En décembre 2023, nous vous présentions dans un article le projet fou d'Alan Frei. Depuis l'an dernier, ce Zurichois de 42 ans a une idée fixe: participer aux JO 2026 en curling avec l'équipe des... Philippines, le pays de sa mère, qu'il a lui-même créée.
Frei n'avait jamais joué au curling avant avril 2023. Mais il a réussi à enrôler dans son aventure trois joueurs helvético-philippins expérimentés: Christian Haller et les frères Marc et Enrico Pfister.
Avant ce défi sportif, Alan Frei avait déjà un parcours improbable: fauché au début de sa trentaine, il est devenu millionnaire en fondant une entreprise de sex-toys en 2014 (revendue en 2020). Et avant de devenir un sportif accompli, il était encore obèse fin 2022.
Depuis, il a perdu 27 kg et s'entraîne tous les jours au curling. Son rêve de participer aux prochains JO d'hiver ne semble plus si déconnecté. Une aventure digne des bobeurs jamaïcains de 1988 à Calgary, qui ont inspiré le célèbre film Rasta Rockett.
Vous avez raconté que votre projet n'a pas plu à tout le monde. Vous avez reçu quel genre de critiques?
J'ai reçu des e-mails anonymes haineux. Certains me demandaient: «C'est quoi cette merde?» D'autres me traitaient de «risée». Dans une certaine mesure, je pouvais comprendre ces réactions. Voilà un millionnaire qui n'a jamais joué au curling, et soudain, il est partout dans les médias. La seule chose que je pouvais faire, c'était de m'investir à fond et de prouver que je n'étais pas là pour rigoler. Les râleurs se taisent de plus en plus. Et vous savez ce qui est le plus beau dans tout ça?
On vous écoute!
Peu importe l'attention que je reçois, peu importe ce que je raconte, à la fin de la journée, seul le succès compte. Et je ne peux pas l'acheter. Il en va de même pour la participation aux Jeux olympiques. Je dois m'entraîner moi-même et je dois aller sur la glace avec mes coéquipiers. C'est là que tout se décide.
Quel a été le plus grand défi sportif jusqu'à présent?
Le grand écart de performance entre mes coéquipiers et moi.
Vous avez déjà douté?
Oui, il y a eu des moments où je me suis demandé ce que je faisais ici.
Vous avez des exemples?
Deux situations me viennent à l'esprit. Premièrement, quand je suis tout seul dans la halle. En été, de nombreuses équipes de haut niveau s'entraînent à Baden. Mais en hiver, je suis souvent seul. C'est pourquoi le mercredi soir est le moment fort pour moi. Parce que c'est là que les retraités viennent jouer. Il se passe alors enfin quelque chose autour de moi dans la halle.
Et le deuxième moment?
Une fois par an, le Baden Masters se déroule dans la halle du Baregg. De nombreuses équipes internationales de haut niveau y participent. Et comme le tournoi a lieu à domicile, je me suis dit que nous devions y participer, car nous représentons les Philippines. Nous avons donc participé.
Et ils ont réagi comment?
En cas de chute, les curleurs tombent souvent sur l'arrière de la tête. C'est dangereux. C'est pourquoi tous ceux qui pratiquent ce sport ont une règle: on regarde d'abord si la personne qui est tombée va bien. Ensuite, seulement, on fait des blagues. Des vidéos ont circulé, où on me voit shooter toutes les pierres.
Elle est perçue comment aux Philippines, votre aventure?
Quand notre histoire a été connue, nous avons été invités à Berne par l'ambassadeur des Philippines. Et les journaux philippins parlent aussi régulièrement de nous.
Quelle est la part de philippin en vous?
J'ai une anecdote amusante à ce sujet: j'étais assis dans un restaurant avec l'équipe quand soudain, l'hymne national philippin a retenti. Mais aucun de nous ne l'a reconnu. Nous nous sommes alors dit: «Il faut l'apprendre!» Ça me dérange, en football, quand les joueurs ne chantent pas leur hymne.
C'est réaliste de penser que vous chanterez l'hymne national philippin aux JO 2026 en Italie?
Lorsque j'ai lancé le projet, nous avions estimé à 0,5% voire 1% les chances d'y arriver. Entre-temps, nous avons gagné le premier des trois tournois décisifs. Maintenant, nous devons encore remporter le tournoi pré-qualificatif pancontinental, puis les qualifications. Il semble possible que nous passions la pré-qualification.
Vous devez progresser où pour que vos chances s'améliorent?
Mes coéquipiers ont également commencé à s'entraîner davantage, même s'ils continuent à travailler à plein temps. Il faut être honnête: lors des tournois que nous allons jouer, je suis actuellement le plus mauvais de toutes les équipes. Je joue les deux premières pierres de l'équipe. Ma précision de tir est actuellement d'un peu plus de 65%. Mais je dois atteindre 85 à 90%. Mais ce qui est presque encore plus décisif, c'est que je m'améliore en balayage. Actuellement, je ne peux balayer que d'un seul côté. C'est un très gros inconvénient.
Vous vivez actuellement comme un professionnel du curling?
Pas en ce qui concerne mon niveau. (rires) Mais ma vie ressemble à celle d'un joueur professionnel.
Un cinéaste accompagne votre aventure. On la verra un jour sur Netflix?
C'est l'objectif. Nous avons déjà réalisé une première bande-annonce. Et nous sortirons nous-mêmes le premier épisode. Peut-être qu'une maison de presse suisse participera. Ou alors j'appellerai Netflix.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber