Plus de vingt Russes et Bélarusses installés en Serbie sont depuis des mois apatrides, ayant renoncé à leur nationalité d'origine pour être naturalisés, avant que Belgrade ne fasse marche arrière et ne les laisse sans nationalité, et sans explication.
La plupart d'entre eux vivent en Serbie depuis plus de 10 ans, ont acheté des maisons, ouvert des commerces, élevé des enfants dans ce pays. Cela fait pour certains deux ans qu'ils ont renoncé à leur nationalité - une condition nécessaire pour devenir Serbe, selon la loi - et aucun n'a reçu de message clair des autorités serbes expliquant ces délais.
«Je suis sans nationalité depuis près d'un an et demi», explique Igor Grishin, un ancien citoyen russe, «et je ne sais pas combien de temps cela va encore durer. Un mois, un an, deux, le reste de ma vie...»
Ce podcasteur de 58 ans vit depuis 11 ans à Sremski Karlovic, dans le nord de la Serbie, avec sa femme et ses deux filles. Toutes trois sont Serbes - son épouse et son aînée ont obtenu la nationalité, et la benjamine est née en Serbie.
Igor Grishin est en contact avec plus de 20 personnes dans sa situation. Celles à qui nous avons pu parler affirment n'avoir jamais publiquement exprimé d'opinion politique qui aurait pu expliquer les réticences de Belgrade. Tous ont achevé toutes les procédures nécessaires et renoncé à leur nationalité d'origine.
«La Serbie nous a confirmé - nous a même garanti - qu'elle nous accepterait si nous renoncions à notre citoyenneté d'origine. Je l'ai fait, je leur en ai donné la preuve, et je me retrouve sans nationalité depuis un an et demi», raconte Sergueï Stets, un ancien Bélarusse installé à Novi Sad (nord) avec sa femme et son fils. Cet homme de 46 ans est originaire de Minsk.
Un temps sélectionneur de l'équipe nationale serbe de VTT, il a dû quitter son poste, ne pouvant plus voyager avec les coureurs. Sa femme, une cavalière et professeure d'équithérapie, est dans la même situation: elle qui avait prévu de travailler dans les Balkans se retrouve coincée en Serbie. En attendant, Sergueï Stets livre des repas à vélo.
Contactée, la police n'a pas répondu. Le bureau du médiateur du gouvernement serbe a expliqué être «au courant de la situation» et ajouté que «l'examen des plaintes était en cours».
«Il n'existe aucune justification au maintien de ces personnes dans ce statut» d'apatride en Serbie, pays signataire des deux conventions de l'ONU sur la lutte contre l'apatridie, explique Rados Djurovic, avocat et directeur du Centre pour la protection des demandeurs d'asile (APC).
Selon lui, plusieurs facteurs pourraient expliquer ces lenteurs, la plupart «n'étant pas connue des citoyens, car elles dépendent de considérations diplomatiques».
En 2023, un projet de loi réformant la citoyenneté - censé simplifier les démarches pour les étrangers - a été retiré sous pression de l'Union européenne. L'UE, à laquelle la Serbie est candidate, craignait que l'assouplissement des conditions d'octroi de la nationalité ne permette à des Russes devenus Serbes d'entrer sans encombre sur son territoire, en vertu du régime d'exemption de visa entre la Serbie et l'UE.
La Serbie n'a en effet jamais coupé ses liens avec Moscou, même après l'invasion russe de l'Ukraine. Elle est dans le même temps devenue pour des dizaines de milliers de Russes une échappatoire à la guerre. Ils seraient entre 80 000 et 110 000 installés en Serbie, selon une étude publiée en février par le Belgrade Centre for Security Policy (BCSP). Mais certains Russes ont, eux, obtenu la nationalité serbe en des temps records, a révélé récemment le média d'investigation Krik.
Les journalistes ont établi, après avoir épluché toutes les décisions d'octroi de nationalité serbe entre début 2022 et avril 2025, que 204 citoyens russes avaient obtenu un passeport serbe via des procédures accélérées, justifiées par «l'intérêt national serbe».
Parmi eux, selon Krik, plusieurs personnes liées au FSB, les services de renseignement russe, des personnes bénéficiant de la guerre en Ukraine, et des oligarques sous sanctions internationales. Les autorités serbes n'ont jamais commenté cette enquête.