sommes au «Club», boîte de nuit réservée aux membres de l'Upper East Side, où mannequins, fashionistas et aspirants mondains se rencontrent, boivent et font affaire. Au milieu de ce joyeux melting-pot, un jeune entrepreneur immobilier de 27 ans à la tignasse blonde et à la beauté opulente. Donald Trump.

Donald J. Trump (L) and Roy Cohn attend a party at the Ritz-Carlton Hotel in Washington, D.C., on March 20, 1983. (Photo by Guy DeLort/WWD/Penske Media via Getty Images)
Donald Trump restera fidèle à son avocat, Roy Cohn, pendant de nombreuses années.Image: Penske Media

Un fils à papa qui n'a encore rien acheté ni construit, et pour lequel les portes de l'establishment sont encore hermétiquement closes. Pour adhérer au «Club», il a dû harceler les propriétaires. Vibrant de l'espoir de faire la connaissance d'hommes plus vieux, connectés et puissants.

Justement, ce soir-là, il ose à peine s'approcher de son voisin. Un petit homme maigre de 46 ans à l'air étrange, au nez proéminent, aux traits déformés par la chirurgie esthétique et aux yeux bleus globuleux. L'un des avocats les plus riches et, par extension, les plus corrompus de la ville. L'un des Américains les plus puissants et les plus vilipendés du 20e siècle. Son nom? Roy Cohn.

Barbara Walters and Roy Cohn during Opening of "A New York Summer" at Radio City Music Hall in New York City, New York, United States. (Photo by Ron Galella/Ron Galella Collection via Getty  ...
Dans les années 70, Roy Cohn est une figure emblématique de la ville.Image: Ron Galella Collection

Le jeune Donald ne le connait que de réputation. Allez, il se lance. Il se présente, expose son problème. L'entreprise de son père fait face à de graves accusations de discrimination raciale, après avoir refusé systématiquement de louer des appartements à des Noirs. Le ministère de la Justice vient de porter plainte. Ils risquent gros. «Que pouvons-nous faire?» s'enquiert-il.

L'avocat flaire-t-il déjà le potentiel de ce jeune entrepreneur ambitieux, de vingt ans son cadet? L'histoire ne le dit pas. En tout cas, sa réponse marquera définitivement Donald Trump, qui la relaie dans ses mémoires quelques années plus tard.

«Dites-leur d'aller au diable. Et de combattre cette affaire devant le tribunal. Laissez-les prouver que vous avez fait preuve de discrimination»
Roy Cohn à Donald Trump, selon son récit dans son livre The Art of the Deal.

Les preuves, justement, sont accablantes. Ce qui n'empêche pas Roy Cohn de sauter sur le dossier. Il riposte avec un procès à 100 millions de dollars contre le gouvernement pour diffamation. Un an et demi de procédures plus tard, la famille Trump s'en tire à bon compte. Non seulement elle n'a jamais eu à reconnaître sa culpabilité, mais surtout, Donald Trump vient de se trouver un mentor.

Le «mal absolu»

Décrit tour à tour dans la presse comme un «serpent», un «scélérat» ou, plus familièrement, une «nouvelle strate de fils de pute», la réputation de Roy Cohn à New York n'est plus à faire. Une réputation entamée dès les années 50, lorsqu'il est encore l'avocat et conseiller enthousiaste du sénateur Joseph McCarthy, dans sa croisade acharnée contre les communistes, les homosexuels et les espions. A seulement 23 ans, Roy Cohn peut se targuer d'avoir envoyé le couple Rosenberg, accusé d'espionnage, sur la chaise électrique.

(Original Caption) Roy Cohn, counsel for the Senate Investigating Subcommittee wears a grim expression as he listens to testimony from Army Counselor John Adams at the McCarthy-Army Hearings on May 12 ...
Roy Cohn a débuté sa carrière comme assistant de du sénateur Joseph McCarthy, expert en «activités subversives». Image: Bettmann

Après un passage remarqué à Washington, l'ancien assistant sans scrupules retourne à New York pour fonder son cabinet juridique privé, dans sa maison de la 68e Rue. Un lieu aussi délabré que détonnant, à l'image de son propriétaire. Un personnage grossier, sans vergogne, qui se sert dans les assiettes des autres et boit du champagne mélangé à de l'édulcorant. Immoral, brutal, impitoyable. Insensible aux critiques. Aussi laid qu'il est charismatique, aussi plein d'esprit qu'il est dépourvu de bonnes manières.

