Vous êtes de quelle team, vous, pour aller au travail? Du genre tiré à quatre épingles, dans un tailleur, chignon serré et des stilettos aux teintes accordées aux pieds? Vous aimez un style très étudié, qui va de la «clean girl» au désormais très en vogue «quiet luxury»? Ou encore, est-ce que vous faites partie de ceux qui n'ont ni le temps ni l'énergie à accorder aux fringues, et pour qui un vieux t-shirt dépenaillé et un jeans en guenilles font l'affaire tant que ceux-ci cachent ce qu'il y a à cacher?
Dites-vous que si vous faites partie du dernier clan, vous pourrez trouver le reste de votre «famille» sous le hashtag #GrossOutfitAtwork. Celui-ci est en effet devenu en peu de temps extrêmement populaire sur les réseaux sociaux chinois. Sa traduction en français? «Des tenues dégueulasses pour le travail».
Le concept de cette mode? Faire le moins d'efforts pour être présentable en entreprise. Ainsi, certains employés chinois n'hésitent pas à se photographier avec leur plus beau pyjama avant de prendre le métro, ou se filment en train d'assembler des habits très moches, pour créer le look le plus négligé possible.
Derrière cette tendance apparemment burlesque et légère se cache une réelle contestation. En effet, la jeunesse chinoise subit de plein fouet les conséquences de la crise économique traversée par le pays (en décembre 2023, le taux de chômage s'élevait à 14,9 % chez les 16 à 24 ans). De nombreux jeunes diplômés ont de la peine à trouver un emploi, tandis que les nouveaux salariés dénoncent des conditions de travail précaires.
En conséquence, les internautes - des femmes pour la majorité - n'hésitent pas à sauter dans les tendances qui leur permettent de manifester leur manque de motivation face à ces perspectives d'un futur peu brillant.
Après la trend «Tangping» («rester à plat»), une philosophie qui rejette la course effrénée et le consumérisme, ou encore les fêtes de démission, la jeunesse chinoise retrouve dans le hashtag #GrossOutfitAtwork un nouveau souffle rebelle. A ce titre, s'habiller le plus mal est une façon passive (mais étrangement efficace) de se jouer de l'entreprise, et de se venger d'un trop bas salaire, ou d'un patron tyrannique.
Le message est clair, comme l'expliquent nombre de créateurs de contenu sur Douyin (le TikTok chinois), ou Xiaohongshu (similaire à Instagram):
Pour se lancer correctement dans cette tendance, pas de limites: on empile des pulls peluchés à trous et bien «crados», avec des couleurs bien «dégueu'», sur des pantalons de training kaki ou à carreaux - avec si possible les taches du petit déjeuner.
On sublime le tout avec une doudoune matelassée jaune-canari, et des gants en laine d'un goût douteux. Vous avez même le droit de revêtir vos plus beaux pyjamas «vache», et de vous emmitoufler dans le repose-tête qu'on utilise dans l'avion. Aux pieds? Pas de quartier! Des crocs, ou carrément des pantoufles.
La clé pour plus d'effets? Le layering: entasser des couches de plusieurs textures et de diverses couleurs, jusqu'à ressembler à un Bonhomme Michelin en pleine rave-party.
Résultat: une ambiance très «vendredi soir, Netflix and Chill», dans l'Open Space, qui a mis en rogne plus d'une direction. La polémique a contribué à rendre viral le hashtag #GrossOutfitAtwork», lequel a enregistré plus de 140 millions de vues et des dizaines de milliers de discussions sur la plateforme chinoise Weibo.
A l'instar de Kendou S, une utilisatrice de Douyin, qui a osé la cagoule et dit avoir été fortement réprimandée par son boss pour sa tenue jugée «vulgaire». L'une de ses vidéos a même explosé, puisqu'elle a fait plus de 75 000 vues, et a été republiée près de 1,4 million de fois.