«J'ai entendu des voix»: on a passé Halloween dans un hôtel hanté
Qu'ils se trouvent côté Ouest ou Est des Etats-Unis, les hôtels estampillés «Biltmore» traînent depuis longtemps une bien sinistre réputation. Prenez celui de Los Angeles, par exemple. Pour y avoir passé deux nuits en 2022, on ne peut que vous déconseiller cet établissement historique en briques rouges, perdu entre les buildings du quartier des affaires tout aussi glauque de Downtown, si vous êtes sensibles aux énergies bizarres.
Pour ne citer qu'une anecdote, c'est là qu'Elizabeth Short, plus connue sous le nom du «Dahlia Noir», a été vue vivante pour la dernière fois le 9 janvier 1947, avant que son corps ne soit retrouvé mutilé, donnant lieu à l'un des faits divers les plus célèbres des Etats-Unis. Depuis, nombre de visiteurs affirment avoir croisé son fantôme errer dans les couloirs feutrés de l'hôtel - en particulier entre les 10ᵉ et 11ᵉ étages.
Biltmore. Le nom de cet ancien groupe hôtelier, fondé dans les années 1920 avant de faire rapidement faillite pendant la Grande Dépression, se rappellera à notre bon souvenir quelques années plus tard, au moment de poser nos bagages en Floride. C'est là, à Miami, que se tient fièrement un autre vestige des Années folles: le Biltmore Hotel Coral Gables. Un établissement plus curieux encore que son homologue californien.
C'est par une superbe matinée d'Halloween (ça ne s'invente pas) que nous partons à la découverte de cet édifice historique, pour un petit-déjeuner au Fontana, le restaurant de l’hôtel, accessible même à ceux qui ne sont pas clients. L'imposante tour se dresse bientôt par la fenêtre du Uber, sur fond de ciel bleu et de palmiers ondulant dans la brise tiède.
Après avoir arpenté les couloirs (froids, clim' oblige) et longé la célèbre piscine, où flotte une retraitée, nous prenons place au sein d'un joli patio ombragé, sous l'oeil sévère de la tourelle. Difficile de ne pas s'imaginer que quelqu'un nous observe, du haut du 13e étage.
Raul, le serveur, sourit avec malice quand, au moment de nous servir nos œufs, nous lui demandons avec un poil de gêne ce qu'il pense de ces histoires. «Bien sûr, que c'est vrai», affirme-t-il sans embarras. «J'en ai vu deux moi-même. Une fois, c'était des voix. Une autre, une apparition qui passait par là.»
L'un des concierges du hall d'entrée nous confirme que la plupart des employés y croient. «Tout le monde a vu ou entendu quelque chose. Difficile de ne pas faire travailler l'imagination quand on connait l'histoire incroyable de cet hôtel.»
Son histoire
On doit la construction de ce bâtiment aussi imposant qu'extravagant, librement inspiré de la Giralda de Séville, en Espagne, il y a un siècle tout pile, à un promoteur immobilier du coin: George Merrick, fondateur et développeur de la petite communauté de Coral Gables.
Avec le soutien du magnat de l'hôtellerie new-yorkais John McEntee Bowman, George décide de planter son nouvel hôtel dans le verger familial, où il cultive des agrumes et des pinèdes. Visionnaire et peu superstitieux, George choisit la date du vendredi 13 mars 1925 pour poser la première pierre.
Entre ses suites somptueuses, son vaste parcours de golf et ce qui est alors la «plus grande piscine du monde», le domaine devint rapidement un lieu de villégiature prisé des riches et des célébrités: le duc et la duchesse de Windsor, les actrices Judy Garland et Ginger Rogers, la richissime famille Vanderbilt, le chanteur Bing Crosby ainsi que plusieurs présidents américains y séjournent régulièrement.
Mais le succès fulgurant que rencontrent le quartier de Coral Gables et son hôtel Biltmore sera de courte durée. Entre l'ouragan de 1926 et une crise foncière non moins dévastatrice qui met la Floride à genoux, l'hôtel de George Merrick fait faillite trois ans seulement après son inauguration en grande pompe.
L’hôtel survit toutefois à la Grande Dépression en devenant un haut lieu d'activités illicites, prisé des gangsters et des trafiquants d'alcool. Parmi eux: un certain Al Capone, mais aussi Edward Wilson, joueur professionnel qui s'approprie les suites des 13e et 14e étages de l'hôtel pour y ouvrir un bar clandestin.
C’est là, dans ce lieu tenu secret, où les riches peuvent boire et jouer à l'abri des regards indiscrets, qu’il fait la connaissance du gangster new-yorkais Thomas «Fatty» Walsh. Sous le coup d'une enquête pour le meurtre d'un associé, il a fui et établi son quartier général à l’hôtel.
Sur fond de différend de jeux d’argent et d'une soirée entre riches clients en smoking, une violente dispute éclate entre Edward Wilson et Thomas Walsh. Le propriétaire du bar clandestin dégaine alors son arme et abat son rival.
Une fois sur place, la police ne put que constater que la pièce a été entièrement nettoyée et toute trace de l'activité clandestine effacée. Les chercheurs contemporains considèrent l'absence de rapport de police concernant cet événement comme la preuve d'une tentative de dissimulation.
Quoi qu'il en soit, la mort de Thomas Walsh marque le début des innombrables histoires de fantômes associées à l'hôtel. Et si son spectre reste sans doute le plus célèbre des résidents spectraux du Biltmore, d’autres ne tarderont pas à venir lui tenir compagnie. Car la légende noire du Biltmore ne fait que commencer.
Un lieu de légendes et de supersition
En pleine Seconde Guerre mondiale, l'Hôtel Biltmore est réquisitionné pour devenir un hôpital de convalescence pour les militaires de 1200 lits. Exit les vastes espaces communs, les sols de marbre, les moquettes moelleuses, le mobilier d'origine et les fenêtres. Bonjour les blocs opératoires, le sol en lino, les sorties condamnées par du béton et la peinture vert pâle.
Après 1968, l'hôtel-hôpital Biltmore est abandonné et ne tarde pas à tomber à l'état de ruines, prisées des jeunes du coin pour s'y introduire en cachette, lampe de poche à la main. «Tous les enfants disaient toujours qu’il devait y avoir des fantômes là-dedans», raconte Betsy Skipp, qui a grandi à Coral Gables et se faufilait dans le Biltmore avec ses amis, à la chaîne locale WLRN, en 2014.
Une autre résidente du coin, Kim Dunn-Zocco, témoigne que la plus grande crainte de ses amis était de découvrir un cadavre à l'intérieur du bâtiment. Une fois, un copain affirme avoir vu un membre sectionné.
Il faut dire que le lieu et son intense activité nocturne attirent de nombreux curieux. Des témoins affirment voir des fenêtres s'ouvrir et se fermer, des silhouettes passer à l'intérieur du bâtiment et entendre des bruits de fracas.
L'activité paranormale s'est révélée si intense qu'à l'été 1979, une équipe de policiers prend d'assaut le bâtiment à la recherche de trafiquants de drogue. Sans parler des nombreux enquêteurs et autres spécialistes du paranormal, parfois équipés de technologies de pointe, qui se lanceront dans de véritables chasses aux fantômes.
En 1983, la ville de Coral Gables finit par investir 55 millions de dollars dans la rénovation du Biltmore. L'hôtel rouvre ses portes quatre ans plus tard, jusqu'à rafler une inscription au Registre national des lieux historiques, la plus haute distinction décernée par le gouvernement fédéral.
Ce qui n'empêchera pas les histoires d'apparitions de continuer à circuler - de Thomas Walsh à un ascensoriste vêtu d'un uniforme d'époque, en passant par l'esprit d'une jeune mariée qui se serait suicidée après avoir été abandonnée à l'autel. Des séances de spiritisme sont même organisées en 1986, avec l'approbation de la direction.
L'une des légendes les plus connues concerne l'une des suites du 13e étage, dont le prix peut atteindre 5000 dollars la nuit, selon la saison. D'après le site spécialisé Southern Spirit, un certain président Bill Clinton, lors d'une visite en décembre 1994, aurait éprouvé des difficultés à capter la télévision pour regarder un match de baseball. Ses collaborateurs n'ont pas réussi à comprendre pourquoi le téléviseur ne fonctionnait pas correctement.
C'est cette même année qu'une conteuse du coin, Linda Spitzer, devient la conteuse attitrée du Biltmore, après avoir reçu un appel du directeur de l'hôtel. Si ce dernier se montre enthousiaste à l'idée de lectures publiques dans un salon de l'établissement, il lui impose une condition.
Figure incontournable de l'hôtel pour tout ce qui concerne les phénomènes paranormaux, Linda Spitzer affirme toutefois n'avoir jamais vu de fantôme elle-même au cours de ses 10 années de service. «Je n’en ai jamais vu», assurait-elle au Miami New Times, en 2011, «mais des gens tout à fait ordinaires m’ont raconté des choses si étranges.»
Pour notre part, en ce jour d'Halloween, nous ne croiserons aucun esprit frappeur en savourant nos œufs et notre bagel au cream cheese. Mais le décor extraordinaire et la riche histoire du Bilmore suffisaient largement à tenter l'aventure.
