Lundi soir, le soleil va se coucher pour la dernière fois sur le 36e marathon des Sables et il sera temps, pour les coureurs, de mesurer tout le chemin parcouru, et les obstacles franchis. La course avait été endeuillée l'année dernière par le décès d'un participant, et il est certain que tous savaient que ça pourrait leur arriver cette année. «En 2017, un coureur avait aussi eu un arrêt cardiaque», se souvient Alain Bersier. «Heureusement, il avait pu être sauvé.»
Le Vaudois n'a jamais oublié le marathon des Sables, une épreuve par étapes disputée sur 250 km et sept jours dans le désert marocain. Une course qui ne ressemble à aucune autre, et dont les pièges sont partout.
Le premier tient dans la gestion de l'eau. Les candidats bénéficient d'un nombre limité de litres par jour (entre 10 et 12 selon les étapes). Ils peuvent en obtenir davantage, mais chaque bouteille supplémentaire leur coûte des pénalités de temps. L'eau qui leur est fournie doit répondre à tous leurs besoins:
L'eau et la tente sont les seuls éléments fournis par les organisateurs aux concurrents (1200 cette année). Ceux-ci doivent porter sur leur dos tout le reste, c'est-à-dire vêtements et nourriture pour six jours.
Supporter une telle charge sollicite douloureusement les organismes. Alain Bersier: «Quand on court avec un sac aussi lourd, c'est comme si on faisait de la descente non-stop, même sur un revêtement plat. On a douze kilos qui pèsent et tapent sur les muscles. En Suisse, je m'entraînais à courir dans les descentes avec un pack de jus de pomme dans le sac à dos».
Malgré sa préparation, le Vaudois était perclus de courbatures au soir de la première étape marocaine. «J'ai participé à des ultra-trails de 165 km avec 12 000 m de dénivelé positif, mais le marathon des Sables, c'est l'épreuve la plus dure que j'ai faite. Alors que c'est 250 km sur 7 jours, et que c'est quasiment plat.»
Lui a eu de la chance: il n'a pas trop souffert de cloques. Mais certains arrêtent de les compter après deux jours.
Une fois que vous n'avez presque plus d'eau, un sac de quinze kilos sur le dos, que vous êtes à moitié lavé et que vous avez les pieds en sang, il vous faut encore avaler les kilomètres sur un terrain parfois piégeux et sous un soleil de plomb.
Même respirer devient pénible. «La chaleur et le sec, ça vous sèche les narines», explique notre interlocuteur. «Vous avez des plaques de sang qui se forment dans le nez. Et puis cette poussière dans les yeux, toujours...»
Les belles années sont celles sans tempêtes dans le désert.
Et aussi sans mauvaises rencontres, de type araignées, serpents ou scorpions. «On les voit se déplacer sur les dunes, la nuit avec la lampe frontale. C'est un spectacle incroyable», témoigne Raymond Girardet, un autre participant romand. C'est moins drôle quand le spectacle a lieu sous la tente. «Certains participants ont dû abandonner parce qu'ils s'étaient fait piquer par une araignée dans la nuit. Elles ne sont pas mortelles, mais elles provoquent infection et fièvre. Vous n'êtes pas bien.»
Ceux qui y échappent repartent le lendemain et ont intérêt à faire la course en tête. C'était le cas d'Alain Bersier, formidable 51e du classement général en 2017. Sauf qu'une fois par année, lors de l'étape la plus longue de la semaine, les premiers partent en dernier. «Et ben, c'est pas drôle», se marre le Vaudois. «Parce qu'en étant devant, on peut progresser sur du sable qui n'a pas été trop brassé. Les derniers, eux, doivent fournir plus d'effort pour avancer, sous une chaleur toujours plus écrasante à mesure que le soleil se lève.»
La répétition des efforts sur sept jours laisse des séquelles durables. Mais pas toujours celles qu'on croit.
Le Vaudois de 75 ans sait qu'il faut composer avec certaines réticences au départ. «Quand on dit qu'on va là-bas, les gens nous prennent pour des fous.» L'inquiétude est légitime. Les participants eux-mêmes n'en sont pas dépourvus. «Partir à l'aventure dans le désert, c'est un peu flippant», retrace Alain Bersier. «Je me souviens m'être demandé s'il n'y avait pas de risque d'attentats, dans une zone pas toujours stable et sur une épreuve organisée par la France.»
Mais cinq ans plus tard, lui aussi aimerait repartir. Peut-être l'année prochaine, avec deux proches. «J'aimerais vivre ça avec eux. Partager, échanger. C'est inoubliable. Quand on revient, on n'est plus les mêmes amis.» Et plus tout à fait les mêmes humains.