On a vu Messi jouer à Miami et ce n'était pas vraiment du football
«No bags!» Un vieil employé nous postillonne devant les portiques. What? Really? Oh, «un porte-monnaie», et encore. Sympa l'accueil. Samedi, 17 heures et des poussières, alors que Lionel Messi est sur le point de sauver les fesses de son club, quelques heures plus tard, sous les larmes de joie de 20 000 soldats roses, le Chase Stadium de Fort Lauderdale est encore une forteresse quasi déserte.
Parfait pour recevoir un brutal rappel: aux Etats-Unis, entrer quelque part n'est jamais une sinécure et la solution est toujours financière.
Notre mauvaise humeur sera alors pansée de la plus absurde des manières, au moment d'abandonner nos effets dans un casier et 20 dollars au passage. En fouillant nos affaires sans y trouver le moindre gun, un agent de sécurité plutôt bonnard comprend alors qu'on râle en français: «Vous êtes de Suisse? Young Boys est une très bonne équipe!»
Allons bon. On se garde évidemment de commenter cette exclamation définitive, mais le monde du football est décidément aussi exigu que ce fichu casier Nº326.
Sinon, il faut avouer que le moral et les premiers cocktails sont bons. Les palmiers crânent devant le coucher du soleil et on a pu facilement attraper deux tickets pour la troisième rencontre du premier tour des playoffs de Major League Soccer, qui oppose Nashville à l'Inter Miami. Pour faire court, après une victoire chacun, le perdant sera éliminé.
Pour 90 dollars, frais compris, nous aurons droit au 17e rang, au fond à gauche, dans ce stade situé à une bonne cinquantaine de kilomètres de Vice City. Pour la petite histoire, dans quelques mois, le GOAT et ses coéquipiers moins célèbres recevront un palais gazonné tout neuf, en plein cœur de la ville.
Le Miami Freedom Park, qui coûtera un milliard de dollars une fois inauguré, a été principalement financé par Sir David Beckham et le milliardaire Jorge Mas, propriétaires de ce «Club Internacional de Fútbol Miami» fondé il y a tout juste sept ans.
Oui, à Miami, on fait pousser du soccer comme des gratte-ciels et, comme le nom du club, tout ici est latino. Avec une population composée à 70% d'hispanophones, le comté de Miami-Dade était sans nul doute la maison de pré-retraite idéale pour l'octuple Ballon d'or, qui vient de prolonger son contrat jusqu'en 2028.
On le comprendra d'ailleurs très vite une fois dans la fan zone, aussi impressionnante et ludique qu'un quartier de Disney World. Le Choripán argentin et la Margarita y relèguent sans vergogne le cheeseburger et la Bud Light, l'espagnol prime sur l'anglais au moment de nous frotter aux premiers supporters venus soutenir Dieu en personne.
Alors que la foule se densifie à l'approche du coup d'envoi, on ne sait plus très bien si on participe à une pool party, un gender reveal night, à un BBQ géant ou à un match capital pour l'avenir de l'Inter Miami. Les couleurs officielles du club et l'ambiance familiale y sont pour beaucoup.
Des maillots floqués du 10 messianique, aux joues rebondies des gamins, en passant par les jupes à froufrous, les boissons dans les verres et la vie dans la fan zone, tout est rose.
Au point de ne pas pouvoir imaginer des hooligans briser des mâchoires à coups de batte, fringués en light & easy pink: «On n'a pas de hooligans ici. Il y a des ultras, bien sûr, mais ça se contente de chanter en espagnol dans un très bon esprit», nous explique Dave, un natif de Miami qui connait très bien le football européen, pour avoir bossé à Zurich il y a quelques années.
Lui et son épouse Jennifer partagent les tongs et le maillot rose, mais aussi une réelle passion pour le soccer. Messi, «oui, forcément», mais le first. S'ils soutiennent l'équipe de Miami, c'est d'abord parce qu'ils y vivent.
Les statistiques lui donnent raison: aujourd'hui, 57% du vivier de professionnels évoluant en MLS provient d'Europe et d'Amérique du Sud. Sur les pelouses de Miami depuis l'été 2023, Lionel Messi a tout offert au club présidé par Sir David Beckham. Au point que le Chase Stadium est désormais réduit à un temple à son unique gloire.
Un palmarès (un ego, diront ses détracteurs) qui ont rempli les caisses, le haut du classement et les gradins. «Si on n'affiche que les maillots de Messi, c'est simplement parce que les autres se vendent très peu», nous confirme-t-on à l'un des nombreux stands de merchandising.
Bien au-delà des omoplates rosâtres de ses milliers de groupies qui se pressent aux pieds des gradins, Messi est partout dans le Chase Stadium. Jusqu'à sa boisson énergisante Más+, sur le marché depuis un peu plus d'une année.
Vous l'aurez sans doute compris, nous n'avons pas gâché une soirée à Miami pour assister à un match de football comme on rejoindrait bêtement la Tuilière avec une écharpe du LS, un dimanche ordinaire. On voulait participer au pèlerinage. Hummer le succès du soccer au pays du ballon ovale. Bouffer un hot-dog au rythme de l'agaçant Seven Nation Army, qui a fini par contaminer les Etats-Unis après avoir ruiné les stades européens.
Et puis, la MLS étant l'EMS du GOAT, nous prenons place dans les gradins avec la nostalgie d'un petit-fils qui rend visite à grand-papa. Pour les plus puristes d'entre vous, l'Inter Miami remportera la partie 4 à 0, Messi inscrira deux buts et Nashville sera pour ainsi dire inexistant. L'ambiance est bon-enfant. Enjouée, plus que survoltée. Les chants résonnent en espagnol, mais peinent à dépasser les rangs des ultras. Les gradins tremblent sans risque d'écroulement. Disons les choses comme elles sont, on s'est un peu (mais très agréablement) emmerdés durant nonante minutes. Comme Messi.
Notre immersion en image.
Car la vérité est ailleurs.
L'Argentin est un coq en pâte sur la pelouse du Chase Stadium. Dorloté, presque momifié par un amour inconditionnel. Aucune simagrée, pas d'animosité ou de grand cirque, encéphalogramme plat. On est loin de ce que certains ont pu lui reprocher à l'époque. Et on est loin des gesticulations narcissiques d'un Ronaldo (oui, c'est une balle perdue).
Le 2e but de Messi:
A peine quelques gouttes de sueur lorsqu'il faut vraiment piquer un sprint, parce qu'il faut quand même justifier le salaire. Messi a fait le boulot que ses fans attendent de lui: faire trembler les filets. Avec l'énergie d'un très bon comptable sénior à la sérénité rigoureuse.
Sans oublier les coworkers de toujours, Sergio Busquets et Luis Suárez (même si ce dernier était suspendu), qui offrent à la pelouse de Fort Lauderdale des airs d'open-space barcelonais plutôt très confortable.
Et puis, sud de la Floride oblige, les looks tape-à-l'œil sont plus nombreux que les ultras, bruyamment polis jusqu'au coup de sifflet final. Il y a des flamants roses partout, une humidité réconfortante, de la clim' jusqu'aux toilettes et Ivanka Trump dans les box VIP.
Samedi soir, on n'a pas vu Lionel Messi jouer au football, mais 20 000 groupies rose pâle jouer à la Barbie avec leur idole et le «meilleur attaquant du monde». D'une cohérence implacable: it's Miami, baby. On en oublierait presque le plus important (pour certains), car l’Inter est qualifié pour les demi-finales.
