Ce n’était pas la joie, ce n’était pas non plus le moment de pleurer, mais le coeur y était, un peu. Ce mardi 18 mars, Fanny Smith a reçu sa médaille de bronze des JO de Pékin dans une salle du Musée olympique, une médaille que le jury lui avait pratiquement retirée au pied du podium, après examen de la vidéo, pour une malheureuse touchette. De recours en procédures, l'intentionnalité du geste n'a pas pu être prouvée. La championne de skicross a obtenu réparation.
Selon le récit qu'en fait 24 Heures, le Musée olympique avait tout prévu: les petits fours et les grands discours, un drapeau, un hymne, des admirateurs par dizaines, le grand patron en personne, Thomas Bach, et même un speaker pour faire «comme si»: «Médaillée de bronze, Fanny Smith, Suisse!»
A son retour des JO, quelques semaines plus tard, Fanny Smith savait déjà qu'elle récupérerait sa médaille. Mais elle exprimait des sentiments partagés: «Après la course, j’ai eu besoin de m’isoler, de m'échapper. C’était une incompréhension totale. Enormément d’émotions... J’aurais pu arrêter ma carrière dans l'instant. Je ne peux pas nier que je garde une certaine tristesse.»
La championne de skicross est soulagée que justice lui soit rendue, mais elle n'oublie pas ce qu'on lui a pris, l'indéfinissable spasme d'une joie franche et spontanée. Elle n'est pas la seule, tant s'en faut. A l'ère de la société technocratique et de la judiciarisation du sport professionnel, les reclassements à effets rétroactifs sont devenus fréquents.
Chaque année, des dizaines d’athlètes sont disqualifiés a posteriori, pour des erreurs d'arbitrage ou, plus encore, après des (ré)analyses antidopage. Des dizaines d'autres sont dédommagés sur le tard, loin des regards. Ils avaient fini quatrièmes et ils sont troisièmes au final, mi-chocolats, mi-marrons; avec toujours ce petit goût amer.
On dit que le mérite leur revient de droit. Sauf qu'en général, il revient par la poste. Comme un juste retour des choses, rien de plus, la médaille arrive dans une fourgonnette, sans la déférence qui l’escorte sur les podiums. Par la poste: sans tambour ni trompette, ni poils au garde-à-vous.
Il ne faut pas sous-estimer la force des symboles: une médaille qui voyage en soute, avec la paperasse populace, et entre dans l'histoire par la porte de service, avec la facture d'électricité et la commande Zalando, n’a pas exactement la même valeur qu'une médaille remise solennellement un jour de gloire. Ce simple envoi la ramène à sa condition de bibelot.
Troisième des Championnats d'Europe de cross-country 2019 après la disqualification pour dopage du Suédois Robel Fsiha, Julien Wanders a gardé ce goût amer:
La reconnaissance officielle leur a rendu leur fierté; pas leur joie ni leur quart d’heure de célébrité, ce fameux «moment volé» où un athlète tripote sa médaille avec des gestes maladroits, un peu timide, en sachant qu’il embrasse une nouvelle carrière.
«C’était ma première médaille internationale et je ne l’ai pas vraiment vécue», reconnaît Julien Wanders. Genève a organisé une petite cérémonie à la Course de l’Escalade, mais «bien sûr, j’aurais trouvé clairement plus cool de vivre ça avec le podium, les drapeaux, l’adrénaline. Cela dit, je ne suis pas du genre à vivre dans le passé. Je n'y pense plus depuis longtemps. Je suis surtout heureux que la lutte antidopage puisse réparer une injustice a posteriori».
C’est l'année dernière que Yoann Rapinier, champion français de triple saut, a reçu sa médaille de bronze des championnats d’Europe de Zurich… huit ans après. Huit années d'enquêtes et de procédures avant l’exclusion pour dopage du Russe Lyukman Adams. Huit ans à guetter l’arrivée du facteur.
Huit ans, c’est également la peine subie par Yannick Szczepaniak, entre-temps reconverti à la direction départementale de la cohésion sociale du Val-de-Marne. Le lutteur a reçu en 2016 la médaille qu’il n’attendait plus, et qui aurait pu changer sa vie, après le déclassement pour dopage du Russe Khasan Baroe aux Jeux de Pékin 2008.
Le Comité international olympique est conscient de ces «moments volés», termes repris par Thomas Bach lui-même, et encourage les fédérations à joindre un mot, à ajouter une petite attention aux victimes de la rédemption ultérieure. Pour Fanny Smith, en bon voisin, le président a choisi de ne pas lésiner.
Les autres, ceux qui reçoivent leur médaille des années plus tard, des mains d’un homme de lettre qui est d’abord un facteur, exultent-ils spontanément de bonheur? Cette reconnaissance tardive ravive-t-elle la flamme olympique au fond de leur cœur; ou leur vient-il plutôt l'envie de (re)pleurer un bon coup sur les décombres de leur carrière en miettes?
On leur dit des trucs faciles, des trucs de scribes débiles: cette médaille leur «revient». Mais avec autant de retard, peut-on revenir de tout?
«Dans mon cas, je ne suis pas sûr qu’une troisième place ait pu changer instantanément ma carrière, ou la perception que les sponsors en avaient, réfléchit Julien Wanders. Mais pour d’autres, oui. Plus les années passent, plus le préjudice est grand. Ce sont autant d’années gâchées.»
Un agent de la place, avocat de formation et ancien sportif lui-même, n’est pas loin de penser que ce préjudice appelle des dommages et intérêts. Sauf que «concrètement, ces cas sont impossibles à juger. Il faudrait réexaminer toutes les compétitions auxquelles l’athlète dopé a participé et tous les concurrents que son avantage a lésés, puis établir de nouveaux classements virtuels.» Et d'ajouter néanmoins: «En termes de visibilité et de sponsoring, chaque année passée avec un statut de médaillé peut valoir de l’or.» Les années manquées ne se rattrapent jamais, même pour ceux qui courent vite.
Adaptation d'un article paru le 8 mars 2022 sur watson