«Vous saviez que, lorsque vous étiez en présence de Cohn, vous étiez en présence du mal absolu»
L'avocat Victor A. Kovner, qui le connaissait depuis des années, à Vanity Fair.

Roy Cohn est un homme qui s'accommode bien de ses contradictions: c'est un avocat qui déteste les avocats, un Juif antisémite, un homosexuel homophobe, qui clame avec virulence son mépris pour les «pédés» et que «les enseignants homosexuels constituent une grave menace pour nos enfants» dans sa propre autobiographie.

Roy Cohn during Night of Holmes vs Cooney Boxing Match at 21 Club in New York City, New York, United States. (Photo by Ron Galella, Ltd./Ron Galella Collection via Getty Images)
Roy Cohn accumule les voitures de luxe au rythme des inculpations: quatre entre le milieu des années 60 et le début des années 70.Image: Ron Galella Collection

Quand il ne beugle pas au chauffeur de sa Rolls-Royce verte, estampillée à ses initiales, de griller les feux rouges et de foncer à travers la ville, l'avocat qui connait le tout New York aime à organiser de somptueuses parties où se mêlent politiciens, artistes et journalistes. Des célébrités dont les visages ornent le mur de son bureau, soigneusement encadrées.

«Je m'attendais à le détester, mais ce n'était pas le cas. Je l'ai trouvé charmant»
Alan Dershowitz, professeur émérite à la faculté de droit de Harvard et constitutionnaliste renommé, au Washington Post.

Réputé «génial» aussi bien que «mauvais avocat», Roy Cohn utilise une tactique simple. Intimider l'ennemi, brandir des menaces creuses et des poursuites fallacieuses, jusqu'à ce que l'adversaire se soumette. Honoraires exigés pour ses services? Une loyauté à toute épreuve.

Roy Cohn during Irving Lazaar Party - January 17, 1982 at Chasen's Restaurant in Beverly Hills, California, United States. (Photo by Betty Galella/Ron Galella Collection via Getty Images)
Roy Cohn (ici, en 1982) était connu pour raconter des histoires sur lui-même aux journalistes et chroniqueurs de potins.Image: Ron Galella Collection

Rien ne semble pouvoir l'arrêter. Inculpé quatre fois pour des accusations allant de l'extorsion et du chantage à la corruption, au complot, à la fraude en matière de valeurs mobilières et à l'entrave à la justice, Roy Cohn a été acquitté à chaque fois. Shooté à son sentiment de surpuissance, il opère dans les zones grises de la loi. Persuadé d'être au-dessus de tout. Un pont suspendu entre la pègre, la mafia et le monde politique légitime.

Les leçons de Roy Cohn

Un exemple qui ne peut qu'inspirer Donald Trump, qui brûle d'échapper au joug paternel pour se lancer dans le grand monde. Si Fred Trump a lancé la carrière de son fils, Roy Cohn lui rend un service inestimable: traverser le pont de Brooklyn jusqu'à Manhattan. C'est lui qui le trimballe de dîners en soirées, l'introduit dans l'élite, tout en le défendant férocement contre une liste croissante d'ennemis.

«Roy pouvait flairer un futur pouvoir. Il le pouvait»
Susan Bell, secrétaire de longue date de Roy Cohn, au New York Times.

«Ce gamin possédera New York un jour» promet en effet Roy Cohn à quiconque croise la route de son poulain, ce grand célibataire un peu gauche.

L'avocat ne fera pas qu'ouvrir son carnet d'adresses ou aider à conclure certains des contrats de construction les plus emblématiques de la carrière de Trump. C'est toute une philosophie et une vision du monde des affaires qu'il insuffle au futur magnat immobilier.

Une influence distillée tout au long des treize années où Roy Cohn et Donald Trump se parlent tous les jours (jusqu'à cinq fois par jour, selon le New York Times), passent leurs soirées au Studio 54 et se portent un toast à leur anniversaire. Une symbiose telle que, lorsque certaines négociations échouent, Donald Trump n'a qu'à brandir une photo de Roy Cohn de son bureau.

«Vous préférez traiter avec lui?»
Donald Trump (L) and Roy Cohn attend a party at Le Club in New York City on June 12, 1979. (Photo by Dustin Pittman/Penske Media via Getty Images)
Roy Cohn a immédiatement perçu quelque chose chez Donald Trump.Image: Penske Media

Tous ceux qui ont connu le duo terrible dans les années 70 et 80 vous le diront: le style politique de Donald Trump a été façonné par la personnalité publique belliqueuse de Roy Cohn. L'immoralité portée en étendard. La contre-attaque systématique. Le mépris des conventions. Le goût de la célébrité. L’importance de garder son nom dans les journaux. Et, surtout, ne jamais, jamais, admettre la défaite.

L'abandon

Au début des années 80, lorsque Vanity Fair consacre un portrait au flamboyant quadragénaire Donald Trump, qui règne désormais sur la ville, l'élève est en passe de dépasser le maître. Il semble même, déjà, s'en distancer. «Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il a été vicieux envers les autres en me protégeant», admet-il à la journaliste Marie Brenner. Comme pour se détourner plus facilement de son modèle.

NEW YORK, NY - 1983: Roy Cohn (L) and Donald Trump attend the Trump Tower opening in October 1983 at The Trump Tower in New York City. (Photo by Sonia Moskowitz/Getty Images)
Ceux qui ont observé et étudié les deux hommes disent voir aujourd’hui dans Donald Trump des signes indubitables de l’influence durable de Roy Cohn.Getty Images North America

Pendant que son protégé caracole au sommet, Roy Cohn, rattrapé par ses frasques, sombre. Accusé, entre autres infractions, d'avoir contraint un client multimillionnaire mourant – lors d'une visite nocturne dans sa chambre d'hôpital – à modifier son testament pour faire de lui son exécuteur testamentaire. Il finit par être radié du barreau le 23 juin 1986. Une ultime indignité, que l'avocat balaie d'un revers de main décharnée. Il «s'en fiche» et cela «ne le dérange pas du tout». Sauf que dans les faits, il s'en soucie. Beaucoup. Et ça le dérange. Beaucoup.

Roy Cohn meurt six semaines plus tard, à l'âge de 59 ans, atteint du virus du sida. Malhonnête jusqu'au bout, l'avocat clame souffrir d’un cancer du foie. Personne n'est dupe. Surtout pas Donald Trump.

«Donald a découvert [l'état de Cohn] et l'a laissé tomber comme une patate chaude»
Susan Bell, secrétaire personnelle de Cohn, dans le documentaire Where's my Roy? (2019).

Aussi impitoyable que l'a été son protecteur, le magnat immobilier profite de l'état de faiblesse de son avocat pour déplacer ses affaires juridiques vers d'autres cabinets. Il prendra toutefois la peine d'inviter son mentor, frêle et assiégé, à Mar-a-Lago, sa nouvelle propriété de Palm Beach, en Floride, à la fin de 1985. Ce sera toute dernière fois que Roy Cohn verra son «projet blond».

Aux funérailles de Roy Cohn, qui rassemblent tout le gratin new-yorkais, Donald Trump se tient en retrait, en silence. Pas encore conscient, sans doute, que les tactiques de son ancien mentor le mèneront un jour jusqu'à la Maison-Blanche. Il ne n'oubliera pas. Au lendemain de son élection, le 45e président soupire auprès de son gourou politique Roger Stone, l'air mélancolique:

«Roy n'aimerait-il pas voir ce moment? Oh boy, qu'est-ce qu'il nous manque»
Donald Trump dédicace la poitrine d'une jeune femme
Video: watson
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