Selon l'Office fédéral de la statistique, il y aurait environ 300 000 Portugais en Suisse. En France voisine, on estime à environ 1,5 millions le nombre de personnes portugaises ou avec des origines lusitaniennes. Cette immigration massive s'étend à d'autres pays européens comme l'Allemagne, le Luxembourg et le Royaume-Uni.
Dans ces millions de personnes, on trouve évidemment beaucoup de footballeurs. La Fédération portugaise s'en est rendu compte ces dernières années et a mis en place une stratégie afin de rafler ses meilleurs talents éparpillés aux quatre coins de l'Europe. L'objectif? Eviter de rater des Robert Pires (France) et dénicher les futurs Anthony Lopes ou Raphaël Guerreiro.
Pour mettre en place son réseau de «scouting», principalement en France au départ, la FPF a fait confiance à un homme, un franco-portugais actif dans le football hexagonal depuis de nombreuses années: Olivier Feliz.
Dirigeant de club devenu recruteur en France pour le FC Porto puis le Vitoria de Guimarães, Olivier Feliz oeuvre en parallèle pour la Fédération portugaise depuis de nombreuses années.
En janvier 2021, il confiait à l'excellent blog franco-portugais trivela.fr: «J’ai commencé à travailler sur les binationaux, à aller les suivre dans les clubs amateurs dès l’âge de 15 ans. Au départ, c’était un gros boulot, j’étais tout seul, et il fallait savoir où les jeunes joueurs jouaient. Maintenant, j’ai un réseau d’informateurs dans les clubs, donc quand les jeunes nous intéressent, on va les voir, les superviser. Mais on ne les aborde jamais dès la première fois. Ce n’est qu’après un certain temps que l’on prend contact avec les familles.»
Nous nous sommes longuement entretenus avec Olivier Feliz, recruteur des binationaux franco-portugais pour la Seleção. 🇵🇹🇨🇵
— Trivela (@Trivela_FR) January 18, 2021
Nous avons notamment évoqué Raphaël Guerreiro, Anthony Lopes, et de nombreux jeunes binationaux talentueux qui rêvent de Seleção.https://t.co/yQIUFI3k2S
Ce réseau s'étend à présent en Suisse. Joao da Cunha Faria, 20 ans, évolue aujourd'hui au Martigny-Sports, en première ligue. Lors de ses années juniors au FC Sion, il a été convoqué par son pays d'origine. Il raconte:
Contacté, Olivier Feliz confirme la présence d'un réseau de «scouting» en Suisse et ailleurs: «Comme pour la France avec moi, il y a dans chaque pays où notre communauté est présente une personne qui gère un réseau de scouting et travaille en collaboration avec la fédération portugaise. Nous sommes présents en France, en Suisse mais également en Allemagne, en Belgique et même en Angleterre.» Ces dernières années, une cinquantaine de jeunes joueurs d'origine portugaise évoluant en Suisse aurait été ainsi convoqué pour des pré-sélections au pays. Le but? Ratisser large pour, ensuite, trouver des joueurs susceptibles d'intégrer les équipes juniors du Portugal. Olivier Feliz:
Au FC Sion, Christian Zermatten, ancien responsable du centre de formation, a été témoin de ce phénomène nouveau: «Il y a trois pays qui sont forts pour ce type de recrutement: le Portugal, le Kosovo et l'Albanie. Pour les Portugais, il y a souvent le côté familial, avec un cousin ou une connaissance au pays qui te dégote un test à Braga ou au Sporting. Dans les clubs suisses, nous avons pour mission d'informer l'ASF lorsqu'un joueur présélectionné en M14 ou en M15 avec la Nati possède une double nationalité footballistique. D'autres joueurs passent entre les gouttes.»
Rien qu'au FC Sion, on peut citer quatre joueurs juniors convoqués par le Portugal ces dernières années:
Commentateur officiel de l'équipe de la Suisse pour la RTS, David Lemos possède également des origines portugaises. Il dit comprendre la stratégie de la FPF sans la définir comme une menace pour la Suisse:
Si le Portugal a mis en place cette stratégie, c'est qu'il a bien compris qu'il était dans le coeur de ses «emigrantes». Pour trivela.fr, Olivier Feliz expliquait que 95% des joueurs disent «moi, c’est la Seleção» et que leur rêve est de représenter le Portugal.
Victor Pereira, enseignant-chercheur en histoire à l’université de Pau, déclarait pour «So foot» en 2016 que l'origine de cet attrait pour le pays d'origine des parents peut s'expliquer notamment par deux facteurs:
Un sentiment d'attache accentué par les traditionnelles vacances d'été au Portugal, comme l'expliquait à Eurosport le latéral gauche de l'équipe nationale, Raphael Guerreiro:
Une fierté et une joie partagées par Joao da Cunha Faria, qui ajoute encore Cristiano Ronaldo dans les éléments qui font rêver les jeunes «emigrantes» : «Bien sûr, le Portugal, pour nous c'est un rêve. C'est l'objectif de chaque joueur d'origine portugaise. On a une équipe et des joueurs qui font rêver. Cristiano Ronaldo a toujours été mon idole et jouer à ses côtés aurait été un accomplissement incroyable.» Ces arguments sont également avancés par David Lemos qui dit comprendre ces jeunes «dragués» par le Portugal:
Si les «emigrantes» continuent de rêver de «Seleçao» et de première équipe, c'est qu'ils ont des exemples en qui s'identifier. Actuellement, quatre joueurs de l'équipe principale sont nés à l'étranger de parents portugais :
À ces quatre joueurs peuvent s'ajouter l'ancien milieu de Leicester City Adrien Silva (né à Angoulême en France) ou encore Armando Gonçalves Teixeira dit «Petit», surnommé ainsi pour sa petite taille et ses origines françaises (il est né à Strasbourg). Des réussites qui permettent aux jeunes, comme Joao, de s'accrocher et de se sentir désirés: «Le Portugal nous fait comprendre qu'il nous veut. Quand tu arrives là-bas, tu es traité comme un professionnel, c'est incroyable. De plus, il y a des joueurs de partout en Europe. Donc même quand tu retournes en Suisse, tu restes concerné car tu sais que tu es suivi.»
Une stratégie assumée par le Portugal, comme nous l'explique Olivier Feliz : «Pendant longtemps, les Portugais de France se sont sentis abandonnés par leur pays d'origine au niveau du football. Ce n'est plus le cas maintenant. Il y a également un sentiment de fierté quand des joueurs comme Anthony Lopes ou Raphael Guerreiro jouent avec la sélection.»
Le cas de figure le plus représentatif pour la Suisse est celui de Diogo Monteiro. Le jeune défenseur du Servette FC évolue depuis les M15 avec la sélection portugaise. Il compte déjà 25 sélections. Christian Marques, 19 ans, né à Zurich et qui représente maintenant Wolverhampton en Angleterre, est également international portugais. Avant eux, d'autres, comme Joel Pereira (RKC Waalwijk en Hollande), 25 ans et né au Locle, ont préféré le Portugal à la Suisse.
Sempre bom estar de volta 🤙🏽😅 pic.twitter.com/8Wlg8rfvdO
— Monteiro Diogo (@MonteiroDiogo5) March 15, 2022
Si le système fonctionne actuellement, par le passé, le Portugal est passé à côté de passablement de joueurs de grande qualité. On peut penser à Robert Pires, champion du monde avec la France en 1998, ou plus récemment à Antoine Griezmann, portugais d'origine du côté maternel.
Dans les années 90, sans réseau comme l'actuel, le Portugal est également passé à côté de joueurs moins réputés comme Corentin Martins (550 matchs professionnels). Si l'ancien milieu de terrain de Bordeaux ou de Strasbourg n'avait, à l'époque, pas les qualités pour intégrer l'équipe de France, il aurait clairement pu être appelé avec le Portugal qui possédait une équipe de moins bonne qualité qu'actuellement.
En Suisse, de plus en plus de noms à consonance portugaise remplissent les fiches de convocations des équipes nationales juniors. Si ces derniers sont encore moins nombreux que les noms de famille d'origine balkaniques, il se peut qu'à l'avenir, nous assistions de plus en plus à un bras de fer entre pays d'origine et pays d'adoption pour ces joueurs, balancés, comme toute leur communauté, entre leur attachement au Portugal et leur sincère reconnaissance envers la Suisse.