Avouez, on l'a tous fait. Augmenter la luminosité d'un selfie. Flouter cette rougeur disgracieuse. Ajouter un filtre. D'innocentes retouches, rien de bien méchant. C'est peut-être ce que s'est dit la princesse Kate Middleton, ce week-end, en s'emparant d'un ordinateur pour «s'essayer au montage» sur une photo de famille. Dans son cas, impossible de dire quels outils ont été utilisés. La technologie ne vous permet pas (encore) de les retracer.
Une falsification si maladroite, si grossière, qu'on serait tenté d'en rire ou de trouver ça touchant. Après tout, on parle ici d'une scène entre une mère et ses trois enfants, pas du front ukrainien ou d'une poignée de main entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un. Des millions de photographies se retrouvent «améliorées» quotidiennement dans les pages des magazines de mode et les publicités. La famille royale elle-même a une longue histoire de retouches présumées - y compris la photo de Noël la plus récente de William et Kate. Alors quoi? Un scandale mondial, des kilomètres d'articles, pour ça?
C'est que la frénésie autour de la princesse de Galles soulève une question fondamentale, qui dépasse de loin la curiosité des observateurs royaux, des tabloïds et des TikTokers: nous sommes confrontés à une nouvelle «réalité» où se mêlent nouvelles technologies, fantasmes, théories farfelues et faits établis. Une réalité fragile, ténue.
Le scandale royal intervient à un moment sensible. Face à l'essor de l'intelligence artificielle, des deepfakes et autres manipulations numériques, médias et public sont en état d'alerte. La confiance envers les gouvernements et les institutions s'érode, pour céder la place à la désorientation, la suspicion et la méfiance. A raison, peut-être, quand les experts nous avertissent que les outils technologiques à notre disposition seront bientôt si efficaces qu'il sera presque impossible de se fier à ce dont on n'a pas été directement témoin.
Dans ce nouveau monde, chacun choisit ce qu'il a envie de voir. Kate Middleton en bonne santé? Kate Middleton malade? Kate Middleton sans alliance, au bord du divorce? Kate Middleton en pleine convalescence après des implants fessiers? Kate Middleton morte et recréée, à l'aide d'une intelligence artificielle?
Cette semaine, la princesse de Galles l'a appris à ses dépens: pas besoin de monter une fausse vidéo de bout en bout ni même d'avoir recours à une IA générative avancée. Un simple Photoshop bricolé à la va-vite a suffi à distiller le doute et alimenter le terreau déjà fertile de suspicions.
En bidouillant Photoshop, Kate n'a fait que souligner le fait que cette technologie existe. Et donc que l'intégrité de chaque image peut être contestée, en particulier quand sa source est une institution aussi opaque et volontairement mystérieuse que la royauté britannique.
Une aubaine pour les théoriciens du complot, qui aiment souligner les coïncidences, les incohérences et les petites anomalies qui ponctuent la vie quotidienne, comme la preuve irréfutable d'une conspiration répugnante qui nous dépasse. Kate n'a fait que retoucher une photo. Peut-être un peu, peut-être beaucoup. Pour les complotistes, c'est déjà la preuve que, lors d'une prochaine apparition, la princesse aura été remplacée par une doublure ou un hologramme.
Entre amélioration inoffensive et déclaration trompeuse, la limite est de plus en plus floue. Ne nous leurrons pas: ça n'ira pas en s'arrangeant. Pour restaurer la confiance du public, il n'existe sans doute pas de remède miracle. Peut-être le recours systématique à des photographes professionnels. Des outils plus robustes pour débusquer les images truquées. Une transparence absolue de la part des institutions.
Et surtout, un travail systématique de la presse pour continuer la lutte. Fake news après fake news, théorie après théorie. En espérant que les derniers morceaux de réalité que nous partageons, ne soient pas déjà réduits en lambeaux.