Klaxons, écharpes, drapeaux, mauvaise foi, hurlements à coups de «Portugal, Portugal…» Mais d’où vient cette passion extrême des Portugais pour la Seleção? Tentative de réponse en cinq points par un helvético-portugais qui a, lui aussi, dans ses jeunes et innocentes années, klaxonné pendant une heure dans les rues de Vevey, après une victoire anecdotique de son équipe nationale au premier tour de l’Euro.
Le football est une religion, oui d’accord et dans beaucoup de pays, oui d’accord, mais combien de pays peuvent se vanter d’avoir trois, oui trois, journaux dédiés exclusivement au football? Avec O Jogo (journal avec des tendances plutôt portistas, du FC Porto), Record (Sporting) et A Bola (Benfica), les Portugais ont leur sacro-sainte lecture chaque jour de l’année.
Samuel Soares, fondateur d’emigrar.ch, plateforme internet qui regroupe notamment plus de 20 000 Portugais de Suisse sur Facebook, nous explique également que le football est utilisé jusqu’au sommet de l’état pour masquer des problèmes sociaux bien plus importants.
Pour les Lusitaniens, le football est également un motif de fierté, comme nous l’explique à nouveau Samuel Soares: «L’équipe nationale, grâce à ses succès, permet de replacer le Portugal dans le débat public et sur la carte du monde. C’est une fierté pour les Portugais et pour le Portugal, qui vit parfois au travers de son glorieux passé empirique.»
Intraductible, difficilement explicable, le terme saudade est définit par le dictionnaire Larousse comme «sentiment de délicieuse nostalgie, désir d'ailleurs». Un sentiment qui résume la vie de milliers d’emigrantes qui vivent au rythme de ces allers-retours annuels entre la Suisse et le Portugal.
Chaque année, l’espace de trois ou quatre semaines, le retour au pays vient alimenter cette saudade, ce sentiment incontrôlable qui nous envahit lorsque l’on repense à ces chaudes soirées d’été au bled avec les cousins ou lorsque l’on repense à cette rituelle énorme étreinte de notre grand-mère, à la fin de l’été qui, au moment de nous quitter, nous glisse à l’oreille cette phrase si douloureuse et symbolique pour tout le peuple aux doubles origines: «Até para o ano se Deus quiser», littéralement traduit par «à l’année prochaine si Dieu le veut».
Ce moment, cette étreinte, tu ne le contrôles pas, les larmes prennent le dessus, exactement de la même manière que ce fameux 10 juillet 2016 lorsqu’Eder s’est défait de plusieurs défenseurs français avant de marquer le goal le plus important de l’histoire de l’équipe du Portugal. Ces quelques secondes, lorsque le ballon a percuté les filets de Lloris, je ne les ai absolument pas maitrisées, m’effondrant, en larmes, envahit par cette saudade, cette délicieuse nostalgie, ce désir d’ailleurs.
Voilà maintenant onze ans que je joue au football en actif en Suisse et je porte toujours le numéro 17. Pourquoi ? Car c’est le numéro que portait Cristiano Ronaldo lors de l’Euro 2004 au Portugal. Comme des milliers de joueurs régionaux aux origines portugaises, je suis le parfait cliché du «CR7 régional», irritant et irritable sur le terrain, tentant d’imiter, avec peu de succès, celui qui nous remplit de fierté chaque week-end.
Si CR7 peut diviser à travers le globe par son attitude et sa personnalité, il fait plus que l’unanimité au Portugal, un pays qu’il a, à lui seul, revalorisé aux yeux du monde entier.
«Where are you from?» Cette fameuse question, quand tu arrives dans l’espace commun des auberges de jeunesse, je l’ai entendue des centaines de fois, que ce soit à Lima, à New York, à Hanoï ou ailleurs. Chaque fois, j’ai cette même hésitation avant de répondre: «Bon, je dis Switzerland ou Portugal?» Et même si je réponds «Switzerland», mon apparence physique m’oblige à préciser: «But my family is from Portugal», une précision qui débouche automatiquement sur la réaction suivante: «Ahh, Cristiano Ronaldo!»
Et oui, l’histoire de nos vies est indéniablement liée à celle de Cristiano. Au fil de ses succès, de ses victoires, de ses records, il a fait grandir en nous cette fibre patriotique et cette fierté nationale qui se transforme en cocktail explosif et en klaxons lorsque la Seleção gagne. Donc oui, si vous ne dormirez pas lorsque l’on passera quatre buts à la France le 23 juin prochain, ce sera aussi un peu de la faute à Cristiano Ronaldo, une raison de plus pour vous de le détester et une de plus pour nous de l’idolâtrer.
Du haut de mes 30 ans, je suis le football depuis environ 1998 et la Coupe du Monde en France. Cette compétition est la seule que le Portugal a manqué ces 25 dernières années. Depuis, j’ai eu la chance de voir évoluer mon pays d'origine à chaque grande compétition internationale, avec pas mal de succès par ailleurs: finale en 2004, demi-finale en 2000, en 2006 et en 2012 et victoire en 2016.
Les victoires forgent les esprits et les passions. Cette chance, la génération de mes parents ne l’a pas connue, comme l’explique mon père, humble travailleur que j’admire encore plus que Cristiano et la Seleção, arrivé en Suisse en 1982:
La RTS l’expliquait il y a peu dans un reportage au cœur de la communauté portugaise en Suisse, le clan familial est très important dans la société lusitanienne. Le «liberté, égalité, fraternité» français pourrait être retranscris en «famille, travail, football» au Portugal, où ces trois éléments sont les piliers de notre communauté.
La famille est le ciment, un lien fort subsiste entre les membres d’un clan qui se voient de manière plus que régulière. Le travail est tout aussi primordial, il permet de faire vivre sa famille, de la meilleure des manières possibles. En parallèle, le football fait office de récréation entre les devoirs familiaux et les dures semaines de travail.
C’est également un motif de rassemblement, comme pour moi, le 19 juin prochain, où l’un de mes nombreux cousins a réuni toute la famille pour regarder le match contre l’Allemagne (que l’on va également exploser 4-0 sur un autre quadruplé de notre roi Cristiano). Ce contexte, ce lien familial fort, renforce le sentiment d’appartenance et l'identification à la sélection. Un sentiment bien compris par la fédération portugaise de football qui avait fait de cette unité son slogan en 2016: «Nao somos 11, somos 11 milhões» (Nous se sommes pas 11, nous sommes 11 millions).
Pour approfondir le débat ou le sujet, rendez-vous sur les terrasses et les fan-zones de l’Euro ces prochaines semaines. Posez vos questions à vos amis portugais: ils se feront une joie, j’en suis sûr, de vous expliquer leur passion pour leur pays et leur équipe nationale. De mon côté, même en cas de victoire, je me contenterai d’une Sagres au bar plutôt qu’un tour de piste en klaxonnant. On ne va pas se mentir, au volant de ma vieille Dacia, j’aurai l'air un peu bête.
Bon Euro à toutes et à tous !
Hop Suisse e Força Portugal ! 🇨🇭🇵🇹