Olga Zukanowa ne veut pas que son fils unique soit envoyé sur le front ukrainien. Le jeune Russe de 20 ans, qui effectue son service militaire, doit revenir auprès d'elle à Samara, au bord de la Volga. Comme toute «mère ordinaire», elle ne veut pas qu'on lui retire son enfant.
Pour cela, elle s'est associée à un certain nombre d'autres femmes à travers la Russie pour former le «Conseil des mères et des épouses». Depuis septembre, elles se rendent au sein des unités militaires de leurs fils et de leurs maris, écrivent des lettres de réclamation aux ministères ou encore demandent une rencontre avec le président russe Vladimir Poutine.
Ces mères et ces épouses dénoncent les dysfonctionnements de la mobilisation. Elles demandent, par exemple, des bottes plus chaudes ou des armes modernes pour leurs fils. Elles réclament également une meilleure préparation de ces derniers au combat. Mais malgré tout ça, elles affirment ne pas remettre en question l'«opération militaire spéciale», nom officiel de la guerre en Ukraine en Russie.
L'«Union populaire pour la renaissance de la Russie», dont le «Conseil des mères et des épouses» fait désormais partie, milite pour la reconstitution de l'Union soviétique. Elle s'agite contre l'«oligarchie juive» et se prononce contre les antennes de téléphonie mobile 5G et les vaccins Covid.
La plupart de ces femmes affirment ne plus vouloir «se laisser clouer le bec par l'Etat», comme elles le disent, et s'engagent sciemment sur la voie de la conspiration mondiale. Selon elles, «Poutine est un agent de la CIA» qui veut détruire leur pays «au nom de l'Occident» et livrer «le peuple russe» à la «cupidité» de l'Occident.
A ce sujet, Olga Zukanowa, la porte-parole du Conseil, ne veut pas répondre. Elle accepte d'abord un entretien puis le reporte, en invoquant le manque de temps et surtout la loi sur les «agents étrangers» qui a été récemment renforcée. Depuis le 1er décembre 2022, tout Russe qui transmet des informations sur l'armée russe à des personnes extérieures au pays est un «agent» potentiel, car faisant le jeu de «l'ennemi».
C'est pourquoi elle se contente d'inviter les personnes qui le souhaitent à des «conférences de presse» du Conseil qui ont lieu en ligne tous les deux jours. Des réunions où les journalistes ne peuvent pas poser de questions.
Alors, de plus en plus, les mères et les épouses prennent la parole afin de raconter leur histoire. Voici celle d'Olga Zukanowa: son fils s'est engagé en juin dans l'armée comme conscrit (une recrue inexpérimentée), alors que l'«opération spéciale» de Poutine durait déjà depuis plusieurs mois.
En août, un mois après avoir prêté serment, son fils lui a révélé par téléphone qu'on le poussait à signer un contrat de soldat.
Il y a aussi Zinaïda Kurbatova, de la région de Voronej, dont le fils s'est engagé juste après l'annonce de la mobilisation. Il a été tué huit jours plus tard sur le front ukrainien. La mère a d'abord reçu le corps de son enfant, puis, des semaines plus tard, une lettre de son unité militaire indiquant que son fils, mort depuis longtemps à ce moment-là, suivait une préparation pour son engagement au combat.
Irina Tschistjakowa, originaire de Petrozavodsk en Carélie, raconte qu'elle met tout en œuvre depuis des mois pour retrouver son fils Kirill. Elle s'est déjà rendue plusieurs fois dans la zone des combats, a vu de nombreux cadavres, mais n'a pas retrouvé son «garçon». Aujourd'hui, elle pense que son fils est prisonnier des Ukrainiens et que personne ne lui donne d'informations fiables.
Certaines de ces femmes brandissent parfois des dossiers entiers de lettres devant la caméra, réclamant «justice». Mais leurs actions ne plaisent pas à l'Etat. Un tel engagement incontrôlé n'est guère apprécié en Russie. Zukanowa et ses compagnes sont donc poursuivies pour «extrémisme».
Le «Conseil des mères et des épouses» répète souvent le récit officiel selon lequel le Kremlin a été «poussé» par l'Occident à lancer l'«opération spéciale» en Ukraine. Le «peuple en révolte», comme se considèrent les mères de soldats, ne se s'indigne pas contre le régime de Poutine, ni contre la guerre. Il ne fait que critiquer la manière dont la mobilisation est menée.
Elles s'étonnent de la répression qui s'abat sur tous ceux qui pensent différemment. Les autorités les abandonnent et les sanctions remplacent les réponses. Les dirigeants maintiennent les gens dans la pauvreté, l'économie est en panne, l'Etat a pris le monopole de l'information et personne ne s'intéresse aux problèmes individuels des gens.
C'est comme si elles venaient de se réveiller et réalisaient ce qu'il se passe autour d'elles. «Comment est-ce possible?», crient certaines, en pleurs face à la caméra. Pour elles, la faute est aux Etats-Unis, à l'Occident et aux riches.
Elles récitent des théories du complot antisémites, et aucune d'entre elles ne bronche. Selon les membres du Conseil des mères et des épouses, si les dirigeants russes considèrent leurs fils et leurs maris comme des serviteurs de l'État, ce n'est pas la faute de l'État russe, mais de l'Occident. Lequel dicte à l'État russe la manière de détruire le peuple russe. Apparemment, la croyance dans le «grand complot» rend leur désespoir plus supportable.