Kharkiv est une «ville héroïque». Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a décerné ce titre à la ville de plus d'un million d'habitants du nord-est du pays en mars dernier. Les soldats ukrainiens avaient réussi à repousser les tentatives russes de s'en emparer dès le début de la guerre d'agression menée par la Russie. La ville a ensuite été le point de départ de la contre-offensive ukrainienne réussie de l'été 2022.
Mais Vladimir Poutine n'a visiblement pas encore abandonné définitivement son plan de conquête de Kharkiv. Ces derniers temps, la Russie tire régulièrement des missiles et des drones sur la cité, située à 30 kilomètres à peine de la frontière entre l'Ukraine et la Russie.
Il y a eu au moins sept attaques aériennes importantes et des dizaines de personnes ont été blessées. Koupiansk, située à une centaine de kilomètres à l'est, et les villages environnants subissent également des attaques russes continues. Mardi, les autorités régionales ont ordonné l'évacuation d'environ 3000 personnes de la région.
Des experts du think tank américain Institute for the Study of War (ISW) et un rapport du journal britannique The Telegraph estiment donc qu'une nouvelle offensive russe en direction de la ville pourrait être imminente. Selon eux, il est possible que Poutine veuille ainsi créer un symbole avant les prochaines élections présidentielles de mars en s'emparant de la ville de Kharkiv. Les lourdes attaques aériennes pourraient donc servir à préparer l'offensive. Quelle est la probabilité d'un tel scénario?
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Selon le colonel Markus Reisner de l'armée autrichienne, ces alertes relèvent, pour l'instant, surtout de la spéculation et ne sont guère étayées par des faits. «Jusqu'à présent, on n'a en tout cas pas observé de grands mouvements de troupes dans la région», déclare Markus Reisner dans un entretien avec t-online. Et pourtant, il n'est guère possible de nos jours de dissimuler aux satellites et drones des formations de troupes importantes.
De telles images satellites de mouvements de troupes ont été diffusées par exemple avant les attaques russes dans l'est de l'Ukraine en 2014, mais aussi avant l'invasion russe de février 2022. «Aujourd'hui, l'Ukraine met en garde, mais ne présente aucune preuve», explique le colonel.
«Il pourrait donc s'agir d'un simple message alarmiste», suppose l'expert militaire. Car l'Ukraine se trouve cette année dans une situation difficile: elle a plus que jamais besoin du soutien de l'Occident.
Les Etats-Unis, en particulier, sont actuellement un partenaire difficile. Compte tenu des élections présidentielles américaines prévues en novembre, Washington semble actuellement paralysé en ce qui concerne le soutien à l'Ukraine. «Il est possible que l'on essaie ainsi de secouer les alliés occidentaux», explique Markus Reisner à propos des avertissements ukrainiens.
Cette année, l'Ukraine s'était fixé pour objectif de rester avant tout sur la défensive et d'user ainsi les troupes russes.
Et pour pouvoir se défendre avec succès, l'Ukraine a absolument besoin de nouvelles livraisons d'armes de l'Occident.
Mais la Russie doit désormais elle aussi remporter des succès, ses troupes sont soumises à une forte pression. «Les Russes progressent lentement mais régulièrement, au prix de lourdes pertes dans plusieurs régions», prévient-il. L'offensive hivernale pourrait, toutefois, encore échouer. Et une attaque sur Kharkiv comporte également des risques, explique l'expert militaire:
Il n'est toutefois pas exclu que la Russie ait des projets de conquête de Kharkiv. Les lourdes attaques aériennes pourraient tout à fait servir à préparer une offensive. Mais il est également possible qu'il s'agisse d'une opération russe pour semer la terreur dans la population civile ukrainienne. Le spécialiste autrichien soulève:
Kharkiv au moins serait une cible attrayante pour Poutine. Ce n'est pas pour rien que le Kremlin voulait s'emparer de cette ville de plus d'un million d'habitants dès le début de son invasion.
Désormais, Kharkiv est considérée comme une «ville héroïque», un symbole qui ne devrait pas plaire à Poutine. Les habitants ne semblent pas vouloir abandonner ce statut. En mars prochain, la première école souterraine devrait être mise en service en raison des attaques aériennes russes continues dans la ville. Plusieurs salles de classe ont déjà été déménagées dans le métro de la grande ville. A tour de rôle, plus de 1000 jeunes écoliers apprennent actuellement dans environ 65 classes sous-terraines.
Mais c'est toute l'Ukraine qui est actuellement sous pression. De violents combats ont lieu notamment autour de Koupiansk, mais aussi dans la région de Donetsk.
Bakhmout a été rasée, à partir d'août 2022, par des mois de combats. La Russie, notamment avec l'aide de mercenaires du groupe Wagner, a d'abord tenté d'encercler la ville pendant des mois, puis l'a déclarée entièrement occupée en mai 2023. L'Ukraine a ensuite reconquis au moins une partie de la ville.
L'Ukraine semble également avoir essuyé un revers à Mariinka, une banlieue à l'ouest de la ville de Donetsk. Selon les rapports, la localité est entièrement tombée aux mains de la Russie.
Des nouvelles plus positives nous parviennent d'une autre banlieue de Donetsk, qui a également été âprement disputée: «La grande attaque russe visant à conquérir entièrement Avdiivka a échoué», écrit l'expert en sécurité Nico Lange sur son blog. La Russie aurait perdu près de 20 000 soldats dans la bataille pour la petite ville. En parallèle, 500 véhicules militaires tels que des chars de combat, des chars de grenadiers ou des obusiers ont été détruits.
Nico Lange reconnaît également une lente avancée russe: «Depuis que la Russie a repris l'initiative le long de toute la ligne de front à la fin de l'année 2023, les forces russes progressent sur plusieurs sections du front». Reste à savoir comment l'année 2024 se terminera pour l'Ukraine. Beaucoup dépendra du soutien occidental.