L'attaque a été une surprise totale pour la Russie. Avec de l'infanterie, des chars et d'autres équipements lourds, des unités ukrainiennes ont avancé, le 6 août dernier, de la région ukrainienne de Sumy vers la région de Koursk en traversant la frontière russe. «Nous étions parmi les premiers soldats à entrer en Russie», se souvient le soldat ukrainien Volodymyr dans un entretien avec le Financial Times. La première unité russe qu'ils ont rencontrée «était assise dans la forêt et buvait du café». Selon lui, les Russes ne s'attendaient pas à une attaque ukrainienne.
Alors que les soldats de Kiev avançaient en Russie, les dirigeants politiques du Kremlin ont eux aussi réagi avec hésitation. «La Russie a sous-estimé le danger que représentait l'Ukraine», explique l'expert en Europe de l'Est Andreas Umland.
👉Suivez en direct la guerre contre l'Ukraine👈
Selon cet expert de la Russie post-soviétique, Poutine ne s'est pas basé sur une attaque contre la Russie. Le Kremlin a considéré que «le territoire de l'Etat russe était sacré», poursuit-il.
L'armée russe a eu besoin de temps pour s'adapter aux combats en Russie. Alexey Tikhomirov, historien et spécialiste de la Russie à l'université de Bielefeld, explique cela par plusieurs raisons.
Car Poutine prend lui-même toutes les décisions opérationnelles, mais sans expérience militaire. «Il s'appuie sur des partisans loyaux dans son cercle interne - comme le montre la nomination d'Alexeï Dyumin comme responsable de l''organisation antiterroriste' dans la région de Koursk», explique Tikhomirov: «Mais jusqu'à présent, il n'a pas réussi».
Andreas Umland estime, de son côté, que l'offensive ukrainienne en Russie met en péril la position de force du maître du Kremlin:
Le dirigeant russe a rompu l'une de ses principales promesses à la population. «Jusqu'à présent, le Kremlin a présenté la guerre contre l'Ukraine comme une mesure antiterroriste contrôlable. Mais avec l'attaque de Koursk, c'est une véritable guerre pour la population russe».
Pour Poutine, c'est le gros problème, explique Alexey Tikhomirov: «L'avancée ukrainienne est perçue comme une humiliation par la population». Des vidéos montrant des troupes ukrainiennes en train de capturer des soldats russes ont circulé sur les canaux Telegram. Dans ces vidéos, on verrait également des soldats agenouillés montrant des panneaux «Slava Ukraini» («Gloire à l'Ukraine»). D'après notre expert, cela constitue une véritable honte pour la Russie, car cela remet en question le récit officiel du Kremlin qui considère que les Russes sont puissants et les Ukrainiens faibles.
Toutefois, l'avancée sur Koursk ne signifie pas la fin du règne de Poutine, selon Alexey Tikhomirov. La Russie dispose de plusieurs options pour faire face à la crise.
En outre, la coopération avec la Chine, l'Iran et la Corée du Nord permettrait à la Russie de combler ses déficits militaires en termes de matériel et de contourner les sanctions occidentales.
La Russie va désormais tenter de repousser militairement les Ukrainiens hors de son territoire le plus rapidement possible, notamment avec l'aide des combattants tchétchènes de Ramzan Kadyrov. La télévision d'Etat russe se concentre, en revanche, sur l'aide apportée aux réfugiés russes de la région de Koursk. Poutine ne veut pas dramatiser la situation militaire afin de ne pas perdre la face sur le plan de la politique intérieure.
Alexey Tikhomirov met généralement en garde contre une sous-estimation de Poutine dans cette situation: «Nous avons déjà vu plusieurs organisations dites antiterroristes, notamment en Tchétchénie, dans lesquelles la vie de la population civile comptait peu pour les dirigeants du Kremlin. Pour eux, il s'agit d'anéantir les combattants ennemis», explique l'expert.
Andreas Umland explique: la Russie doit maintenant obtenir rapidement des succès militaires. «Si les Ukrainiens s'enlisent maintenant et que la bataille pour Koursk dure des semaines ou des mois, ce serait très embarrassant pour Poutine», explique l'expert. Il existe toutefois une possibilité pour le Kremlin de se tirer galamment de l'ornière: «Si la Russie repousse rapidement l'attaque ukrainienne, cela peut être une démonstration de force, une victoire pour Poutine».