Voici près d'un an qu'Evguéni Prigojine a été descendu dans son jet privé en Russie, mais les affaires du groupe Wagner roulent toujours. Désormais sous le contrôle du ministère russe de la Défense, il a été renommé Africa Corps et mène – comme son nom l'indique – des missions de mercenariat en Afrique, au Sahel principalement, bien qu'il soit aussi présent en Libye ou au Soudan.
Comment nommer Wagner en 2024? «Un des noms serait l'Africa Corps, mais les mercenaires sur place portent encore des tatouages ou des patchs de Wagner sur leurs uniformes», relève Dimitri Zufferey, co-auteur du livre Wagner: Enquête au coeur du système Prigojine et membre du collectif All eyes on Wagner, spécialisé en renseignement open source (Osint) et qui traque les activités du groupe de mercenaires russes.
Engagée dans le pays par le gouvernement lors du départ des troupes françaises, fin 2021, la troupe de mercenaires avait rapidement fait preuve de brutalité envers la population civile dans sa lutte contre les groupes djihadistes. La tension monte au point que la force armée des Nations unies pour le maintien de la paix au Mali, la Minusma, jette l'éponge en juin 2023 et quitte aussi le pays.
Dans le même temps, le gouvernement malien veut récupérer le contrôle du nord du pays, l'Azawad, où sont actifs différents groupes rebelles. Parmi eux, les indépendantistes touaregs du Cadre stratégique pour la défense du peuple de l'Azawad (CSP), mais aussi le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), par ailleurs affilié à Al-Quaïda.
Alors que les Français prônaient une politique d'apaisement en donnant plus de droits aux indépendantistes de l'Azawad, la stratégie de Moscou est simple: vendre les services de ses mercenaires au gouvernement malien, quelle que soit la mission, et tenter au passage de faire main basse sur les ressources naturelles présentes dans le pays.
En octobre dernier, l'armée malienne et Wagner mènent l'offensive dans la région désertique de Kidal, au nord-est du Mali, jusqu'à prendre la ville du même nom, le fief des rebelles touareg. Coup dur pour le CSP et le GSIM, qui rassemblent leurs forces dans la zone à proximité de la frontière algérienne.
Wagner en aurait profité pour faire main basse sur des mines d'or artisanales, présentes dans la région, note d'ailleurs All eyes on Wagner. Des gisements d'uranium, présents à cet endroit, intéresseraient aussi les Russes.
Les factions en présence arrêtent alors de s'affronter — pour un temps. En juin, l'armée malienne décide de relancer sa conquête de l'Azawad avec l'aide de Wagner. Elle effectue des sorties régulières au nord-est du pays, à la frontière avec l'Algérie, toujours dans la région de Kidal.
Mais les touaregs du CSP ne comptent pas en rester là. Ils rassemblent leurs forces en attendant le bon moment, scrutant les colonnes russo-maliennes qui patrouillent le désert.
Le 25 juillet, les rebelles passent à l'action. Ils ciblent un convoi qui circule à proximité immédiate de la frontière avec l'Algérie, à Tin Zaoutine. La colonne est composée de 24 véhicules, dont six blindés, pour des dizaines de soldats russes et maliens.
Mais les choses ne tournent pas à l'avantage des rebelles. Le convoi se déploie pour contre-attaquer et une bataille s'ensuit, détaille Le Figaro. Les rebelles tiennent bon, mais une tempête de sable se lève et rend les combats difficiles, jusqu'à la tombée de la nuit.
Ils reprennent le lendemain. Le CSP reprend l'avantage, détruisant notamment deux véhicules blindés. Un hélicoptère de combat russe est appelé en renfort, mais les rebelles ne se laissent pas faire. Sous feu nourri, l'appareil est touché et finit par s'écraser.
Le 27 juillet, les Russes se rendent compte qu'ils n'arriveront pas à vaincre les Touaregs qui sont revenus avec des renforts et seraient «un millier». Ceux-ci lancent également des drones kamikazes dans le combat, une première pour Wagner au Mali.
