La débâcle des épreuves de surf aux Jeux olympiques de Paris 2024, épisode 657. Sur le papier, l'histoire avait de quoi donner des frissons à n'importe quel téléspectateur lambda. Le cadre naturel préservé de la Polynésie française, ses montagnes verdoyantes, ses lagons bleus à couper le souffle, sa mythique vague de Teahupoo (qui signifie «montagne de crânes» en tahitien) qui fait rêver plus d'un surfeur et qui, parfois, tue. En somme, le spot parfait pour accueillir les épreuves de surf de Paris 2024. Mais à plus de 15 000 kilomètres de la capitale française, à Tahiti, la colère monte.
Car le rêve tourne désormais au cauchemar. Les problèmes liés au logement - la petite île a peu de capacités d'accueil, et près de la vague, on ne trouve que quelques lodges et petites pensions familiales - avaient déjà défrayé la chronique. Aujourd'hui, c'est la dégradation de sites naturels, dernières crise en date, qui rend les locaux furieux. Au point, à quelques mois des Jeux, où on peut se demander si les surfeurs et l'organisation ne vont pas se retrouver bec dans l'eau.
Pour accueillir les juges des épreuves, il faut une tour. Posée en plein milieu du lagon et des coraux, sur le récif. Il en existe déjà une, en bois, que la World Surf League installe chaque année pour l'épreuve du circuit pro, et qu'elle démonte une fois la compétition terminée. Mais cette tour n'est pas assez grande et sophistiquée pour accueillir tout le fatras olympique: une salle climatisée pour les serveurs informatiques, des toilettes, et de la place pour une équipe bien plus conséquente. Et qui dit toilettes et serveurs informatiques dit aussi câbles et tuyaux, à dérouler dans le lagon sur 750 mètres. Et de toute façon, selon L'Équipe, qui cite le président de la Polynésie, la tour en bois n'est pas aux normes de sécurité depuis... 2008.
Quand bien même des travaux seraient effectués sur cette tour en bois, à moins de 230 jours du lancement des Jeux, ils seraient coûteux, et il faudrait faire des choix. Restreindre le nombre de personnes admises, cloisonner les serveurs dans une pièce à part, qu'il faudrait tout de même climatiser et, pour ne pas avoir à poser des tuyaux, évacuer les eaux usées dans le lagon (ce qui ne pose d'habitude pas de souci). Mais reste le problème des câbles pour faire passer la fibre.
Exit donc la vieille tour en bois, le comité d'organisation des Jeux olympiques construit sa propre structure. Plus grande. Métallique. À l'image du gigantisme des Jeux olympiques. Il faut que ça claque, que les juges soient bien assis, qu'ils puissent uriner proprement, que les images des caméras soient spectaculaires, que les serveurs soient bien ventilés. Avant même qu'elle ne soit installée, son coût avait déjà fait bondir la population locale: 4,4 millions d'euros.
Paris 2024 s'était vanté de vouloir faire «de la responsabilité environnementale un axe clé de sa candidature et de son organisation». Le dossier initial prévoyait aussi la gratuité des transports publics, il n'en sera rien: le ticket de métro parisien, qui coûte aujourd'hui 2,10 euros, grimpera à 4 euros pendant l'événement. La «responsabilité environnementale» du comité en Polynésie française s'apparente à cette gratuité envolée: une jolie promesse non tenue.
Car les derniers tests effectués pour implanter cette nouvelle tour ont tourné au désastre. Vendredi 1er décembre, la barge, qui devait permettre l'installation de cette nouvelle structure, a brisé le corail. C'en est trop pour la population locale: les associations ont appelé à déplacer les compétitions olympiques, tandis que le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, a décidé d'annuler les prochains tests, suspendu les travaux et exclu d'utiliser l'ancienne tour en bois, remettant carrément en question l'accueil des épreuves de surf à Teahupoo. Il l'a fait savoir sur TNTV, la chaîne de télévision locale:
La légende du surf Kelly Slater a également pris position dans cette affaire. Pour l'Américain de 51 ans, la démesure des Jeux pour la construction de cette nouvelle structure ne se justifie aucunement:
Restée discrète durant des semaines, lorsque la dangerosité pour les coraux n'était encore qu'une «simple crainte» des locaux, l'international surfing association (ISA) a elle aussi fini par réagir par voie de communiqué. Mercredi 6 décembre, elle a salué la décision du gouvernement polynésien:
Responsable de l'organisation des épreuves de surf pour Paris 2024, l'ISA a rejeté la responsabilité du désastre:
La justice a d'ailleurs ouvert une enquête, confiée à l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique. Cet échec a par ailleurs été reconnu par Barbara Martins-Nio, la directrice du site de Tahiti pour Paris 2024. Auprès de l'AFP, elle a dit œuvrer à trouver une solution:
L'ISA a par ailleurs déclaré «intensifier les discussions pour examiner toutes les options possibles». Mais à quelques mois des Jeux, quelles sont-elles?
Plusieurs spots de surf, dont Lacanau, en Gironde, et La Torche, dans le Finistère, s'étaient portés candidats pour accueillir les compétitions olympiques, mais en 2020, c'est Tahiti qui avait été retenue. Aujourd'hui, les deux sites métropolitains ont rappelé leur intérêt au cas où les épreuves ne pourraient finalement pas se dérouler en Polynésie.
Le Breton Stéphane Le Doaré, maire de Pont-l'Abbé et président de la communauté de communes du Pays Bigouden Sud, en charge du site de La Torche, a rappelé que sa région avait l'habitude de recevoir des compétitions et d'installer des infrastructures temporaires.
Même son de cloche chez le Canaulais Laurent Peyrondet. Le maire du spot girondins a dit suivre avec attention les couacs relatifs à Teahupoo:
Pour l'heure, aucune décision n'a été prise, mais la pression ne cesse de monter, et les habitants proches de Teahupoo peuvent compter sur un soutien qui dépasse leur région. Une pétition, lancée le 17 octobre dernier par l'association Vai Ara O TEAHUPO'O, demande au comité de Paris 2024 de «renoncer à la nouvelle tour, aux forages, aux canalisations sous-marines, et d'utiliser la tour en bois habituelle». Elle a pour l'heure récolté quelque 191 000 signatures. Taiarapu-Ouest, la commune où se situe la fameuse vague de Teahupoo, compte seulement 8000 habitants.