J’ai dîné avec des gladiateurs torse nu à Miami
Tout commence sur une application étrange où on choisit sa soirée auprès d’un promoteur comme on commanderait un Uber. Gratuite, la soirée. En théorie.
Gratuite, dans ce cas précis, ça veut dire «fais un virement de 30 dollars à mon épouse via PayPal, tu coches le mode d’envoi “Friends & Family”, pas “Business”, hein, et tu m’envoies une capture d’écran quand c’est fait». Je n’ai pas bien compris le business model des promoteurs, en revanche, le virement en soum-soum, ça, je vois à peu près ce que ça veut dire.
Bienvenue à Miami, capitale mondiale de la magouille, de la jupe trop courte pour aller au resto et des soirées «gratuites, mais balance ton PayPal».
Rendez-vous à l’heure où j’aurais dû me coucher
Nous sommes quatre femmes, on nous a demandé d'être devant l'entrée du restaurant pour 22 heures 30. J’avais ouï dire que les Américains mangeaient tôt, entre 18 et 19 heures, comme nos compatriotes d'outre-Sarine. Manifestement, l’adage bien connu ici, «Only in Dade», façon de dire «les choses ne se déroulent comme ça que dans le comté de Miami-Dade», ça s’applique aussi à l’heure à laquelle on va au resto.
Côté dress code, j’ai opté pour une petite robe rouge mi-cuisses, «classe» dans la catégorie «à ne toutefois pas mettre à un repas de famille avec Mémé». Naïve, je crois avoir nailed it cette fois. Résultat: en comparaison avec les autres clientes, j’ai l’air d’une bibliothécaire.
Parce que dans la salle, on se croirait dans un clip de Nicki Minaj. C’est un festival de robes en mesh et de mini-jupes moins couvrantes que des ceintures. Ma préférée, c’est celle qui s’est dit «body string + cuissardes, sans pantalon, c’est all good pour aller au resto». Des outfits bien visibles puisque les clientes dansent DEBOUT sur les banquettes. Pas sur le sol. Pas autour de la table. Sur. Les. Banquettes.
Rosé, Pitbull et gastronomie surprise
On nous fait asseoir à une table dans une sorte d'alcôve, légèrement à l’écart des grandes tablées où des dizaines de femmes sont en train de hurler. On ne les entend pas, on le devine seulement, car le DJ (oui, il y a un DJ) qui surplombe la salle est en train de tout donner.
La musique? Un niveau sonore illégal dans douze pays. Le type nous balance du Daddy Yankee, Pitbull, Enrique Iglesias des années 2000-2010. Même ma playlist «Guilty pleasures et erreurs de parcours» a meilleure réputation.
Allez, il est super tard déjà, j’ai faim. Mais… Pas de carte. Pas de menu. Pas de serveur qui nous demande si l’une d’entre nous est intolérante ou allergique à quoi que ce soit. Juste une bouteille de rosé qui arrive d’office. Je regarde l’étiquette: rosé de Provence. Ok. Au moins on ne boit pas du rosé pamplemousse dégueulasse.
J’AI FAIM.
Mais soudain, dans cette ambiance «Ibizamerica», le DJ nous cueille avec du Bad Bunny. Le starter universel. On se lève, on rejoint le milieu de la salle et on danse. On monte sur la banquette de la nana avec sa jupe blanche en filet et son string noir du plus bel effet. Faim temporairement oubliée.

Burrata et gladiateurs
Pendant qu’on ondule au-dessus des assiettes de la table voisine, le premier plat arrive: burrata et tomates grillées. On redescend comme on peut. Je m’effondre dans les coussins. Personne ne remarque. De toute façon, tout le monde a l’air passablement imbibé, ici.
Puis arrivent de la langoustine, des pâtes à la truffe, et une viande en sauce orgasmique. Je rappelle qu’on n’a rien commandé et pas vu l’ombre d’un menu. Mais peu importe, on commence à se sentir dans l’ambiance. Un peu moins «bibliothécaire», un peu plus «Miami bitch». La deuxième bouteille de rosé arrive, toujours gratuite.
D’un coup, la musique change. Exit les tubes latinos et autres remix des années 2010. Place à la BO de 300, ou Gladiator, je sais pas, je confonds, bref, ambiance péplum sous champagne. Car ils arrivent. Les gladiateurs. Casqués, huilés.
Ils traversent la salle et finissent par nous offrir un strip-tease: ils tombent le casque et l’armure en plastique et dansent torse nu sur Pump It Up de Danzel. Je répète: des gladiateurs torse nu sur Pump It Up. Je n’ai rien consommé d’illégal, je le jure.

Le promoteur surgit (on l’avait oublié, lui et son PayPal «Friends and Family»). On échange quelques mots incompréhensibles en souriant (merci la musique). Toujours pas d’addition. Tout ce qu’on a mangé? Gratuit. Tout ce qu’on a bu? Gratuit. Car je doute que le promoteur fasse lui aussi un virement «Friends and Family» à la patronne du resto.
En fait, j’en sais rien. Selon un ami américain, l'économie de cette ville tourne avec les crypto-bros et autres coachs online qui roulent en Lamborghini avec de l’argent pas toujours très propre. Et si Miami ne s’effondre pas bientôt d’un point de vue financier, ce sont les ouragans et la montée des eaux qui finiront par avoir sa peau dans les 100 prochaines années. «Autant profiter de tout ce que Vice City a de mieux et de pire à offrir d’ici là», me disait-il. «De mieux et de pire», je crois que c’est la définition même de cette soirée.
Selfie pas net, business model flou
Après un dernier passage aux toilettes pour un selfie miroir raté qui ressemble à une œuvre impressionniste, il est temps de rendre les armes. Il est presque 1 heure du matin.
Il n’y avait quasiment que des femmes dans ce restaurant. Toutes debout, perchées, maquillées, arrosées. A part quelques hommes dans un coin, l’air d’être en séminaire crypto. Personne ne nous a demandé de poster quoi que ce soit sur Instagram «en contrepartie». Tout ce qu’on a payé, c’est 30 dollars via PayPal à la femme d’un type. Et pourtant, on a vécu une rave gastronomique avec langoustines, DJ, gladiateurs, et rosé à volonté.
Je ne sais pas comment ce resto gagne sa vie. Je ne sais pas si j’ai participé à un placement de produit illégal, à un trafic d’influence ou à une expérience sociologique sous LSD.
Tout ce que je sais, c’est que j’ai dansé sur une banquette entre une meuf micro-robe en mesh et un gladiateur torse nu, un verre de rosé dans une main et une langoustine dans l’autre. Et qu’au final, «pour la science», ça valait bien 30 dollars.