A la table des négociations, Vladimir Poutine exige ce qu’il n’a pas pu conquérir militairement. L’Ukraine devrait faire d’importantes concessions dans le cadre de pourparlers sur la fin de la guerre qu'elle mène depuis 2022.
Comme l’a rapporté jeudi dernier l’agence Reuters, le chef du Kremlin demande à l’Ukraine de renoncer totalement à la région du Donbass, et d’adopter une position neutre militairement. Actuellement, la Russie contrôle presque l’ensemble de la région de Lougansk, et environ les trois quarts de celui de Donetsk.
De plus, le gouvernement de Kiev devrait renoncer à une adhésion à l’Otan, et aucune troupe occidentale ne pourrait se trouver dans le pays, a indiqué Reuters, citant trois personnes au fait des réflexions du Kremlin. Leur récit renvoie aux exigences que Poutine aurait formulées lors d’une rencontre avec le président américain Donald Trump en Alaska. Aucune réaction n’était disponible dans l’immédiat, ni de la part des Etats-Unis, ni de l’Otan.
Poutine s’éloigne ainsi de ses exigences maximales, puisqu’il réclamait initialement aussi la remise des régions méridionales de Zaporijjia et de Kherson. Mais pour l’Ukraine, céder le Donbass équivaudrait, selon des experts, à une capitulation militaire. Volodymyr Zelensky rejette d’ailleurs cette demande avec des mots clairs. Devant les journalistes, le président ukrainien a déclaré:
Volodymyr Zelensky faisait ainsi référence à la «ceinture fortifiée» du Donbass. Il s’agit de l’axe d’environ 50 kilomètres reliant Sloviansk, Kramatorsk, Drouchkivka et Kostyantynivka.
Ces villes moyennes à grandes sont fortement fortifiées et constituent la dernière ligne de défense ukrainienne dans l’oblast de Donetsk. Derrière, s’étend un territoire largement ouvert, où les troupes russes pourraient avancer rapidement.
Selon les experts du centre de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW), l’Ukraine a investi au cours des onze dernières années:
Les villes de Sloviansk et de Kramatorsk abritent en outre des centres logistiques essentiels pour les forces ukrainiennes.
Le renforcement de la «ceinture fortifiée» remonte à l’invasion russe de 2014. A l’époque, des milices prorusses avaient occupé durant quelques mois ces quatre villes, avant d’être repoussées en juillet par les forces ukrainiennes. Lors du début de l’invasion, en février 2022, la Russie avait tenté à nouveau de prendre Sloviansk d’assaut, mais avait échoué. Selon l’ISW, cela souligne «le succès des efforts de long terme de l’Ukraine pour renforcer les villes du cordon de fortifications».
Les installations défensives de la «ceinture fortifiée» seraient variées. Des tranchées, des bunkers, des champs de mines, des obstacles antichars et des barbelés sont mentionnés dans des rapports de la région. La topographie joue également un rôle. Chercheur en stratégie terrestre à l’institut britannique Royal United Services Institute (Rusi), Nick Reynolds a expliqué à la BBC que:
Désormais largement détruite, la ville de Tchassiv Yar a été conquise par la Russie il y a quelques semaines. Au-delà, le terrain descend. Pour les défenseurs, ce n’est «pas vraiment un avantage», selon Reynolds.
Actuellement, les Russes intensifient à nouveau leurs efforts pour s’emparer du cordon de fortifications du Donbass. A la mi-août, ils ont réussi une percée profonde à l’est de la localité de Dobropillia, probablement dans le but d’obtenir une rupture du front. Des soldats russes venus du sud-ouest auraient alors pu avancer derrière le la ceinture fortifiée et s'engager dans un encerclement partiel. Mais les troupes de Kiev ont repoussé l’assaut avec l’aide d’unités d’élite.
La Russie devrait malgré tout entreprendre de nouvelles offensives en direction de la «ceinture fortifiée». Mais, selon l’ISW, il pourrait falloir des années pour y parvenir. Le ministère britannique de la Défense a récemment calculé qu’en se basant sur les gains territoriaux russes de cette année, la conquête du cordon ukrainien pourrait durer près de quatre ans et demi.
Mais pour y parvenir, les troupes du Kremlin devraient non seulement investir beaucoup de temps, mais également sacrifier un grand nombre de soldats. Selon les Britanniques, plus de quatre années supplémentaires de guerre entraîneraient 1,93 million de pertes côté russe, en comptant aussi bien les morts que les blessés. Depuis le début de la guerre totale en février 2022, la Russie a déjà enregistré 1,06 million de pertes, dont un quart de soldats tués ou disparus.
Pour prendre le contrôle de la «ceinture fortifiée», Poutine ne laissera sans doute rien au hasard, que ce soit par la voie diplomatique ou militaire. Du point de vue russe, cela présenterait plusieurs avantages, selon l’ISW.
L’armée ukrainienne se retrouverait alors sur des positions beaucoup plus difficiles à défendre.
En effet, les lignes de défense possibles dans cette région traverseraient des zones ouvertes, et les obstacles naturels, comme les fleuves Oskil et Siverskyi Donets se trouveraient trop à l’est pour servir de positions défensives aux troupes de Kiev.
Mais même lorsque les Ukrainiens détectent et combattent les troupes d’assaut russes en progression, cela peut leur être fatal. Car en engageant le combat, ils révèlent leurs positions et deviennent la cible d’attaques russes par drones ou bombes planantes. Dans la région de Pokrovsk, la Russie a mené depuis juillet plus de 1400 frappes aériennes contre des positions ukrainiennes. Les bombes planantes pèsent selon leur taille entre 100 kilos et trois tonnes.
Le président ukrainien promet pour sa part de mettre fin à l’état de défense permanente de ses soldats, comme l'a exprimé Volodymyr Zelensky dans son allocution vidéo du soir:
Vladimir Poutine ne comprend «rien d’autre que la force et la pression». Mais Zelensky n’a pas précisé comment ses troupes y parviendraient.
Ces derniers jours, les forces ukrainiennes ont déjà mené des contre-attaques, notamment dans la région de Soumy, au nord-est, et près de Pokrovsk, au sud-est. Selon le commandant en chef Oleksandr Syrsky, elles y ont obtenu leurs premiers succès et repris six localités, a-t-il indiqué sur Telegram. Ces informations n’ont pas pu être vérifiées de manière indépendante.
Traduit de l'allemand par Joel Espi