Pourquoi les couleurs ont-elles disparu?
Faites le test. Regardez autour de vous, dans les transports en commun, la rue ou les vitrines des magasins: les couleurs ont disparu. Tout le monde (ou presque) est vêtu de noir, de bleu foncé, de gris, de beige. Une palette sombre, neutre, passe-partout, qui a pour conséquence de créer une masse morose où personne ne se différencie de son voisin.
Pour ne rien arranger, la couleur de 2026, définie par l'institut de référence Pantone, sera... un blanc-beige. Youpi! Elle symbolise la sérénité, l'apaisement et s'appelle cloud dancer (danseur sur le nuage).
La voici:
Pourtant, les roses flashy, oranges pétants, rouge éclatants ou bleus électriques n'ont pas toujours été absents du décor en Occident. Au contraire: selon les époques, ils étaient omniprésents dans la mode et le design. Alors, qu'est-ce qui a changé depuis?
Les crises tuent la couleur
L'une des théories avancées soutient que l'absence de couleurs dans notre quotidien est le reflet de ce que vit la société. Katy Kelleher, écrivaine américaine et historienne, explique dans les colonnes d'Architectural Digest:
Une analyse que partage Laura Jane, créatrice de contenu spécialisée dans la pop culture et l'évolution de la beauté. Dans une vidéo, elle démontre que:
- La présence de couleurs s'observe après une période de restrictions, où le minimalisme et les tons neutres étaient de mise. Les gens en ont marre, ils ont besoin d'exprimer leur personnalité et leur individualité. Ils se rebellent et créent ainsi l'opposé.
- L'absence de couleurs est une réaction aux changements économiques et sociaux:
Elle cite d'ailleurs plusieurs exemples frappants qui confirment ses propos:
- L'esthétique chaleureuse, riche, groovy et pop des années 70 – inspirée notamment par le mouvement hippie – est la riposte à celle stérile et fonctionnelle de l'après-guerre.
- Le maximalisme est poussé encore plus loin dans les années 80, où l'excès, la richesse et le pouvoir s'expriment au travers des vêtements. Une époque caractérisée par des couleurs néon, des silhouettes oversize, des sequins. Côté design, le métallique et le chrome ont le vent en poupe.
- Les années 90 connaissent un retour de la sobriété: jeans et t-shirts blancs, baggy, sweatshirts. Les teintes sont plus discrètes et les accessoires moins présents.
- Le retour de bâton arrive bel et bien, telle une prophétie, dans les années 2000. Vous n'aurez sans doute pas oublié les tenues fun, lumineuses et tape-à-l'œil en vogue au début du millénaire.
L'Histoire va se répéter en 2008. Le krach boursier et la crise économique qu'il déclenche engendreront, à nouveau, un retour des tendances plus simples. Le normcore – contraction des mots «normal» et «hardcore» – fait dès lors son entrée en scène. Un style qui rejette l'excentricité et dont le but est de ne pas se faire remarquer.
C'est réussi:
Son équivalent débarque douze ans plus tard après la pandémie, j'ai nommé: le quiet luxury. L'incertitude globale et l'inflation qui règnent amènent les personnes à se réfugier dans une esthétique minimaliste et sûre. Elles préfèrent investir dans des pièces discrètes, de qualité, durables dans le temps et qui reflètent une stabilité financière.
Depuis, la mode du blanc, beige, bleu clair, gris ou noir est devenue omniprésente. Les influenceurs l'ont adoptée et renforcée, notamment parce que l'algorithme d'Instagram privilégie ce type de visuels. Certaines marques, comme H&M ou Zara, se sont également tournées vers ce style. L'objectif? Avoir l'air luxueux, chic et qualificatif.
Oser la couleur
Dans ce décor délavé, il devient par conséquent difficile d'oser porter du rose, vert, rouge, jaune ou bleu:
On opte alors pour «une tenue fiable, qui fonctionne, épargne des interrogations chronophages», ajoute Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut Français de la Mode. Et puis, même si certains souhaitent pimenter leur garde-robe, un obstacle subsiste:
Vers un retour de la couleur?
Fort heureusement, plusieurs signes indiquent que l'heure du ras-le-bol a sonné. TikTok, par exemple, prend le contre-pied d'Instagram et offre un espace pour exprimer sa créativité de manière moins lisse et plus épicée. La Gen Z, de son côté, remet au goût du jour les looks funky des années 2000. A ceci s'ajoute le fait que de grandes enseignes, comme Desigual ou Swarovski, donnent un grand coup de pied dans cette morne fourmilière beige-blanche-grise. Une rébellion qui s'est d'ailleurs observée sur les podiums de la Fashion Week, pour le plus grand bonheur de nos rétines.
🧡❤️💙💖
Rappelons, en effet, que les couleurs ont un réel pouvoir sur le bien-être émotionnel: si le rouge déclenche l'excitation, le gris, en revanche, a tendance à drainer. On croise donc les doigts pour que cette explosion de coloris, d'imprimés et de textures se propage une fois de plus dans notre vie de tous les jours. Et on espère qu'en 2027, la couleur de l'année ressemblera plutôt à ça:
