Les familles ont pris la fuite ou ont été évacuées de force par les autorités. Il reste des poussettes, mais les enfants sont désormais trop grands pour y être installés. Peut-être n'y avait-il pas de place pour ces encombrants dans les bus qui transportaient les familles vers des régions moins dangereuses.
Mais dans la ville de front de Pokrovsk, rien ne se perd. Des milliers de civils y vivent encore, ainsi que dans les environs, et beaucoup ont trouvé une nouvelle utilité aux poussettes abandonnées. Des hommes et des femmes âgés, parfois courbés par les années, les utilisent désormais pour transporter du bois de chauffage ou de l’eau dans des bidons en plastique. Car l'approvisionnement en électricité et en eau s’est effondré à Pokrovsk.
Le désespoir des habitants restés sur place est palpable, d’autant plus que les bombes planantes et les obus d’artillerie s’abattent quotidiennement sur la ville. Les Russes se sont rapprochés à moins de quatre kilomètres de la périphérie de la ville.
Leur objectif semble être de détruire chaque véhicule en ville à l’aide de leurs drones. Certains de ces engins mortels sont équipés d’un réservoir volumineux, d’où se déploie un fin câble en fibre optique. Ce système permet aux pilotes de contrôler la trajectoire sans que les nombreux brouilleurs ukrainiens n’interfèrent avec les signaux de commande et de transmission vidéo.
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Des civils sont également victimes des attaques de drones, comme ce fut récemment le cas pour un bénévole britannique. L'homme de 28 ans se trouvait à Pokrovsk avec un Ukrainien dans un véhicule clairement identifié par le mot «évacuation» afin de sauver deux civils. Néanmoins, la camionnette blanche avec l'inscription rouge a été touchée par un drone. Le Britannique a survécu, mais il a dû être amputé d'un bras et d'une jambe.
Pokrovsk et la ville voisine de Mirnograd étaient autrefois relativement prospères grâce à l’exploitation du charbon. Par crainte des drones, nous nous aventurons uniquement dans le centre-ville, désormais presque désert, évitant les quartiers sud. Pour y accéder, nous devons traverser une à une les voies de la gare, les Russes ayant détruit tous les ponts routiers.
Les voies ferrées sont obstruées par des débris, interrompant ainsi l’acheminement du charbon et, par conséquent, l’exploitation minière. Avant la guerre, l’agglomération comptait environ 120 000 habitants. Si les Russes venaient à s’emparer de ces localités, ce serait leur plus grande victoire depuis la prise du port de Marioupol au printemps 2022.
Depuis plus de six mois, les soldats de Poutine tentent d’encercler les deux villes, sans y parvenir jusqu’à présent. Selon des observateurs occidentaux, les Russes auraient toutefois coupé la «route stratégiquement importante» reliant Pokrovsk à Kostiantynivka, située au nord-est. En effet, l'armée russe s'est rapprochée de cet axe routier. Toutefois, dès l'été dernier, les Ukrainiens ont réactivé d'autres routes plus au nord. L'approvisionnement vers Pokrovsk et Kostiantynivka se poursuit donc sans entrave.
Les Russes n'ont pas non plus réussi à interrompre la liaison entre la ville disputée et l'ouest du pays. Ils se sont certes rapprochés de quelques kilomètres, mais là aussi, les Ukrainiens ont pris les devants à temps: il existe désormais également des liaisons alternatives qui permettent de maintenir le flux de circulation entre la grande ville de Dnipro, plus à l'ouest, et Pokrovsk.
Au sud de Pokrovsk, les Russes ont connu plus de succès, notamment parce que les fortifications ukrainiennes y étaient principalement conçues pour repousser des attaques venant du sud. Or, les envahisseurs sont arrivés de l’est et ont, par moments, progressé sans grande résistance.
Tirant les leçons de cette faille, les Ukrainiens ont adapté leurs nouvelles lignes de défense, désormais conçues pour une protection à 360 degrés. Autour de Pokrovsk, pelleteuses et ouvriers ont construit des positions fortifiées en prévision d’un éventuel encerclement total par les Russes. L’ampleur des fortifications érigées ces derniers mois est impressionnante.
Le commandement militaire ukrainien estime que les Russes ont rassemblé entre 50 000 et 70 000 soldats au sud de Pokrovsk. Néanmoins, l'avancée s'est nettement ralentie au cours des dernières semaines. Mais ce ralentissement est peut-être aussi lié au fait que les Russes sont désormais occupés à préparer une nouvelle offensive de grande envergure. La bataille de Pokrovsk est actuellement de loin la plus importante en Ukraine.
Cependant, même avec 70 000 hommes, les Russes sont loin d’avoir trois fois plus de soldats que les Ukrainiens. Dans cette situation de déséquilibre des forces, une percée majeure semble peu probable. De plus, les images de tanks et de véhicules diffusées sur les chaînes russes laissent supposer que ce ne sont pas les hommes qui manquent aux forces de Poutine, mais surtout les véhicules adaptés pour mener les combats.
Entre-temps, les Ukrainiens ont — toujours selon des sources russes — lancé une nouvelle offensive dans la région russe de Koursk. En outre, les premiers avions de combat français Mirage 2000 viennent d'arriver en Ukraine. Jusqu'à présent, les Russes n'ont pas réussi à chasser les Ukrainiens de Koursk, ni à conquérir les principales villes ukrainiennes du Donbass. Près de trois ans après le début de l'invasion, Poutine n'a atteint aucun de ses objectifs.
Le «plan de paix» tant vanté par le président américain Trump tarde toujours à voir le jour. Keith Kellogg, le représentant spécial des Etats-Unis pour l'Ukraine, a démenti que Trump présenterait ce plan lors de la Conférence de Munich sur la sécurité qui débute à la fin de la semaine prochaine. Il s'agit plutôt, selon lui, de recueillir des idées et des opinions lors de discussions avec les Européens, pour les soumettre ensuite au président américain. Il ne semble pas que des négociations de paix ou même un cessez-le-feu soient envisagés dans un avenir proche.
Il y a quelque temps déjà, Trump a dû revoir sa promesse hâtive de mettre fin à la guerre dès le premier jour de son second mandat. Désormais, il estime qu'il faudrait plutôt six mois pour y parvenir, tandis que son représentant spécial prévoit de présenter des résultats dans les 100 premiers jours suivant l'investiture. D'ici là, la bataille pour Pokrovsk devrait se poursuivre sans relâche.
Traduit et adapté par Noëline Flippe