Poutine a déjà perdu une bataille décisive
Ces derniers mois, les nouvelles en provenance d’Ukraine avaient tendance à tirer vers le pessimisme. L’ambiance générale? Des troupes russes qui reprennent un village, une armée ukrainienne à bout de souffle, un Zelensky de plus en plus autoritaire et impopulaire... et, bien sûr, Donald Trump, toujours aussi imprévisible.
Difficile de décoder Trump avec des critères rationnels. Il y a peu encore, le président américain humiliait Volodymyr Zelensky - et, au passage, toute l’Europe - dans le Bureau ovale. Il lui reprochait de n’avoir «aucune carte en main» et lui conseillait carrément de plier bagage.
Son vice-président J.D. Vance et son ministre de la Défense Pete Hegseth ont enfoncé le clou avant et pendant la Conférence de Munich sur la sécurité, en livrant des prestations désastreuses. Et quand Trump a déroulé le tapis rouge à Poutine en Alaska, le pire semblait se confirmer.
Mais, retournement de veste et changement total de discours:
Il a même qualifié la Russie de «tigre en papier» et a tourné en ridicule son armée:
Et d’ajouter que l’économie russe était «en très grande difficulté».
Faut-il le croire? Trump n’est pas exactement un modèle de constance. Il pourrait dire l’inverse demain matin. Peut-être cherche-t-il surtout à se sortir du piège qu’il s’est lui-même tendu en promettant de «mettre fin au conflit dès le premier jour de son mandat».
Mais il est aussi possible qu’il en ait tout simplement marre d’être instrumentalisé par Poutine. Et s’il a prouvé une chose avec l’Iran, c’est qu’il peut effectivement passer de la menace à l’action. Alors quand Trump jure aujourd’hui qu’il ferait abattre le prochain avion russe qui viole l’espace aérien de l’Otan, il faut peut-être le prendre au sérieux.
Autre hypothèse: les services de renseignement étasuniens auraient fini par lui faire comprendre que Zelensky est en bien meilleure position qu’on ne le pense. Car sur le terrain, l’armée russe peine sévèrement. De plus en plus d’experts militaires estiment que l’offensive estivale a échoué.
Prenons Pokrovsk, par exemple. Cette ville de l’oblast de Donetsk est une position stratégique majeure, qui fait barrage à l’avancée russe dans le Donbass. Pour la prendre, Poutine a misé une quantité démesurée d'hommes et de matériel.
Mais jusqu’à présent, les Ukrainiens tiennent bon. Il y a quelques semaines, les Russes semblaient avoir percé le front, menaçant d’encercler Pokrovsk. Aujourd’hui, ce «succès» ressemble surtout à un cimetière de soldats russes, traqués et éliminés par des drones ukrainiens. Depuis janvier, près de 300 000 soldats russes auraient été tués ou blessés, selon les estimations.
Des pertes qui ne sont en rien proportionnelles aux gains obtenus. L’historien Yuval Noah Harari le résume dans la Financial Times:
Yuval Harari compare la stratégie russe à celle des généraux de la Première Guerre mondiale, qui sacrifiaient des dizaines de milliers d’hommes pour quelques kilomètres de boue. A l’inverse, dit-il, les Ukrainiens agissent de manière pragmatique:
Trump, pour une fois, ne dit pas totalement n’importe quoi. Même sans flotte de guerre, les Ukrainiens ont réussi à chasser les Russes de la mer Noire, à coups de drones bien placés. L’aviation russe, de son côté, n’a jamais su dominer le ciel ukrainien. Elle a même subi une humiliation majeure cet été lorsque plusieurs de ses bombardiers ont été détruits par des drones ennemis.
Poutine ne peut pas compter sur une pénurie d’armes du côté ukrainien. Certes, Trump ne veut plus sortir son portefeuille, mais il accepte de continuer à livrer... si l’Europe paie. Une solution est déjà sur la table. Le chancelier allemand Friedrich Merz propose d’utiliser les avoirs russes gelés pour financer l’effort de guerre ukrainien. On parle d’environ 140 milliards d’euros. Dans la Financial Times, Merz insiste: «Il est impératif d’augmenter systématiquement le coût de l’agression russe.» Il prévoit de soumettre son plan lors du prochain sommet européen à Copenhague.
Et ce n’est pas que l’armée russe qui stagne. L’économie du pays est entrée en récession, certes légère, mais bien réelle. Le boom provoqué par une économie de guerre façon keynésienne est terminé:
Sur ce terrain aussi, les Ukrainiens mènent une guerre stratégique. Ils ciblent systématiquement les raffineries de pétrole russes, privant le Kremlin de l’une de ses principales sources de financement. Depuis août, 38 raffineries russes ont été touchées, et la production a chuté d’un million de barils par jour. Même les sites les plus éloignés ne sont plus à l’abri: l’une des plus grandes raffineries du pays, à Volgograd - à presque 1000 km de Moscou - a récemment été frappée par des drones ukrainiens.
La réponse européenne se poursuit: 18 paquets de sanctions ont déjà été adoptés contre Moscou, un 19e a été voté il y a dix jours. Et les effets commencent à se faire sentir. D’après la NZZ, le Fonds national de prospérité russe - un genre de bas de laine alimenté par les revenus pétroliers - a fondu de trois quarts depuis le début de la guerre.
On dit qu’en haute mer comme en temps de guerre, rien ne se passe jamais comme prévu. C’est aussi vrai pour le conflit en Ukraine: son issue reste aujourd’hui totalement incertaine. Mais une chose, au moins, est claire. Comme le souligne l’historien Yuval Harari, Vladimir Poutine a déjà perdu une bataille décisive, celle des esprits.
Car une guerre ne se gagne pas uniquement sur le champ de bataille. Elle se joue aussi dans les têtes, dans les récits, dans la mémoire collective. Et là, le Kremlin s’est trompé sur toute la ligne. Poutine pensait que l’Ukraine n’était qu’un prolongement de la Russie. Qu’elle n’avait pas d’identité propre. Et que ses troupes seraient accueillies en libératrices.
La réalité lui a infligé un violent démenti:
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich