On se croirait dans un film: le portail en fer du domaine qui s'ouvre sur une orangeraie. Je m'interroge alors: quelle sorte de femme est celle qui a secoué le monde viticole italien? Qu'on l'adore ou qu'on la déteste, qui est celle qui ne laisse aucun propriétaire d'œnothèques de Catane, Syracuse ou Ragusa indifférent?
D'abord l'odeur du fromage et du salami, qui se mêle bientôt à celle des œufs de thon fumés. Elle se répand dans la somptueuse salle de réception. C'est là que l'on retrouve la signora Occhipinti, découpant des oranges et du fenouil. Elle s'approche des invités, s'essuie les mains et la bouche avec un torchon, ouvre un champagne d'un petit vignoble français et dit:
C'est une bonne idée, cela ne fait aucun doute.
Aussitôt, on comprend aussi qu'il ne faut pas lui dire signora, mais Arianna. Ariane en français - célèbre dans la mythologie grecque, Ariane de Naxos: épouse de Dionysos, le dieu du vin. L'un de ses enfants l'appelle Oenopion - le visage du vin. Ce qui a donné le mot œnologue, encore utilisé de nos jours.
Assez de bavardage. Arianna nous démontre que moins on parle, plus on agit. En effet, après moins d'une douzaine de mots, la salle déborde d'Arianna Occhipinti. Cela ne changera pas au cours des 44 heures suivantes. Que ce soit dans la voiture, au restaurant ou dans les vignes, qu'elle dise quelque chose ou se taise: Arianna est partout.
Née en 1982, elle acquiert son premier hectare de vigne à 21 ans. Aujourd'hui, elle en possède 40 sur neuf terroirs différents et produit 160 000 bouteilles, dont le prix varie de 16 à 46,50 euros en vente directe. Un prix déjà conséquent, qui n'empêche cependant pas à la viticultrice de tout vendre. 85% de la marchandise part à l'exportation, dont une grande partie vers les Etats-Unis. Pas étonnant, le New York Times la suit depuis plus de dix ans. Elle peut ensuite choisir à qui reviendront les 15% restants en Italie. Alessandro Cappellani, propriétaire d'une œnothèque à Ragusa, en fait partie.
Même si, selon lui, la quadragénaire s'est énormément développée au fil des ans, le Gambero Rosso écrivait déjà en 2015 dans sa bible du vin:
Son Frappato 2012 a reçu trois verres (réd. comme des étoiles): la consécration. Depuis, elle s'est attelée à la production de trois vins à partir de ce cépage, sur trois types de sols différents.
On pose un verre de Fossa di Lupo devant moi. En le dégustant, je ne sais que penser de ces angles et ces arêtes passionnantes ni comment évaluer cette diversité de parfums. L'odeur d'écurie qui s'en dégage par ailleurs le rend d'autant plus passionnant. Une chose est sûre: il faut s'imprégner des vins siciliens, les laisser agir. Les nez habitués au pinot noir découvriront des structures qu'ils commenceront par rejeter, pour mieux les admirer par la suite - disons après trois jours.
Nero d'avola ou frappato, tous deux sont des cépages autochtones, donc profondément enracinés dans le terroir. Arianna Occhipinti a misé sur eux. N'allez pas lui parler de merlot, de cabernet ou de chardonnay, qui ont également connu un boom en Sicile dans les années 1980.
Salvo Alteno, propriétaire d'un bar à vin grandiose à Avola, est formel:
Pas moins de onze de ses vins figurent sur la carte - à des prix plus bas que nulle part ailleurs. Car Avola reste Avola. Son nom en a certes fait un haut lieu de viticulture mondialement connu. Mais, à la différence des villes baroques comme Noto ou Ragusa, Avola demeure aussi futile et fade qu'un carton de six vide.
Le royaume d'Arianna se trouve à 100 kilomètres à l'ouest d'Avola. Il s'étend de Vittoria jusqu'aux collines de Chiaramonte. Les touristes s'arrêtent rarement. Peu importe: la vigneronne n'a pas seulement acheté des terres, mais aussi deux maisons avec piscine magnifiquement rénovées. Les clients devraient bientôt y boire leur verre, sur une chaise longue au soleil. C'est ici, à 550 mètres d'altitude, entre des oliviers centenaires, qu'elle veut à l'avenir perfectionner son vin blanc, le grillo, qui s'affiche déjà fièrement sous le nom de Santa Margherita.
Et le contraste entre les millésimes 2023 et 2022 est saisissant. La propriétaire des lieux hausse les épaules devant cette remarque, comme pour dire: «Logique, ce sont deux millésimes différents, deux vies différentes». La Sicilienne veut laisser agir les influences météorologiques. D'une année à l'autre, on peut désormais avoir des fluctuations énormes, même sur l'île. Il faut faire avec. En 2024, le thermomètre est monté jusqu'à 50 degrés. Cinquante.
En route vers les collines, elle raconte comment la vigne était cultivée de manière intensive ici autrefois. Elle montre d'anciens domaines aujourd'hui en ruine, puis elle s'arrête brusquement:
L'UE l'a aidée à bâtir son empire, a soutenu cette femme qui mise sur la biodiversité, tout en sachant que de telles PME valent de l'or. Quel plaisir de voir ses vignes sans produits chimiques en février, pleines de magnifiques plantes de moutarde et de fèves en fleurs.
Pour ce marchand de vin de Catane, Arianna a choisi une voie parfaite, elle qui aimait se montrer dans les vignes un râteau à la main. On perçoit la boutade derrière sa comparaison comme pour inviter à se méfier des images parfaites créées autour de la viticultrice. Mais à l'observer se promener dans ses vignes, photographier un détail par-ci, donner un conseil aux ouvriers par-là, on constate qu'elle sillonne effectivement les vignes avec son râteau. Et qu'elle continuera à le faire.
Elle est désormais parvenue à se sortir de la seule logique du chiffre d'affaires. Quand elle entreprend, c'est pour concrétiser une idée, sans aucun rêve derrière. Cela ne correspond pas à cette femme, qui a tracé son chemin en ligne droite. N'empêche, elle a des secrets. Le premier soir du séjour, après avoir trempé les lèvres dans un nero d'avola, je lui demande pourquoi elle sert du champagne, elle qui n'a pas son propre mousseux.
Arianna reste alors un instant sans voix, marmonne quelque chose à propos d'un projet. Je m'en rendrai compte plus tard: quand Arianna parle de «projet», c'est qu'elle a quelque chose de bien ficelé derrière la tête.
C'est pendant ses études à Milan qu'Elena Pantaleoni lui a appris à boire du vin, ou plutôt à le déguster: en évaluer le potentiel. Pantaleoni (1965) est déjà une légende. Dans la région viticole orpheline d'Émilie, les provocantes bouteilles des Stoppa sont devenues des trouvailles aussi convoitées que spéciales.
Il y a aussi Zio Giusto, qui a joué un rôle plus déterminant encore. C'est chez lui qu'Arianna - alors adolescente - a pu observer comment produire du bon vin. Elle le présente comme son «deuxième père» avec autant d'amour que de pathos. Il faisait partie des pionniers qui ont apporté le vin et des idées nouvelles dans la région de Vittoria - de ceux qui voient loin.
Demande-t-elle encore conseil à Zio Giusto aujourd'hui? «Non, maintenant c'est l'inverse», répond sèchement Arianna. Qui consulte-t-elle donc désormais? «Moi-même». En goûtant les crus de la région, on comprend ce qu'elle a voulu dire. A l'inverse de tant de ses collègues, elle ne dit pas que ses vins sont le résultat du terroir:
Ce terroir, elle ne cesse de le répéter, est unique. Lors d'une master class - c'est ainsi qu'elle appelle les dégustations - elle pose sur la table en plus du frappato un verre rempli de terre poussiéreuse du vignoble. Avec le nero d'avola, un autre, complètement différent. Et comme rarement auparavant, on constate à quel point le sol fait le vin. Mais aussi combien il obéit à la volonté de cette vigneronne, combien il l'accompagne.
Une telle phrase serait ridicule de la bouche de nombre de vigneronnes. Venant d'Arianne, ça passe. Elle considère en outre que le nero d'avola est noble, mais aussi mélancolique qu'un poète ou un philosophe.
Et malgré toute sa passion pour ces deux vins, son vin le plus ambitieux reste le Grotte alte - un Cerasuolo di Vittoria, produit à partir de nero d'avola et de frappato di Vittoria. Une entrée en matière idéale pour les novices.
Traduit et adapté par Valentine Zenker