C'est un moment à marquer d'une pierre blanche sur la longue route vers l'élection générale du 5 novembre: le Super Tuesday. Ou «super mardi», pour les moins bilingues d'entre nous. Chaque année présidentielle, généralement au début du mois de mars, un grand nombre d'Etats votent simultanément pour désigner le candidat de chaque parti, démocrate et républicain. Si le nombre exact d'Etats à faire leur choix varie en fonction des années, en 2024, ils seront pas moins de seize Etats et territoires.
Alabama, Alaska, Arkansas, Californie, Colorado, Maine, Massachusetts, Minnesota, Caroline du Nord, Oklahoma, Tennessee, Texas, Utah, Vermont et Virginie, ainsi que le territoire des Samoa américaines sélectionneront leur candidat lors de leur primaire - ou caucus, en fonction. Soit près de 34% des délégués du pays, plus que n'importe quelle autre journée de compétition. Pour rappel, pour recevoir la nomination officielle, le candidat républicain doit remporter quelque 1215 délégués sur 2429 disponibles, tandis que le démocrate nécessite 1968 délégués sur 3934.
Le Super Tuesday est assez récent dans l'histoire politique américaine. Bien que le terme existe depuis les années 1970, son usage s’est consolidé à la fin des années 1980. Sans surprise, pour des questions d'habiles calculs politiques. Marqué par la déculottée subie par leur candidat Walter Mondale en 1984 contre le républicain Ronald Reagan, le parti démocrate a eu une idée pour assurer ses arrières lors de l'élection suivante: déplacer en masse les primaires des Etats du sud au début du mois de mars, pour tenter de donner plus de poids à l’aile la plus conservatrice de son parti. Objectif: obtenir, au terme du processus, un candidat plus modéré, et donc plus présidentiable.
La technique s'est avérée être un flop (en 1988, les démocrates ont nommé Michael Dukakis, qui se retrouvera battu largement par George Bush Senior), mais la tradition s'est maintenue. Un moyen pour les Etats de tenter d’accroître leur influence en s'exprimant le plus tôt possible durant l'année électorale.
D'ailleurs, depuis lors, le Super Tuesday permet souvent de désigner un grand favori dans les deux partis. La légende est née en 1992 grâce à Bill Clinton. Sorti vainqueur de cette grande journée de vote dans la plupart des Etats du Sud, alors qu'il avait perdu les premiers Etats de la primaire, il héritera du surnom de «survivant» («Back from the dead»), remportera la nomination du parti démocrate et se retrouvera, finalement, élu président des Etats-Unis.
Le phénomène du «super mardi» prend une telle ampleur qu'en 2008, le Super Tuesday accumule près de la moitié des Etats américains, avec pas moins de 24 Etats participants. Une sorte de «Tsunami Tuesday» au cours desquels Barack Obama, Hilary Clinton, côté démocrate, et John McCain, côté républicain, se sont particulièrement illustrés.
Pour rappel, le Super Tuesday de 2016 s'est révélé également être décisif pour un certain Donal Trump, le «clown» de la télé-réalité, qui a raflé pas moins de sept des onze Etats ce jour-là. Quant à Joe Biden, en 2020, il avait réussi à se mettre dans la poche les délégués de dix des quatorze Etats.
Il ne vous a pas échappé que, contrairement aux éditions précédentes, les primaires de 2024 s'apparentent à une longue sieste. Les deux principaux candidats en lice, Donald Trump et Joe Biden, roulent gentiment leur bosse jusqu'à la nomination officielle cet été. Quelle sera donc l'importance du Super Tuesday cette année?
Côté républicain, Donald Trump survole les primaires avec une facilité quasi révoltante. Loin derrière lui, la coriace, mais solitaire Nikki Haley a promis de s'accrocher jusqu'à la fin des primaires, en juin. Dans l'hypothèse où la candidate aurait remporté la Caroline du Sud ou le Michigan, fin février, le Super Tuesday aurait pu s'avérer crucial pour démontrer si elle pouvait rester compétitive à l'échelle nationale. En attendant, la primaire de ce mardi pourrait lui offrir une dernière opportunité de rallier quelques ultimes républicains modérés «tout sauf Trump» dans la même coalition qui lui a permis de dépasser les 40 %, dans le New Hampshire - et de remporter Washington DC.
Et aussi somnolente qu'ait pu être la primaire républicaine, la démocrate est encore plus calme. Bien que Joe Biden se heurte à une succession de mauvais sondages d'opinion, le mécontentement populaire ne s'est pas encore fait sentir dans les bureaux de vote. Le principal obstacle majeur à sa nomination a eu lieu dans le Michigan, où une vague de mouvement «sans engagement» a récolté 13% des voix, en signe de protestation contre le soutien de Biden à Israël.
Une tentative similaire a été observée chez une poignée de groupuscules de gauche dans le Colorado, qui votera ce mardi. Pas sûr, toutefois, que ce putsch de dernière minute porte atteinte au candidat à sa réélection. Faute de concurrent démocrate sérieux, le 46ᵉ président devrait, comme c'est la tradition pour les candidats sortants, remporter sans difficulté le Super Tuesday.
Si officiellement, aucun des candidats n'est en mesure de remporter la majorité des délégués avant la fin du mois de mars (le «nombre magique» de délégués requis ne pourra être atteint que le 12 ou le 19 mars), ce mardi aura comme un avant-goût de fin de primaire. A moins d'un décès ou d'une catastrophe, tout semble tendre vers le duel annoncé. Ne nous endormons pas. Jusqu'au 5 novembre, tout est possible.