C'est avec ce puissant accent irlandais qu'il n'a jamais réussi à effacer que le cardinal Kevin Farrell a annoncé la nouvelle. «Ce matin à 7h35, l'évêque de Rome, François, est rentré à la maison du Père», a-t-il annoncé dans un communiqué par vidéo, publié par le Vatican. Dès l'instant où le pape a poussé son dernier soupir, cette figure puissante, mais méconnue du Vatican s'est ainsi retrouvée projetée sur le devant de la scène mondiale.
Et pour cause. C'est un lourd fardeau, confié par François lui-même, qui pèse sur les épaules de ce petit personnage de 77 ans au visage rond et au front dégarni: prendre les rênes de l'Eglise et de ses 1,4 milliards de fidèles en tant que chef temporaire, aussi longtemps que durera la «Sede Vacante» - la «chaise vide», du nom de cette période de transition durant laquelle aucun pape n'est installé sur le siège de Saint-Pierre.
Plus concrètement, c'est au camerlingue, car c'est son titre, de superviser toutes les traditions et protocoles qui accompagnent la mort d'un pape. De la confirmation officielle du décès à la destruction de l'anneau du défunt, en passant par la mise sous scellé de sa résidence.
Sans oublier de superviser les préparatifs du prochain conclave, ce processus secret et fantasmé destiné à élire un nouveau pontife. Au camerlingue de veiller au bon déroulement et à la confidentialité absolue du vote qui se tiendra à huis clos dans la chapelle Sixtine.
Né dans une famille ouvrière d'Irlande, ce garçon pas très sportif, mais «très, très brillant» selon les mots d'un camarade de classe de l'époque, s'est vite trouvé une vocation.: la prêtrise.
Vers 13 ou 14 ans, Kevin et son frère aîné Brian rejoignent les Légionnaires du Christ, un ordre religieux ultra-conservateur. Pour la plus grande joie de leur mère, catholique fervente qui rêvait de voir au moins l'un de ses fils ordonné prêtre. Ils feront encore mieux, en accédant tous deux au rang d'évêque.
Après des études de théologie en Espagne et à Rome, c'est vers le continent américain que se tourne Kevin Ferrell. D'abord aumônier universitaire au Mexique, il déménage à Washington en 1983. Il ne repartira plus des Etats-Unis pendant trente ans.
Son accent irlandais reste d'ailleurs encore largement perceptible lorsque, devenu évêque du diocèse catholique de Dallas, il prononce la prière d'ouverture lors des 50 ans de l'assassinat du président JFK. C'est la toute première fois depuis sa mort que la ville de Dallas franchit le pas d'une commémoration.
«Je n'aurais jamais pu imaginer, jamais dans mes rêves les plus fous, que je me tiendrais sur la butte herbeuse pour prononcer cette oraison», confie Kevin Ferrell, lui-même âgé de 16 ans au moment de l'attentat, au Irish Times.
Devenu citoyen américain, «Kevin de Dublin» ne reprendra la direction de l'Europe qu'en 2016, à la demande du pape François, pour devenir préfet du dicastère pour les laïcs - un poste créé peu de temps après avoir été nommé pontife.
Une nomination qui le laissera pour le moins incrédule, comme le prouve une anecdote racontée lors d'une conférence de presse. Quand son assistante l'informe que le souverain pontife est au téléphone et souhaite lui parler...
Bien qu'il ait la réputation d'être un homme chaleureux, épris de justice sociale et modéré sur les questions doctrinales, à l'instar du pape François, Kevin Ferrell traîne également quelques polémiques.
Si ses positions conservatrices sur le mariage homosexuel et le droit à l'avortement déplaisent aux progressistes, c'est surtout sa décision d'interdire à l'ancienne présidente irlandaise, Mary McAleese, de prendre la parole lors d'une conférence au Vatican, en 2018, qui a lui a valu de nombreuses critiques. L'intéressée, «profondément blessée», n'a jamais obtenu d'explication officielle sur son exclusion.
Citons également ses liens d'amitié avec Theodore McCarrick, le premier cardinal «défroqué» par le pape en 2018, à la suite d'allégations de violences sexuelles. Les deux hommes avaient travaillé en étroite collaboration, au point que l'ancien prélat soit considéré comme son mentor. C'est lui qui avait poussé le Vatican à nommer le cardinal Farrell en tant qu'évêque auxiliaire.
Interrogé sur les agissements présumés de son ancien collaborateur, il s'était notamment défendu sur CNN:
Des questions sensibles qui n'empêchent pas l'irrésistible ascension de cet homme d'Eglise aux côtés du pape François, dont il restera un fidèle partisan jusqu'à la fin.
S'il y a peu de chances que ce «pape par intérim» soit lui-même élu par ses pairs, nous ne sommes jamais à l'abri d'une surprise: le dernier camerlingue à avoir accédé à la fonction suprême était le pape Pie XII, en 1939 - précédé de Léon XIII, en 1878.
Et même s'il est loin d'être le favori des bookmakers, Kevin Farrell n'en restera pas moins camerlingue encore quelques années. En attendant, l'Irlandais de souche ne chômera pas. Le conclave doit commencer début mai. Et il se prolongera jusqu'à ce qu'un nuage de fumée blanche, signe que les cardinaux ont élu un nouveau pontife, s'élève dans le ciel de Rome.