C'est avec une inquiétude grandissante que Halyna Mouliar, une Ukrainienne de 58 ans vivant en Pologne, a suivi la campagne présidentielle du pays, voyant les candidats se tourner de plus en plus à droite et prendre en grippe les nombreux réfugiés ukrainiens.
Arrivée en Pologne quelques semaines avant l'invasion de l'Ukraine par Moscou en 2022, elle se rappelle, avec émotion, l'énorme solidarité des Polonais lorsqu'un train d'évacuation venant de sa ville de Mykolaïv (sud de l'Ukraine) entrait en gare, avec sa fille à bord.
Trois ans plus tard, la rhétorique anti-ukrainienne est devenue monnaie courante en Pologne. Ce weekend, les Polonais ont élu à la présidence le nationaliste Karol Nawrocki qui, tout au long de sa campagne, a remis en question les droits des Ukrainiens en Pologne.
Pour rappel, quelque 1,5 million d'Ukrainiens, dont près d'un million de réfugiés, vivent dans ce pays.
Selon le nouveau président Nawrocki, les prestations sociales sont «avant tout destinées aux Polonais», et donc ils devraient, par exemple, «avoir la priorité» dans les files d'attente chez les médecins et dans les hôpitaux.
Il a notamment reproché à Kiev de ne pas avoir «fait preuve de gratitude pour ce que les Polonais ont fait», et a accusé le président Volodymyr Zelensky d'«insolence» à l'égard de la Pologne, des arguments souvent utilisés par l'extrême droite polonaise.
Son rival, le pro-européen Rafal Trzaskowski, avait exhorté à ne pas céder aux «discours russes» sur l'Ukraine, mais, sous la pression de l'extrême droite, avait tout de même proposé de réduire certains avantages accordés aux réfugiés.
Pour Mouliar, l'ambiance s'est gravement détériorée. De nombreux Ukrainiens en Pologne subissent des procédures bureaucratiques plus longues pour légaliser leur séjour:
Et puis les réseaux sociaux ont tellement foisonné de contenus anti-ukrainiens qu'elle préfère ne plus les ouvrir. Elle dit même avoir été victime de commentaires xénophobes dans les magasins.
Et elle n'est pas la seule. Les Ukrainiens à Varsovie sont eux aussi préoccupés, comme ils en témoignent. Olena Babakova, une observatrice des relations polono-ukrainiennes, estime pour sa part que:
Bien que le thème des migrants ait dominé les campagnes électorales dans ce pays catholique conservateur depuis des années, Babakova souligne une nouveauté:
C'était doublement dur dans la mesure où le camp pro-Union européenne a également flirté avec cette rhétorique. Elle déclare que ce constat lui a «enlevé tout espoir». Selon elle, les travailleurs ukrainiens dans le secteur des services, principalement des femmes, seront les plus affectés par cette tendance.
La réfugiée Olga Klymenko, qui travaille dans un hôtel, en fait partie, elle qui a fui l'occupation russe en 2022, s'échappant de la ville d'Izioum sous les tirs, avant de trouver asile en Pologne:
Comme de nombreux Ukrainiens, elle s'inquiète de son statut en Pologne:
La victoire de Nawrocki a en outre renforcé les chances d'une montée de l'extrême droite aux élections législatives de 2027, s'inquiète-t-elle:
Avec une population vieillissante et une économie en plein essor, la Pologne est fortement dépendante de la main-d'œuvre ukrainienne, qu'elle accueille depuis des années.
Mais même les Ukrainiens y vivant depuis longtemps sont troublés par la campagne électorale. Yulia Melnyk, qui travaille pour une entreprise de transport et vit en Pologne depuis sept ans, est convaincue que ce sentiment anti-ukrainien est suscité «d'en haut» et que «c'est pratique pour les politiciens d'utiliser ce genre de sujets».
Elle a dit avoir vu «beaucoup de haine» sur Internet, mais jusqu'à présent ne pas l'avoir ressentie dans son quotidien. Le cuisinier Serhiy, qui vit à Varsovie depuis six ans, espère que la rhétorique se limitera à la période électorale, et attend de voir ce que Nawrocki fera en tant que président. L'homme de 28 ans déclare: