Tous les fans de Fribourg-Gottéron espèrent pouvoir chanter Lyôba ce mardi dans la BCF Arena, dès la fin du match contre Lausanne. Ça voudrait dire que leur équipe a gagné et qu'elle mène 2-0 dans cette demi-finale des play-offs.
Car oui, le mythique refrain issu du Ranz des vaches est systématiquement entonné par toute la patinoire fribourgeoise quand les locaux l'emportent. A tel point que la chanson est devenue l'hymne officieux de Fribourg-Gottéron. C'est d'ailleurs aussi celui du canton de Fribourg (qui n'a pas d'hymne officiel, au contraire d'autres cantons romands). Rien d'étonnant, donc, à ce que Gottéron – véritable étendard du canton de Fribourg – se soit aussi approprié cet air traditionnel à la très riche et longue histoire.
Il est impossible d'en dater la naissance exacte, mais Lyôba est mentionné dans des textes dès le 16e siècle. Il s'agit de paroles que les armaillis – bergers des Alpes fribourgeoises et fromagers de montagne – chantent, a cappella, pour appeler les vaches, pour les traire par exemple. D'ailleurs, le terme «Lyôba» vient du terme «alyôbâ» en patois gruérien (sud du canton de Fribourg), qui signifie «appeler le bétail». Le «ranz» fait, lui, référence à l'alignement des bêtes (rang).
Cette coutume et le petit air qui en découlent ne sont pas propres aux pâturages fribourgeois: on les trouve dans les cantons de Berne et Vaud ou en Appenzell, par exemple. Mais c'est la version gruérienne qui va s'imposer, comme l'explique l'Etat de Fribourg sur la section culturelle de son site web.
Elle va se faire connaître au-delà des frontières régionales dès le début du 19e siècle, d'abord lors de la fête d'Unspunnen (à Interlaken/BE) en 1805. Huit ans plus tard, une première version écrite est publiée (déjà sous l'appellation Ranz des vaches), en patois gruérien et avec la traduction française. Le texte décrit une journée d'armaillis sur l'alpage des Colombettes, en Gruyère.
Dès 1819, c'est la Fête des Vignerons à Vevey qui boostera la popularité de cette chanson. Celle-ci comporte 19 couplets et chacun d'eux est entrecoupé d'un refrain (le fameux Lyôba) qui a, lui même, deux versions. Le Ranz des vaches constitue encore aujourd'hui un (si ce n'est le) moment fort de la célèbre fête veveysanne, qui se tient tous les 20 à 25 ans.
La chanson gruérienne n'a eu de cesse de se faire connaître tout au long du 19e siècle, chantée dans les nombreuses kermesses à travers le pays rendant hommage à l'héritage alpin de la Suisse. Des fêtes d'ailleurs encouragées par le gouvernement fédéral, soucieux de créer une unité nationale et des mythes fondateurs.
A la fin des années 1920, l'abbé fribourgeois Joseph Bovet harmonise la version que l'on connaît aujourd'hui et l'enregistre avec une chorale. De quoi diffuser encore plus largement le Ranz des vaches et le faire entrer définitivement dans le patrimoine local et national.
Avant les fans de Gottéron, cet air – qui a inspiré des compositeurs aussi célèbres que Beethoven, Berlioz, Schumann ou Wagner, comme le rappelle le site web de l'Etat de Fribourg – a fait naître des sentiments très forts chez de nombreuses personnes.
A la fin du 17e siècle, un jeune étudiant bâlois en médecine, Johannes Hofer, observe qu'entendre le Ranz des vaches provoque la nostalgie du pays chez les mercenaires suisses engagés dans les différentes armées européennes, et les pousse à déserter.
Selon certains historiens, qui se fient aux écrits du philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Louis XIV, roi de France, aurait ainsi interdit à ses soldats helvètes de chanter cet air, sous peine d'être condamnés à mort.
Le «Roi-Soleil» n'est pas le seul dirigeant politique à avoir empêché une popularité encore plus forte du Lyôba. En 2019, c'est... le Conseil d'Etat fribourgeois qui donnait un avis négatif à une motion déposée (puis retirée) par deux politiciens, qui souhaitaient que la chanson devienne l'hymne officiel du canton.
Le gouvernement cantonal argumentait que s'accaparer officiellement le Ranz des vaches «pourrait froisser les (autres) Suisses qui se reconnaissent dans ses valeurs et sa mélodie».
Une chose est sûre: si les Lausannois sont éliminés par Gottéron, ils ne revendiqueront pas, eux, l'héritage de cet air. Qui risquerait de leur faire siffler les oreilles pendant longtemps...