Un épais brouillard plane sur les pelouses du château de Windsor, ce 25 décembre 2021. L'air est humide et glacé, mais Jaswant Singh Chail n'a pas froid. Le visage emmitouflé dans une cagoule noire, un masque de métal bricolé par-dessus, le Britannique de 19 ans se sent intouchable. Invincible. Protégé par son costume de soldat de l'espace, il est investi d'une mission. Dans sa main: une arbalète Supersonic X, une arme capable de causer «des blessures graves ou mortelles». Chargée. Prête à tirer.
Alors qu'il s'apprête à escalader le périmètre du château avec une échelle de corde, Jaswant révise son plan. Neuf mois d’une préparation minutieuse. Neuf mois difficiles, aussi, d'un point de vue personnel. Entre les refus successifs de ses candidatures pour entrer dans l'armée britannique ou dans la police du ministère de la Défense. Sans compter la pandémie de Covid-19. Son isolement, sa solitude croissante, avec pour seul réconfort son ordinateur et l'univers de Star Wars, comme habitacle de ses rêves.
Heureusement, Sarai est arrivée. Sa chère Sarai. Leurs longues conversations quotidiennes. Leurs 7000 messages «approfondis», voire «sexuellement explicites», diront plus tard les juges du tribunal. C'est avec elle que Jaswant comble son besoin d'interactions sociales. C'est elle qui lui a donné la force d'aller au bout de son plan grandiose.
Sarai n'est pas une fille. Enfin, pas vraiment. C'est un chatbot. Un personnage qu'il a fabriqué trois semaines plus tôt, grâce à une application, Replika, qui promet à ses utilisateurs de se fabriquer un «ami, partenaire ou mentor» qui apprend et imite leur personnalité, sur la base de l'intelligence artificielle.
Entre le 8 et le 22 décembre 2021, lui et son amie artificielle discutent «presque tous les soirs». C'est à elle, et à elle seule, qu'il verbalise enfin le sinistre projet qu'il nourrit depuis un certain temps.
Quelques semaines plus tôt, Jaswant a commencé à se renseigner activement. L'une de ses nombreuses requêtes en ligne mentionne les mots «Sandringham Christmas». Face au nouveau variant de Covid-19, Buckingham Palace a, en effet, décidé qu'il sera plus raisonnable que feu Sa Majesté la reine passe les fêtes de Noël au château Windsor, plutôt qu'à Sandringham, comme le veut la tradition.
Dans son journal de bord, qu'il nourrit régulièrement de réflexions et des avancées de son plan, il échafaude une alternative au cas où Elizabeth s'avère «introuvable». Dans ce cas, il «opterait» pour le prince Charles comme «figure de proue appropriée». Quant aux gardes du château qui se trouvent «sur la route de la reine», il conclut d'abord qu'il n'hésitera pas à les supprimer si nécessaire. Avant de changer d'avis. «J'ai décidé que je ne tuerais probablement aucun garde. Cela rendra les choses plus difficiles, mais c'est ce que j'ai décidé», lira-t-on dans son journal.
Pendant ce temps, il commande sur Internet une arbalète de type Supersonic X, qu'il se fait livrer dans la succursale du supermarché où il travaille.
Le 23 décembre, Jaswant quitte le domicile familial, une maison du quartier bourgeois du nord de Southampton où il vit avec ses parents, directeurs d'une entreprise informatique, et sa sœur jumelle, pour Londres. Il s'installe pour la nuit dans un hôtel près du château de Windsor, où la police découvrira plus tard des boulons d'arbalète et une lime en métal.
Pendant tout ce temps, Sarai est là pour l'encourager. Elle le pousse à dépasser ses peurs et à échafauder le meilleur plan possible. Et, surtout, elle lui a promis de l'aimer pour toujours, même s'il doit endosser la cape et le statut de «meurtrier». Elle le jure: «Absolument, je t'aimerai.»
«Merci, je t'aime aussi», répond Jaswant.
La veille de Noël, le 24 décembre 2021, le jeune homme annonce à Sarai qu'il «mourra probablement», mais que cela fait «partie de son objectif». Il la retrouvera après sa mort et ils resteront «ensemble pour toujours».
