Cette enseigne américaine utilise Wagner pour assurer sa sécurité
Le géant 7-Eleven, né au Japon et largement institutionnalisé aux Etats-Unis, est l’atterrissage idéal pour acheter des clopes, remplir son célèbre gobelet géant labellisé «Gulp», s’offrir une vieille tranche de pizza ou une vague saucisse desséchée, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Un shop qui est entré dans la pop culture et dont le logo est quasi aussi familier que celui de McDo.
Parmi la grosse dizaine de milliers d’épiceries 7-Eleven présente sur le territoire américain, certaines sont plantées dans des quartiers à fort passage, mais pas toujours des plus fréquentables, surtout la nuit. Un casse-tête pour les gérants et les employés, qui doivent assurer leur sécurité 24/24 et faire face à des clients et des attroupements qui n’ont pas toujours les meilleures intentions.
La solution que les tenanciers ont trouvée pour régler ce problème? La musique classique (si, si). Et c’est notamment le cas dans une succursale 7-Eleven située au cœur de Downtown, à Miami. Autant dire que la technique a le don de faire sursauter les touristes, puisque cette musique d’ambiance – de la pièce d’opéra à la symphonie de Wagner est diffusée dans des haut-parleurs situés à l’extérieur des échoppes, à un volume tellement puissant qu’il confine à l’absurde.
Lundi matin, alors qu’un jeune couple d’Européens s’apprête à faire irruption dans ce 7-Eleven, Carmina Burana: «O Fortuna» fait littéralement trembler le trottoir de la NE 2nd St, au point qu’il est littéralement impossible d’échanger quelques mots sans hurler.
Nous aurons la réponse à cette question en questionnant l’un des employés de cette succursale, qui esquisse d’abord un premier sourire en coin: «Les touristes sont toujours surpris, mais les locaux ont l’habitude. Nous, on ne l’entend même plus, depuis le temps».
Une stratégie née d’une étude grandeur nature, à la fin des années 1980 dans un 7-Eleven de la province canadienne de Colombie-Britannique, qui a ensuite été popularisée dans toute l’Amérique du Nord. A l’époque, il fallait trouver une solution pour décourager les bandes de jeunes de squatter devant les portes de l’épicerie.
Selon la musicologue californienne Lily Hirsch, dans son livre Music in American Crime Prevention and Punishment, «7-Eleven est la première entreprise à avoir délibérément inversé la fonction principale de la musique programmée, passant d'un outil marketing attirant à un moyen de répulsion».
Utilisée désormais par certaines stations-service, mais également les Walgreens ou les pharmacies CVS à travers tout le pays, cette arme censée prévenir le vagabondage et la criminalité reste très controversée. Alors que la musique classique est connue pour ses vertus calmantes, une fois à plein volume, elle chasse avant tout les sans-abris au pied des commerces de manière jugée «violente et discriminatoire», par de nombreuses associations américaines d’aide aux personnes sans domicile fixe.
A West Palm Beach, une ville située à une centaine de kilomètres de Miami, une approche similaire avait fait beaucoup de bruit en 2019, jusqu’à intriguer le New York Times. En lieu et place de la musique classique ou de l’opéra, un centre d’événementiel situé au Nancy M. Graham Centennial Square avait jeté son dévolu sur deux morceaux particulièrement agaçants pour faire fuir les personnes sans-abri: Baby Shark et Raining Tacos.
“Raining Tacos” is an obnoxious song playing at Lake Pavilion in West Palm Beach. City officials say it’s to deter people for congregating at the park late at night. Someone is still out here sleeping through it @CBS12 pic.twitter.com/YqJZHBU8fw
— Madeline Montgomery (@MadelineTV) July 11, 2019
L’artiste coupable de Raining Tacos, conscient du côté agaçant de son tube, avait signifié sa colère en apprenant qu’il était utilisé comme repoussoir en Floride. Selon le NYT, il a fait «un don de 3000 dollars à trois organisations venant en aide aux sans-abri, dont Lord's Place dans le comté de Palm Beach».
Enfin, tout récemment, comme un pied de nez plutôt ironique, une nouvelle salle de concert de musique classique a ouvert ses portes en septembre dans un ancien… 7— Eleven. Cela se passe à Chicago et c’est l’organisation Access Contemporary Music qui est à la base de ce petit lieu baptisé «CheckOut», pouvant accueillir 60 personnes.
Au centre de Miami, force est de constater que Carmina Burana: O Fortuna est particulièrement efficace pour vider le trottoir devant le 7-Eleven. Si les personnes sans domicile fixe sont nombreuses le long de l’artère principale NE 2nd Ave, elles trouvent refuge devant les entrées des locaux commerciaux en attente d’un repreneur.
Comme d’autres stratégies controversées mis en place pour décourager les SDF de s’installer dans certains quartiers des villes, la musique à haut volume ne fait que déplacer un problème de fond: l’inaccessibilité aux logements et la pauvreté, en constante augmentation aux Etats-Unis.
