Les Bianconeri connaissent l'une des pires saisons de leur histoire, avec actuellement un triste 12e rang au classement de National League. Ils affrontent Berne dimanche à la maison (20h00), avec l'objectif de se redonner un peu d'espoir dans la lutte pour les play-off.
Avant cette échéance importante pour le HC Lugano, son directeur général, Marco Werder, et son directeur sportif, Hnat Domenichelli, reviennent sur cette saison très difficile et le contexte local pas toujours favorable.
C'est quoi, l'ADN du HC Lugano?
MARCO WERDER: Le HC Lugano est toujours aussi ambitieux. Depuis des années, on essaie de développer nos propres joueurs et employés. Même si ça peut vous sembler étrange, on est un club avec un budget.
Donc de défier les grands clubs de Suisse alémanique. C'est difficile dans notre région, parce qu'on opère dans une petite zone économique par rapport à Berne, Zurich, Zoug ou Lausanne.
Vous ne pouvez donc pas régater quand il s'agit d'engager de grands noms comme Grégory Hofmann, par exemple?
HNAT DOMENICHELLI: Si, on peut le faire n'importe quand, pour autant qu'on ne dépasse pas le budget. Prenons l'exemple de Hofmann: c'est un grand joueur, il était formidable lorsqu'il jouait encore chez nous. Pour nous, la question est la suivante: si on essaie de le faire revenir, est-ce qu'on aura encore assez d'argent pour les autres joueurs? Vaut-il autant que ça? Ce sont des décisions difficiles. On n'a pas été en mesure de surenchérir sur les offres de la concurrence pour un contrat de plusieurs années.
Si on vous suit: Lugano, qui achetait à l'époque des grandes stars, met désormais l'accent sur la formation?
M.W.: C'est ce que tout le monde essaie de faire depuis longtemps et si tu n'essaies pas, tu disparais. Il y a douze ans, on a décidé d'investir dans la formation et aujourd'hui, on fait partie des meilleurs au plus haut niveau junior. Le hockey est important au Tessin, mais les enfants ont aussi de nombreuses autres activités sportives attrayantes à choix. Le grand défi, c'est de trouver le bon mélange entre nos propres joueurs et les bons transferts.
Prenons 100 enfants qui veulent faire du sport. Combien d'entre eux choisissent le hockey?
M.W.: Je n'ai pas ce chiffre. On recrute environ 100 enfants par saison et on a environ 400 jeunes qui jouent dans nos 19 équipes juniors. On est donc complet.
Est-ce que ça suffit comme base pour former une équipe de haut niveau?
M.W.: Seulement les années exceptionnelles. Comme par exemple les années 1994 et 1995, durant lesquelles sont nés Merzlikins, Fazzini, Morini, Romanenghi et Dario Simion. Dans l'idéal, on pourrait intégrer quatre ou cinq juniors par an dans la première équipe. Mais ce n'est pas réaliste et c'est donc notre directeur sportif qui doit être à l'affût de joueurs de l'extérieur.
H.D.: Le fait qu'on ait eu de si bons millésimes en 1994 et 1995 n'est pas du tout un hasard.
J'ai grandi à Edmonton, près de la patinoire, et quand j'ai eu l'âge d'aller à l'école, les Oilers dominaient la NHL avec Gretzky et Kurri. Il n'y avait qu'un seul sujet de conversation à la maison, à l'école et en ville: le hockey. C'est aussi pour ça que j'ai commencé le hockey.
Ça ne suffit pas d'enthousiasmer les enfants pour le hockey. Il faut surtout enthousiasmer les plus doués.
M.W.: C'est vrai. Mais la passion pour ce sport est encore plus importante que le talent. Celui qui vient avec cette passion fait généralement son chemin dans notre hockey.
Vous essayez de développer vos propres joueurs. Mais le HC Lugano n'est pas un club formateur. Il est une marque haut de gamme et se doit de remporter des titres.
H.D.: Oui, c'est vrai. On paie le prix de nos succès passés.
M.W.: Mais on en est aussi fiers. Ça montre que de nombreuses personnes ont très bien travaillé ici. Si on est dans cette situation, c'est parce qu'on a fait beaucoup de choses correctement. On a d'énormes défis à relever. Même en ce qui concerne l'infrastructure.
H.D.: Lugano jouit d'une excellente réputation dans le monde du hockey international. Ça nous facilite parfois la tâche. Lorsqu'un poste d'entraîneur se libère chez nous, on reçoit généralement 50 candidatures. Quand un entraîneur a travaillé chez nous, on dit: «Oh, à Lugano! Il doit être bon pour avoir obtenu le poste là-bas.» Celui qui échoue chez nous n'a pas de problème. Les gens lui concèdent plutôt: «Oui, oui, c'est un poste difficile.»
En effet, c'est le cas. Depuis 2019, Sami Kapanen et Serge Pelletier ont été licenciés. Et en octobre, ça a été le tour de Chris McSorley, dès le début de sa deuxième saison alors qu'il avait signé pour trois ans.
M.W.: Notre mentalité ici est différente. Au Tessin, on vit dans un autre monde, et cette réalité a toujours été sous-estimée en Suisse alémanique.
C'est-à-dire?
M.W.: Nos fans sont passionnés et notre culture médiatique est complètement différente de celle de la Suisse alémanique.
Comme en Italie, on vit ici plus ou moins dans la culture médiatique italienne. Combien de talk-shows sur le hockey y a-t-il dans toute la Suisse alémanique?
Il n'y a aucun vrai talk-show sur le hockey en Suisse alémanique.
M.W.: Vous voyez! On en a quatre au Tessin. Par semaine.
