C'était en 2013, quelques jours avant le Tour des Flandres, qu'Hugo Houle allait découvrir pour la première fois. Nous nous étions retrouvés dans le lobby de l'hôtel occupé par son équipe (AG2R La Mondiale), près de la frontière franco-belge. Le Québecois avait dû être surpris qu'un journaliste suisse s'intéresse à lui, jeune coureur de 22 ans sans la moindre ligne au palmarès, ni la moindre ambition sur les classiques. On avait devancé son étonnement en lui disant qu'on souhaitait, pour autant bien sûr qu'il soit d'accord, parler de son petit frère. Il avait accepté.
Son petit frère, c'était Pierrik. Quelques mois avant notre rencontre avec Hugo, Pierrik avait quitté la maison pour un entraînement de course à pied. Ne le voyant pas rentrer alors que la nuit tombait, ses parents avaient entrepris de partir à sa recherche en voiture. Hugo, lui, avait essayé d'obtenir des informations sur Facebook, puis sur son portable. Quelques heures plus tard, le corps sans vie de Pierrik avait été retrouvé en bord de route.
Hugo s'était précipité sur les lieux de l'accident. Il avait saisi la main de son frère et avait compris qu'il n'y avait plus rien à faire. Sur place, il avait aussi croisé un homme à l’allure suspecte, qu'il nous décrira plus tard comme «nerveux et sentant l’alcool».
Le Journal de Québec avait relaté le drame dans ses éditions et annoncé que le chauffard, un certain Guy Richard, avait été accusé «de délit de fuite mortel et de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort». Il avait fait quatre mois de prison.
Hugo aurait pu tout stopper, ranger son vélo, revoir ses ambitions. Mais il n'a jamais abandonné. «Je me suis promis de poursuivre mon rêve, pour que Pierrik soit fier de moi.»
Il était revenu en Europe quelques semaines après l'accident afin de poursuivre sa carrière. A l'époque, on ne sait plus si c'est vrai encore aujourd'hui, il ne roulait pas sans une petite croix en mémoire de son frère. «J’ai toujours une pensée pour lui, avant de dormir et au départ de chaque course», nous disait-il.
Neuf ans plus tard, quand il a franchi la ligne d'arrivée du Tour de France et remporté pour la première fois de sa carrière une étape sur la plus prestigieuse course cycliste, il a levé un doigt en direction du ciel et il a pensé très fort à ce petit frère dont il a partagé les derniers instants. «Le jour de sa mort, je suis rentré d’un camp de préparation vers 18h. Pierrik jouait à la Xbox. Je l’ai rejoint et, je ne sais pas pourquoi, je me suis couché dans son lit. Nous avons passé un peu de temps ensemble. Puis il est parti courir, et il n’est jamais rentré.»
Ses larmes n'ont jamais vraiment séché. Mardi soir, Hugo n'a pu les retenir en évoquant le souvenir de Pierrik face aux journalistes venus le féliciter pour sa victoire. «J'avais un rêve, gagner une étape pour mon frère. Je la voulais pour lui. J'ai attendu dix ans, mais aujourd'hui j'ai eu cette victoire pour lui. (Il pleure.) C'est incroyable, je ne sais pas quoi dire, je suis si heureux.»