La dérive meurtrière d’une «voisine idéale»
Figurant dans le top 10 des contenus les plus regardés sur Netflix, La voisine idéale est un documentaire retraçant le conflit de voisinage qui a précédé le meurtre, en 2023, d’Ajike Owens, une Afro-Américaine de 35 ans, tuée devant ses propres enfants.
La meurtrière, Susan Lorincz, condamnée à 25 ans de prison en novembre 2024, pensait être protégée par la stand-your-ground law «loi Défendez votre territoire», une loi en vigueur dans certains Etats américains qui autorise un citoyen à user de force létale pour défendre sa propriété.
S’il y a bien une niche dans laquelle Netflix fait son beurre, c’est celle du true crime: ces documentaires inspirés de faits divers dont la plateforme a fait sa spécialité, notamment depuis le succès retentissant de l’excellent Making a Murderer en 2015. Si la majorité des productions qui ont suivi sont d’une qualité discutable, souvent plombées par un sensationnalisme excessif, le documentaire La Voisine idéale de la réalisatrice américaine Geeta Gandbhir sort clairement du lot.
La bande-annonce:
Le film, d'une durée de 1h40, a obtenu le prix de la meilleure réalisation au dernier Festival du film de Sundance et se distingue par son traitement impartial ainsi que sa réalisation unique. En effet, point de voix off et de reconstitution: l’intégralité du film repose exclusivement sur des images d’archives policières, formant un récit qui parle de lui-même. On voit ainsi en caméra subjective les policiers arriver sur les lieux, et tout se contextualise grâce aux caméras de surveillance des maisons du voisinage.
Une histoire de voisinage
Tout part d'une «Karen», ce sobriquet désigner de manière péjorative une femme blanche d'âge mûr, de classe moyenne, qui s’insurge de tout, veut «parler au directeur», persuadée d’avoir plus de droits que les autres et parfois vectrice d’un racisme systémique. Celle-ci se nomme Susan Lorincz. Cette femme, la cinquantaine bien entamée, vit seule avec ses deux chats à Ocala, en Floride, un quartier familial et paisible, où les enfants jouent à cache-cache, au basketball ou au football sur les terrains gazonnés.
Ne supportant pas ses voisins, notamment les enfants de ceux, celle-ci va multiplier les appels de plaintes aux forces de l'ordre, accusant les enfants de la maison voisine de faire du bruit ou d'empiéter sur son terrain. Susan Lorincz dans ses excès de colères, s'en prend régulièrement aux personnes racisées, allant jusqu'à les traiter de «sales n*gres »ou «d'esclaves».
La police, instrumentalisée par cette femme, va intervenir régulièrement et c'est une escalade de violence qui s'installe jusqu'un jour où tout bascule: lorsque Ajike Owens, une mère de famille du quartier, sonne à la porte de Susan Lorincz pour lui dire de cesser d'importuner ses enfants, la retraitée tire à travers la porte et la tue.
L’événement, nous le découvrons d’abord par téléphone, lorsque Susan Lorincz appelle une nouvelle fois la police, paniquée, affirmant qu’elle se sentait menacée et qu’elle a tiré. C’est à travers les caméras-piétons des policiers arrivant sur les lieux que l’on découvre la suite: la tentative de réanimation sur Ajike Owens, son transfert à l’hôpital, ainsi que l’arrestation de Susan, puis le moment déchirant où les quatre enfants Owens apprennent qu’ils ne reverront plus leur mère.
Le racisme jusque dans la loi
Si nous savons tous que la détention d'arme à feu et le racisme gangrènent la société américaine, il y a quelque chose de sidérant lors du visionnage de La voisine idéale: la justice à deux vitesses du système américain.
Le film dresse le portrait d’une police impuissante face à une femme clairement en proie à de graves troubles mentaux. Susan Lorincz, marquée par un passé de violences conjugales et d’abus sexuels, évolue dans une réalité qui n’appartient qu’à elle. Mais au-delà de cette dimension psychologique et sociale, le documentaire met surtout en lumière le racisme systémique au cœur du système judiciaire américain.
Les lois dites « Stand Your Ground» sont responsables d’environ 700 homicides par an aux Etats-Unis, dont la majorité des victimes sont racisées. Ces lois permettent d’invoquer la légitime défense dès lors qu’une personne estime sa vie menacée, conduisant souvent à l’acquittement des agresseurs. Plusieurs études ont d’ailleurs montré que les Blancs tuant des Noirs au nom de l’autodéfense ont cinq fois plus de chances d’être acquittés que les Noirs tuant des Blancs.
De ce documentaire, on ressort anéanti: une mère de famille a été assassinée, et sa meurtrière aura vécu en liberté de juin 2023 à novembre 2024, date de son procès.
Malgré des preuves accablantes, Susan Lorincz a plaidé la légitime défense, dans un déni sidérant, avant d’être finalement condamnée à 25 ans de prison. Avec ce film, la réalisatrice Geeta Gandbhir espère ouvrir un débat sur la législation, l’accès aux armes et le rôle de la police aux Etats-Unis — un objectif qu’elle semble déjà atteindre, au vu du succès du documentaire sur Netflix.