Le «guerrier de l’info» de Poutine a été torturé à mort par les Russes
Le 8 avril 2024, à Donetsk, Vitaly Vansyazky, Vladislav Agaltsev et Andrey Iordanov n'en étaient peut-être pas à leur coup d'essai: le major, le sous-officier et le lieutenant de l'armée russe ont embarqué un civil soupçonné de collaborer avec les Ukrainiens.
Ils l'ont torturé pour lui extorquer des aveux. Leur crime a largement été documenté dans le cadre de la guerre menée par le Kremlin.
Une mort effroyable aux mains de ses alliés
Mais cette fois-ci, l'affaire n'allait pas en rester là. L'homme, qui ne parlait pas couramment le russe et s'était présenté comme correspondant de guerre, est mort pendant la torture. Il s'appelait Russell «Texas» Bentley, était devenu une sorte d'icône du séparatisme dans le Donbass, avant de se transformer en guerrier de l'information pour Poutine.
Il tournait des vidéos destinées à un public occidental. Il diffusait en permanence sur Telegram et pour le compte des médias d'Etat russes des séquences scandant que les «Ukro-Nazis» étaient une bande de terroristes meurtriers. Mais il avait lui-même vécu la terreur des soldats du Kremlin.
Après cette disparition, Dmitri Kisseljov, le directeur général de l'agence de presse publique Rossia Sevodnja s'en est mêlé. On les place parmi les dirigeants médiatiques les plus influents du pays. La veuve de Bentley l'avait contacté et avait exigé publiquement des explications. Elle a obtenu ce qu'elle voulait.
On ne pouvait cacher l'assassinat par des soldats russes d'un important propagandiste issu de leurs propres rangs. La justice a tranché, les coupables purgeront une longue peine dans une colonie pénitentiaire.
Un mentor doublé d'un ami
«Il y a des idiots partout», estime Alina Lipp dans une vidéo. Sur sa chaîne Telegram Neues aus Russland (Actualités de Russie), cette Allemande critique très rarement la Russie. L'Union européenne l'avait sanctionnée pour son rôle de porte-parole de la propagande russe, et Russell Bentley lui avait presque tout appris en la matière. Emue, elle a réagi au verdict du procès sur sa chaîne:
Au moment où la Russie a lancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine, elle vivait depuis quelques semaines chez Bentley et son épouse Ljudmila, à Donetsk. Bentley et elle ont longtemps travaillé côte à côte: elle le filmait, elle enregistrait des textes en allemand pour ses vidéos et admet: «on a fait beaucoup de tournées sur le front ensemble».
Elle avait aussi relayé les appels à l’aide de Ljudmila, désemparée. Quant aux soldats responsables de la mort de son ami, Lipp les considère comme des «malades drogués».
Au début, Bentley avait simplement disparu. A Donetsk, un tir ukrainien avait frappé les environs, a expliqué plus tard sa veuve. Ce jour-là, son mari s’était rendu sur place vers 16h15 et, depuis, plus aucune nouvelle de lui.
Le ministère de l'Intérieur de la «République populaire de Donetsk», annexée par la Russie, a émis un avis de recherche avec une description détaillée: le militant portait un t-shirt noir, un pantalon de camouflage vert, des bottes assorties et un sac de la même couleur.
Sa femme avait retrouvé sa Lada sans les clés vers 18 heures, ainsi que son téléphone cassé en deux, ses lunettes et sa casquette de baseball. Il avait sur lui sa carte de presse pour le portail d'information de la chaîne Sputnik, ainsi que son passeport russe.
Un trafiquant de drogue condamné aux Etats-Unis
Bentley avait obtenu la nationalité russe en 2020, après avoir reçu en 2017 celle de la République populaire autoproclamée de Donetsk. Trafiquant de drogue condamné aux Etats-Unis dans une autre vie, ce communiste originaire du Texas était arrivé dans le Donbass en 2014 pour rejoindre les séparatistes soutenus par le Kremlin.
Au Nouvel An 2014, il s’était retrouvé plongé dans son premier combat à l’aéroport de Donetsk, là même où se battait aussi un Allemand de Russie aujourd’hui condamné pour espionnage à Munich. Bentley aurait alors été sniper, avant de changer de voie: il est devenu un «guerrier de l’info», comme il se décrivait lui-même. Un homme qui mettait toute son énergie à soutenir les unités du Donbass et celles venues de Russie.
Mais tout cela ne lui a apparemment pas été d'une grande utilité dans l'après-midi du 8 avril 2024. Des soldats de la 5e brigade blindée, une unité de la «République populaire» désormais intégrée à l'armée russe, l'ont emmené. C'est ce qu'ont révélé plus tard des témoins oculaires à son épouse.
D'autres hommes qui connaissaient Bentley ont ensuite publié des appels. L'un d'eux, datant du 18 avril, alors que l'incertitude régnait encore, disait:
Explosion d'une voiture avec un cadavre
Mais Russell Bentley était déjà mort depuis longtemps et son corps aurait été déchiqueté. C'est ce qu'ont révélé l'enquête et le procès devant le tribunal militaire de Donetsk, qui a rendu son verdict lundi. Deux peines de douze ans et une autre de onze ans de travaux forcés ont été prononcées à l'encontre des trois accusés.
Ils auraient pris Bentley pour un informateur de l'ennemi ukrainien, lui qui parlait mal russe. Le major Vansyazky a signalé à ses supérieurs la capture d'un «saboteur». Selon la chaîne russe RTVI, ils ont enfilé un sac sur la tête de l'Américain, avant de le mettre dans une voiture et de le conduire à un poste de commandement du bataillon.
Selon le site Bloknot Donetsk, qui a longuement couvert l’affaire et est en contact étroit avec la veuve, Wansjazkij a déclaré qu’Agalzew avait sauté sur la tête de Russell, alors attaché au sol. D’après le tribunal, l’Américain d’origine est mort le jour même de son enlèvement, succombant aux sévices et à la torture.
Ce même jour, les soldats ont bourré son cadavre de 450 grammes de TNT, l’ont placé dans une Lada Samara et l’ont fait exploser. Le lendemain, un quatrième soldat a éliminé les éventuels restes.
Un sentiment d'injustice pour la veuve
D'après le dossier, Ljudmila Bentley suppose qu'il n'y a plus aucun reste de son mari. Elle s'est vu accorder cinq millions de roubles à titre de dédommagement, soit près de 60 000 euros, que le ministère russe de la Défense doit verser, selon l'agence de presse Tass.
Mais Ljudmila Bentley à déclaré à RIA que le jugement n'était pas juste. Le tribunal n'a pas prononcé les peines maximales et les accusés n'ont montré aucun remords. Seul l'un des avocats de la défense a exprimé des regrets.
Elle dit savoir désormais avec certitude ce qui s'est passé, alors qu'aucun argent ne pourra lui ramener son partenaire. Ni même des éventuels résidus de sa dépouille. Les accusés n'ont donné aucune indication sur un endroit où l'on pourrait encore trouver quelque chose. La veuve a désormais demandé l'aide de la «commissaire aux droits de l'homme» russe, Tatjana Moskalkova. Le «cow-boy du Donbass» mérite, d'après elle, des funérailles dignes.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)