Le convoi russo-malien décide de se replier vers Kidal. Une poursuite a lieu sur les routes du désert sur une quarantaine de kilomètres. Mais alors qu'ils passent à proximité d'une colline, les mercenaires de Wagner et les soldats maliens sont pris en embuscade par un autre groupe: le GSIM.
Si les deux groupes ne se sont vraisemblablement pas coordonnés, selon Dimitri Zufferey, la situation n'en devient pas moins désespérée pour les mercenaires de Wagner. Les rebelles touaregs en profitent pour les rattraper et les prendre en tenaille. Les Russes et les soldats de Bamako sont acculés de tous côtés. Un dernier message radio envoyé par l'un des commandants du groupe Wagner en témoigne:
A la fin des combats, la fumée se dissipe et laisse apparaître les corps des mercenaires. Plus de 80 d'entre eux ont trouvé la mort ainsi qu'une cinquantaine de soldats maliens. Des vidéos montrant les corps rassemblés ont circulé sur les réseaux sociaux. Du côté des rebelles, les pertes sont bien moins élevées, avec douze tués.
L'Etat-major de l'armée malienne reconnaît «un nombre important» de pertes. Du côté russe, cependant, c'est silence radio, alors même que les mercenaires de Wagner sont désormais soumis au contrôle du ministère de la Défense et que plusieurs d'entre eux ont été faits prisonniers.
Selon Dimitri Zufferey, deux géologues russes ont aussi été capturés. Que faisaient-ils avec les mercenaires de Wagner? Si la réponse n'est pas claire, la présence des mines d'or et de gisements d'uraniums dans la région n'y est certainement pas étrangère. D'autant plus que du personnel de Rosatom, l'agence russe de l'énergie atomique, a déjà été aperçu au Sahel.
Un autre acteur n'a pas perdu de temps pour surfer sur la défaite de Wagner: l'Ukraine. Dans les jours qui suivent l'annonce de la débandade, le renseignement ukrainien révèle avoir aidé les rebelles touaregs dans leur action. Mais pour Dimitri Zufferey, il n'agit ni plus ni moins que d'une récupération des évènements par Kiev. «Il est improbable que l'Ukraine dispose de forces spéciales dans la région qui auraient pu aider le CSP ou le GSIM au sol», précise-t-il.
Quid de l'envoi de renseignements aux chefs touaregs, comme des photos satellites, le tracé du convoi de Wagner ou sa composition? Là aussi, cela ne convainc pas Dimitri Zufferey.
Pour le spécialiste Osint, il s'agit d'une opération de communication, destinée à montrer que le gouvernement ukrainien traquera les Russes partout où il le peut. Mais cette stratégie a provoqué l'effet contraire: mardi, le Mali a décidé de couper ses relations diplomatiques avec l'Ukraine. Kiev tente alors de rétropédaler, mais sans succès. Les Ukrainiens évoquent un «examen approfondi» de l'incident qui n'aurait pas eu lieu, tout en rejetant les accusations de «soutenir le terrorisme international», les troupes du GSIM étant islamistes.
Mercredi, c'était Moscou qui accusait ouvertement Kiev «d'ouvrir un deuxième front au Mali». A Moscou, Poutine doit se frotter les mains. Alors que le Mali s'est isolé de la France et de l'Occident depuis deux ans, la réaction de Kiev a tout pour pousser les officiels et la population malienne un peu plus dans les bras du Kremlin.
Que va-t-il désormais se passer en Afrique de l'Ouest? «Un déploiement de Wagner est évoqué au Tchad», indique Dimitri Zufferey. «Les Américains ont rendu leur base au Niger. Si les Russes, qui ont de bonnes cartes en main, arrivent à la récupérer, ils toucheront le jackpot.»
Dimitri Zufferey pointe un autre élément d'importante: cela fera un an qu'Evguéni Prigojine est mort, le 23 août prochain. Et on le sait: