L'invasion russe de l'Ukraine n'avait pas suffi, les premières déflagrations de la présidence de Donald Trump l'ont imposé: les pays européens s'interrogent sur la conscription, obligatoire ou non, et l'augmentation de la réserve militaire pour renforcer leur défense.
Depuis que le nouveau président américain a remis en cause son aide militaire aux Européens, la donne stratégique du Vieux Continent a basculé dans une incertitude inédite. Il risque de perdre l'assurance-vie sécuritaire qu'il conservait depuis 1945.
«C'est quand la mer se retire que l'on voit celui qui se baigne tout nu. La mer américaine se retire, et beaucoup de pays européens se disent que oui, finalement, ils sont un peu à poil», schématise l'ex-colonel français et historien Michel Goya.
Le débat réapparaît donc de Varsovie à Riga, en passant par Rome et Paris, sur les moyens d'augmenter les effectifs des armées face au danger de ce que les Occidentaux perçoivent comme «l'impérialisme» russe. Il prend de l'ampleur en Allemagne, au Royaume-Uni ou en France. Mais il divise.
Rétablir le service national, supprimé en France en 1996, «ce serait transformer une grande partie de l'armée en centres de formation», assure Michel Goya. Or, «il y a une quinzaine d'années (la France) a détruit tout ce qui nous permettait de monter en puissance».
Bâtiments, uniformes, équipements, armes ont disparu. Et les milliards d'euros nécessaires à la formation des conscrits permettraient tout juste de leur confier le territoire national, pendant que les professionnels combattraient à l'étranger.
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«Sauf augmentation considérable des ressources, et en refusant d'engager des soldats (conscrits) en opération, un service militaire affaiblirait considérablement les armées», selon Goya.
La Grèce, dont les dépenses militaires sont au 4e rang européen, est l'un des rares pays où la conscription est obligatoire pour les hommes. Le gouvernement veut désormais ouvrir l'armée aux femmes volontaires.
La précision est fondamentale: «Dans une société libérale, l'imposition de la contrainte militaire est devenue quasiment impossible à mettre en œuvre», explique à Bénédicte Chéron, spécialiste des liens entre armée et nation.
Et si Paris, Londres, Berlin ou Rome ne risquent guère de voir leur territoire envahi du jour au lendemain, cette perception change au fur et à mesure que l'on se rapproche de la Russie.
En Pologne, le Premier ministre Donald Tusk propose des formations militaires à 100 000 volontaires par an, de 18 à 60 ans, d'ici 2027. «Je suis convaincu que les candidats ne manqueront pas», a-t-il déclaré.
Dans les pays baltes, ex-membres de l'Union soviétique, la menace est directe. En Estonie, le service militaire est obligatoire pour les hommes et ouvert aux femmes. En Lettonie, son caractère obligatoire, supprimé en 2006, est rétabli depuis deux ans. Les postes, rémunérés, sont moins nombreux que les candidats.
Quant à la Finlande, qui partage une longue frontière avec la Russie, elle a maintenu la conscription obligatoire depuis la Seconde guerre mondiale.
«Ce pays a vécu l'invasion de son territoire par l'Armée rouge. Ils savent très bien ce que signifie d'avoir des Russes sur leur territoire», souligne Maxime Launay, chercheur à l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM) à Paris.
En revanche, partout où la conscription a été supprimée, son rétablissement est trop coûteux, avec une efficacité trop aléatoire, pour être pris au sérieux. Les regards se tournent donc vers les réservistes, anciens militaires, mais aussi analystes, informaticiens, logisticiens, soignants, transporteurs.
«Après l'armée de métier, c'est la réserve qu'il nous faut à présent mobiliser, en appui, en appoint», déclarait en janvier le président français Emmanuel Macron. Donald Tusk, lui, réclamait cette semaine «une armée de facto de réservistes».
D'autant que le débat public sur le service obligatoire demeure ambigu. Il a longtemps été présenté, notamment en France, non pas comme un outil de recrutement de combattants, mais comme un moyen d'intégration et de formation d'une classe d'âge.
«En France, le débat est très nostalgique, avec des discours sur les valeurs enseignées aux jeunes», mais sans jamais évoquer les coûts ni le nombre d'appelés, note Maxime Launay.
Et les sociétés européennes ne sont pas prêtes à envoyer des conscrits mourir pour défendre un territoire étranger. Depuis Napoléon (1769-1821), «il n'y a pas d'expérience dans laquelle un régime démocratique a levé une armée sous contrainte pour autre chose que la menace territoriale», note Bénédicte Chéron.