Depuis peu, les utilisateurs de Tinder qui souscrivent un abonnement payant peuvent filtrer leurs potentiels partenaires selon leur taille. Autrement dit, les femmes peuvent, de manière assez directe, écarter à l’avance les hommes de petite hauteur. Tinder justifie cette nouvelle option en affirmant répondre aux besoins de ses utilisateurs, selon des propos tenus sur le site américain TechCrunch.
Car il est scientifiquement prouvé que la taille joue un rôle central dans les rencontres amoureuses. Les individus ont tendance à privilégier des partenaires de taille similaire, avec une préférence marquée pour que l'homme soit plus grand que la femme.
Cette vision du monde influence aussi les comportements sur les sites de rencontre, comme le montre une analyse portant sur environ 22 000 utilisateurs d’un site de dating. Les hommes mesurant 1,70 mètre ou moins reçoivent 65% de messages en moins que ceux d'une plus taille pus grande. Inversement, les femmes mesurant 1,90 mètre reçoivent 42% de messages en moins que celles mesurant entre 1,60 et 1,73 mètre.
L’historien Kaspar Staub de l’Université de Zurich, spécialiste des questions de morphologie humaine, l'explique bien:
Les stéréotypes liés à la taille restent, en effet, profondément ancrés, et les hommes grands sont perçus comme forts, en bonne santé, sûrs d’eux. En 2009, l’économiste et prix Nobel Angus Deaton affirmait même que plus une personne était grande, plus elle estimait avoir une vie satisfaisante.
Que la taille ait toujours compté se reflète aussi dans notre langage, ajoute Kaspar Staub:
La préférence pour les hommes grands est surtout répandue dans les sociétés occidentales. L’anthropologue britannique Rebecca Sear a étudié le choix des partenaires chez les Hadza, un peuple de chasseurs-cueilleurs en Tanzanie.
Dans cette communauté, ni la taille ni la corpulence masculine n’avaient d’influence. Ce qui est remarquable, souligne Rebecca Sear, car la taille est généralement perçue comme un indicateur de santé et de force. Son explication:
Même en Occident, la taille idéale ne fait pas tout. L’humour, l’intelligence ou la fiabilité restent des critères essentiels. C’est ce que montre une étude du psychologue social néerlandais Gert Stulp, qui a analysé les choix de près de 6000 participants à des événements de speed dating, ce qui représente plus de 130 000 décisions.
Résultat, ceux qui ne correspondaient pas à la taille idéale avaient tout de même de bonnes chances. Les hommes s’écartaient de leur préférence dans 43% des cas, et les femmes dans 25%.
Biologiquement, les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), en Suisse, la différence moyenne de taille entre les sexes, toutes générations confondues, est de 12,9 centimètres.
A l’échelle mondiale, les Suisses se situent dans la moyenne haute. Selon une étude publiée en 2020 dans la revue The Lancet, un Suisse de 19 ans mesure en moyenne 1,79 mètre, une Suissesse du même âge 1,64 mètre.
Les hommes les plus grands vivent aux Pays-Bas, au Monténégro et en Estonie, les femmes les plus grandes aux Pays-Bas, au Monténégro et au Danemark. Les femmes les plus petites sont au Guatemala, les hommes les plus petits au Timor oriental.
La taille est déterminée à environ 80% par les gènes. Les 20% restants dépendent de facteurs environnementaux, comme la santé de la mère durant la grossesse, l'alimentation durant l’enfance, etc.
Le niveau d’instruction joue également un rôle. Les personnes plus éduquées sont en moyenne plus grandes, une tendance que l’on observe toujours dans les données suisses de l’OFS, bien qu’elle soit moins marquée qu’autrefois. Les individus issus de milieux défavorisés sont souvent plus petits, conséquence d’une nutrition insuffisante, d’un travail physique exigeant et d’un accès limité aux soins.
Ce lien entre conditions socioéconomiques et taille apparaît clairement dans les données historiques. Kaspar Staub et son équipe ont analysé des archives, telles que des registres de prison, d'hôpitaux pour femmes, des passeports, des listes de volontaires pour la guerre. Au total, plus de 40 000 personnes nées entre 1770 et 1930 ont été étudiées.
Les résultats montrent qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la taille moyenne a augmenté. Kaspar Staud avance:
Autre constat: les personnes enregistrées dans les registres de passeports étaient plus grandes en moyenne que les détenus, issus de milieux modestes. «Un passeport coûtait de l’argent, il fallait pouvoir se le permettre.»
On observe également que les crises entraînaient une stagnation temporaire de la croissance. Par exemple avec les mauvaises récoltes répétées après «l’année sans été» due à l’éruption du volcan Tambora en 1816. Les femmes étaient plus sensibles à ces périodes de pénurie, mais elles se rétablissaient aussi plus rapidement lorsque la situation s’améliorait.
Une explication possible, selon Kaspar Staub, est que, dans les familles, les ressources étaient souvent allouées en priorité aux hommes au détriment des femmes. Mais dès que les conditions se stabilisaient, ces dernières en bénéficiaient davantage.
Il reste la question de savoir si la différence de taille influence le bonheur en couple. Le psychologue social Gert Stulp a mené une étude auprès d’étudiants en psychologie. Résultat, les femmes étaient le plus satisfaites lorsque leur partenaire était plus grand de 21 centimètres, les hommes préféraient un écart de 8 centimètres. Des résultats à prendre avec précaution.
Les données de Kitae Sohn sont, elles, plus robustes. Cet économiste a analysé les trajectoires de 7850 personnes en Indonésie. Selon ses conclusions, les femmes étaient d’autant plus heureuses au début de leur mariage que leur conjoint était grand, mais cet effet s’estompait avec les années. Une explication est que les hommes grands gagnent en moyenne de meilleurs salaires et jouissent d’un statut social plus élevé, ce qui peut renforcer la satisfaction conjugale.
Kaspar Staub insiste toutefois sur le fait que les moyennes ne disent rien sur les individus:
Il existe, d’ailleurs, d’autres perspectives dans la littérature scientifique. Le sexologue Hugo Beigel montrait déjà dans les années 1950 que c'était surtout les hommes peu sûrs d’eux qui souhaitaient être avec une partenaire bien plus petite, probablement pour compenser un complexe d’infériorité. Les femmes plus émancipées, au contraire, recherchaient un partenaire de taille similaire, notait Hugo Beigel dans la revue Journal of Social Psychology.
Alors que Tinder permet désormais de filtrer selon la taille, peut-être est-ce le bon moment pour interroger ses préférences, et se demander ce qu’elles révèlent de nous-mêmes.
Traduit de l'allemand par Joel Espi