H.D.: Quand vous travaillez pour le HC Lugano, votre vie ici ressemble à une émission de télé-réalité
N.W.: Quand on perd, les choses ne se passent pas de la même manière chez nous qu'à Davos avec la couverture médiatique de la Südostschweiz. C'est vraiment un autre monde, et c'est sous-estimé en Suisse alémanique.
Comment ça se traduit au quotidien?
N.W.: Dix à douze journalistes sont présents à chaque entraînement. Le hockey est un sujet de discussion tous les jours et les liens entre les joueurs et les journalistes sont étroits.
Est-ce vrai que les joueurs de Lugano offrent des infos internes au vestiaire aux journalistes pour déstabiliser l'entraîneur?
N.W.: Non, ça ne se passe pas comme ça. Les journalistes cherchent eux-mêmes ces informations internes. S'ajoute à ça le fait que beaucoup sont des fans d'Ambri. (rires)
Là, vous exagérez.
N.W.: Non, non, je n'exagère pas. Si vous avez grandi au Tessin, vous devez être soit pour Lugano, soit pour Ambri. Plus de 75% des Tessinois sont pour Ambri.
Pourquoi ça?
N.W.: Peut-être parce qu'on ne peut pas offrir le même romantisme du hockey qu'Ambri. On est aimé pour nos succès.
Vous êtes peut-être un peu victime de cet ADN.
N.W.: Oui, sans doute. A Ambri, une qualification pour les play-off a, dans l'esprit du public, la même valeur qu'un titre de champion chez nous.
Pourquoi les entraîneurs au HC Lugano n'ont-ils quasiment aucune chance de rester longtemps?
N.W.: Pensez-vous que c'est facile pour nous de licencier un entraîneur? Certainement pas.
Est-ce vraiment le cas? N'avez-vous pas actionné le couperet trop tôt avec Chris McSorley?
H.D.: Non. On a eu tellement de discussions après la saison dernière, on a fait des ajustements et après le début de cette saison, on a dû constater que l'équipe ne se développait pas comme on l'avait imaginé et espéré. On en est donc arrivé au point où la séparation était la meilleure décision pour les deux parties. La pression était tout simplement devenue trop forte. C'est la différence entre Ambri et Lugano: on ne peut pas manquer les play-off cinq années de suite. Notre ADN ne le permet tout simplement pas.
N'est-il pas vrai que les joueurs sont trop puissants? Qu'ils ont l'oreille des dirigeants?
H.D.: Non. Prenons concrètement les exemples de Patrick Fischer et de Chris McSorley. J'étais joueur sous Patrick et j'ai ensuite été le supérieur de Chris en tant que directeur sportif. Je ne correspondais plus à l'idée que se faisait Patrick d'un jeu rapide. Il est resté, j'ai dû partir et j'ai été transféré à Berne. Comme les résultats ne s'amélioraient pas, Patrick a ensuite perdu son emploi. Mais tous deux, on en a payé le prix: le joueur et l'entraîneur.
Mais les résultats ne se sont pas améliorés cette saison.
Pourquoi Chris McSorley a-t-il échoué?
N.W.: On s'est souvent posé cette question. Avez-vous une réponse?
Non, je suis trop éloigné du HC Lugano.
N.W.: Allez, qu'en pensez-vous? Vous connaissez Chris depuis 20 ans.
Chris n'était plus le même Chris à Lugano que celui que j'avais connu auparavant.
N.W.: Pourquoi?
Parce que Lugano était trop grand pour lui. Lui aussi a été victime de l'ADN du «Grande Lugano».
N.W.: Que voulez-vous dire?
On peut comparer les choses comme ça: Chris McSorley, avant de venir à Lugano, était le roi. Il était un homme qui pouvait séduire n'importe quelle femme. Mais avec Lugano, c'est comme s'il avait soudain un date avec Heidi Klum: il s'est liquéfié à cause d'un trop grand respect et n'a plus osé être le même Chris McSorley.
N.W.: C'est une approche intéressante.
Maintenant, vous misez sur un entraîneur issu du mouvement junior. Un revirement plus extrême est impensable.
H.D.: Ce n'est pas un retournement de situation.
C'est notre meilleur candidat: il connaît notre mentalité, notre culture et nos jeunes joueurs et il a fait un excellent travail dans le centre de formation. Il doit être notre entraîneur à long terme.
Est-il possible d'être dans les chiffres noirs au HC Lugano?
N.W.: Pas jusqu'à présent. Parce que depuis le dernier titre, il y a 16 ans, on n'a plus investi dans l'infrastructure. Désormais, on le fait.
Une nouvelle patinoire comme celles d'Ambri, de Zurich, de Zoug ou de Bienne est-elle possible à Lugano?
N.W.: Non. Notre patinoire est une nice old lady et a besoin d'un petit rafraîchissement. Elle appartient à la ville de Lugano et on prévoit d'agrandir à nos frais l'espace VIP entre la halle d'entraînement et la patinoire. Le financement est assuré, il s'agit maintenant de trouver un accord avec un opposant.
Quelle est la part de la vente de billets dans les recettes?
N.W.: Environ 20%. On est à guichets fermés dans le domaine du sponsoring et de l'hospitalité VIP, on ne peut pas se plaindre et nos investissements nous permettent de développer ce domaine. On continue à avoir un bon budget.
Quel est le budget de la première équipe?
N.W.: On est dans la première moitié du classement.
Un chiffre?
H.D.: Assurément plus de quatre millions de francs.
Interview tirée du magazine «Slapshot»
Adaptation en français: Yoann Graber