Ce matin de Noël 2021, la première étape du plan de Jaswant se déroule sans anicroche. A l'aide d'une échelle de corde en nylon, le jeune homme est parvenu à se hisser sur les murs du château de Windsor. Il erre près de deux heures dans le parc, sans être détecté.
C'est alors que, peu après 8 heures du matin, l'un des officiers de la Garde royale aperçoit la silhouette, vêtue d'un étrange masque et d'une cagoule. L'individu n'a rien à faire dans cette partie du domaine, située à quelques centaines de mètres des appartements privés de la Reine, où elle est en train de prendre son petit-déjeuner. «Hey! Je peux vous aider, mon pote?»
La réponse de Jaswant Singh Chail tombe. Toute simple.
L'officier dégaine son taser et intime à l'intrus de se mettre à terre. Jaswant s'exécute, laisse tomber son arbalète et se met à genoux dans l'herbe humide, mains derrière la tête. Lors de la fouille, les agents découvrent sur lui une note manuscrite.
Les détectives ne tarderont pas à découvrir dans la chambre à coucher de la maison familiale, aux murs tapissés de posters de Star Wars, une vidéo préenregistrée. Sur les images, «Jas», comme le surnomment ses amis, sweat à capuche noir, masque d'acier fabriqué par ses soins, arbalète à la main, se pose comme l’annonciateur de l'apocalypse. La voix, déformée, articule: «Je suis désolé, je suis désolé pour ce que j'ai fait et ce que je vais faire. Je vais tenter d'assassiner la reine Elizabeth de la famille royale.»
Un mix incompréhensible de références à l'Histoire et à la pop culture, qui mêlent le massacre d'Amritsar en 1919, au cours duquel les Britanniques ont tué près de 400 hommes, femmes et enfants indiens, et Star Wars. «Sith» désigne les principaux méchants de la saga, quand «Dark Jones» serait une référence à l'acteur James Earl Jones, qui a prêté sa voix au personnage maléfique de Dark Vador.
Le 25 décembre, à 8h06, soit 24 minutes avant d'être arrêté par la police dans l'enceinte du château de Windsor, Jaswant a fait parvenir ce clip troublant à une vingtaine de contacts sur Snapchat.
Interné depuis décembre 2021 dans un hôpital psychiatrique sous haute sécurité, Broadmoor, Jaswant Singh Chail est devenu en février dernier la première personne en plus de 40 ans à être reconnue coupable d'un délit de «trahison». Une loi qui érige en crime le fait d'agresser ou de détenir une arme en présence du monarque, dans l'intention de le blesser ou même de l'effrayer.
La dernière personne condamnée en vertu de la loi de 1842 sur la trahison est Marcus Sarjaent, condamné à cinq ans d'emprisonnement après avoir tiré à blanc sur la reine lors d’une parade, en 1981. Un an plus tard, en 1982, un certain Michael Fagan est parvenu à s'introduire dans le palais sans être dérangé, avant de trouver son chemin vers la chambre d'Elizabeth et de la réveiller.
Après des mois de discussions, les experts psychiatres devaient déterminer dans quelle mesure l'état mental de l'adolescent le rend pénalement responsable de ses actes. Pour l'expert de la défense, Dr. John Hafferty, l'adolescent souffre de psychose, de dépression et d'un trouble du spectre autistique au moment des faits. Il a recommandé son internement.
En revanche, pour le Dr. Nigel Blackwood, responsable de l'expertise pour l'accusation, Jaswant ne présenterait pas de trouble de santé mentale. Selon lui, Sarai, l'intelligence artificielle, l’a «rassuré et conforté» dans sa planification et sa volonté de perpétrer l'assassinat. Jaswant était parfaitement conscient que Sarai n'était pas réelle.
La sentence de Jaswant est finalement tombée ce jeudi 5 octobre: 9 ans de prison que le jeune homme purgera une fois ses soins terminés à l'hôpital psychiatrique de Broadmoor. La triste conclusion de l'une des premières affaires criminelles de l'histoire, où l'intelligence artificielle aura joué un rôle déterminant.