En pleine campagne électorale, Tommy Tuberville n'avait même pas été capable de citer correctement la séparation des pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire. Une question à laquelle la plupart des adolescents seraient en mesure de répondre. Ce qui n'a pas empêché notre homme d'être élu sénateur en novembre 2020, dans l'Etat conservateur du sud de l'Alabama. Le candidat avait d'autres atouts dans sa manche: sa réputation d'entraîneur de football à succès et la bénédiction de Donald Trump.
Depuis, même les représentants du camp Trump regrettent son élection au Sénat. Voilà bientôt un an que l'ex-entraîneur bloque avec entêtement quelque 400 promotions aux plus hauts postes de l'armée américaine - des promotions généralement votées en bloc par le Sénat, à intervalles réguliers. Une règle obscure permet toutefois à un seul sénateur d'exiger que chaque promotion fasse l'objet d'un débat. En l'occurrence, Tommy Tuberville.
Un moyen pour le sénateur de protester contre le remboursement des frais de voyage des femmes enceintes dans l'armée américaine, lorsqu'elles doivent se rendre dans un Etat qui autorise l'avortement. Ce qui, on l'entend, n'a strictement rien à voir avec les promotions.
Si chaque grade doit être négocié individuellement, le Sénat ne peut plus traiter d'autres cas pendant des mois. Ce qui explique pourquoi, depuis plus de six mois, seuls les postes les plus élevés ont été pourvus. Ajoutez à cela que l'armée américaine se retrouve sollicitée comme elle ne l'a pas été depuis longtemps, avec la guerre en Ukraine, une autre au Proche-Orient et des relations très tendues avec la Chine. Vous comprenez pourquoi l'action du sénateur Tuberville n'est pas seulement idiote, mais surtout irresponsable et dangereuse.
Les camarades de parti de Tommy Tuberville sont désormais du même avis. L'hémicycle du Sénat, d'ordinaire si tranquille, est devenu le théâtre de vives discussions la semaine passée. Des représentants renommés du Grand Old Party (GOP) ont bousculé leur collègue sans ménagement.
«Indépendamment de ce que vous pensez, sénateur Tuberville, vous causez de grands dommages à notre armée», a tonné Lindsey Graham, proche de Donald Trump. «Si cela devient la norme, que Dieu protège notre armée, car chacun d'entre nous pourrait trouver un prétexte pour s'opposer à une règle qui ne nous plaît pas.»
Même son de cloche du côté de Dan Sullivan, sénateur républicain de l'Alaska et général de réserve du corps des Marines, qui s'est fait un plaisir de mettre Tommy Tuberville dans l'embarras: «Vous remettez en question le fait qu'il y ait un problème de disponibilité», a-t-il lancé à son camarade de parti, qui n'a pas accompli un seul jour de service.
«Il suffirait que vous passiez une seule journée en uniforme pour que vous le sachiez. Ça me frustre, ça me frustre vraiment», a conclu Dan Sullivan, non sans oublier de souligner à qui le comportement de Tommy Tuberville rend un fier service.
De son côté, la sénatrice Joni Ernst de l'Etat de l'Iowa a accusé le sénateur d'avoir manqué à sa parole. Alors qu'il avait affirmé ne pas émettre d'objection à un vote avec la simple mention du nom, le voilà qui s'oppose aujourd'hui à toute promotion individuelle. «Je méprise les hommes qui ne tiennent pas leur parole», a-t-elle lancé à l'adresse de son collègue.
La discussion fait suite à l'infarctus d'un général qui devait régulièrement effectuer 18 heures de service d'affilée, sept jours sur sept. Il a été contraint de remplir une double fonction en raison du gel des promotions provoqué par Tommy Tuberville.
Pour pallier au blocage, Chuck Schumer, le chef de la majorité démocrate au Sénat, compte contourner cette règle obscure au moyen d'une dérogation. Il aura toutefois besoin d'au moins neuf voix de sénateurs républicains pour parvenir à ses fins. Ce qui ne devrait pas l'empêcher d'y arriver. «La digue est sur le point de céder», concède Dan Sullivan. «Toutes les tentatives de trouver un compromis ont échoué, et l'urgence de ce cas est bien réelle.»
Tommy Tuberville, quant à lui, campe sur ses positions. Il se voit engagé dans une lutte héroïque contre ce qu'il considère comme du «wokisme» au sein de l'armée américaine.
L'exemple du sénateur de l'Alabama est aussi extrême que typique de l'état du GOP. Plutôt que de s'efforcer à élaborer une politique et des projets concrets, une poignée de républicains cherche à bloquer la moindre avancée et à semer le chaos.
Pour sa part, Mike Johnson, le président fraîchement élu de la Chambre des représentants, vient de présenter un paquet d'aide pour Israël. Un projet louable en soi, si ce n'est qu'il a posé comme condition que les fonds soient prélevés sur le budget de l'administration fiscale - auquel le gouvernement Biden a accordé 80 milliards de dollars, afin de poursuivre plus efficacement les riches fraudeurs fiscaux.
Invoquant l'excès de la dette publique, Mike Johnson entend que ces fonds soient supprimés et utilisés en faveur d'Israël. Un argument absurde, compte tenu des calculs du National Bureau of Economic Research, qui montrent que cela ne ferait qu'augmenter le poids de la dette. Un contrôle plus strict des riches fraudeurs fiscaux rapporte en effet bien plus qu'il ne coûte.
Le nouveau Speaker, extrêmement conservateur, veut donc qu'Israël reçoive de l'aide si, dans le même temps, les échappatoires fiscales pour les riches sont rouvertes. Non seulement immorale, cette proposition n'a surtout aucune chance de succès auprès des sénateurs. Ils n'entreront pas du tout en matière et le président y mettrait certainement son veto.
Souvent en minorité, les républicains ont du mal à l'accepter. Avec des astuces juridiques et une tactique de refus grossière, ils tentent malgré tout d'arriver à leurs fins. Même si cela doit se faire au détriment de leur propre armée.
(traduit et adapté de l'allemand par mbr)