La partie n'était pas gagnée pour Tony Estanguet, le président du comité d'organisation des JO de Paris, et ses équipes d'organisation. La presse n'était pas tendre avant ces Jeux olympiques et la population ne voulait pas d'un méga-événement dans la capitale.
Les premiers aigris relevaient les couacs de la cantine du village olympique (pas assez de nourriture à disposition) ou encore les lits qui ne plaisaient pas à certains athlètes. Le nageur italien Thomas Ceccon se plaignait des conditions, de la chaleur et tout le tintouin. Le sujet le plus discuté a été sans conteste la Seine, malpropre, la grosse ombre au tableau, érigée en bassin propice pour une gastro-entérite.
Mais force et de constater que la capitale française a brillé là où tout le monde pensait que cette édition allait se fourvoyer.
Paris est une fête, disait Ernest Hemingway. Ces JO ont ébloui: les structures (comme le Grand Palais pour les épreuves d'escrime), les épreuves de beach-volley devant la Tour Eiffel, ou encore un peloton cycliste remué par l'ambiance de stade de football en gravissant la butte Montmartre.
Un tel succès populaire. Si bien que des villes songeraient à constituer un dossier pour de futurs Jeux olympiques. A commencer par Berlin, qui veut exorciser les Jeux de 1936. Du côté des politiques outre-Rhin, l'idée d'organiser un événement pour effacer les années sombres du Führer fait son chemin. Le magazine Der Spiegel est enthousiaste. Surtout, une hypothétique édition des JO à Berlin en 2036 serait une première en Allemagne depuis la tragédie munichoise en 1972. La ville bavaroise qui par ailleurs a fait part de son désir d'organiser à nouveau les olympiades d'été.
Sylvain Zeghni, docteur en sciences économiques et co-auteur d'une étude intitulée «Pourquoi les villes ne veulent-elles plus accueillir les Jeux olympiques?», est lui aussi surpris par le bon déroulement des opérations:
Cette cérémonie d'ouverture qui a choqué, émerveillé, divisé les foules a peut-être été le détonateur pour allumer la flamme de cette édition 2024.
A Paris, les Jeux coûteront au moins 10 milliards d'euros - chiffres évalués le 25 juillet. Soit un montant réévalué depuis l'annonce du budget prévisionnel de 4,4 milliards d'euros avancé au début.
Un dépassement de budget relativement faible comparé à des éditions précédentes et une ferveur populaire sublime lors de cette quinzaine olympique peuvent-ils relancer les candidatures?
Peut-être.
Ces dernier temps, les JO riment avec référendums et protestations lorsqu'il est question de les organiser quelque part. Le Comité international olympique (CIO) s'est retrouvé avec des choix nettement plus restreints et des critiques toujours plus vives.
Selon le professeur Zeghni, la tendance pourrait désormais s'inverser:
Même constat pour Nathalie Fabry, professeure à l'Université Gustave Eiffel de Marne-la-Vallée, chercheuse et également co-auteure de l'étude «Pourquoi les villes ne veulent-elles plus accueillir les Jeux olympiques?», qui appuie sur les sempiternels coûts (énormes) de la sécurité qui peuvent refroidir les ambitions, ou sur les dépenses qui ne sont pas prises en charge par le CIO. «Pour la cérémonie d'ouverture, ce sont des coûts supportés par la nation et non par l'instance organisatrice», dit-elle.
Des défis que les Jeux de Paris ont relevés, et une ville qui a vibré pour ses athlètes. Car, comme le souligne Nathalie Fabry, il convient de rappeler que «les râleurs ont pris la tangente, les employés ont été exhortés à favoriser le télétravail». En somme, à Paris, il ne restait que ceux qui voulaient vivre cette fête populaire.
Une vraie ferveur que les deux professeurs confirment à l'unisson: Paris a réussi son pari. Sylvain Zeghni parle même «d'un phénomène marquant» qui a fait le succès des ces olympiades:
Le CIO pourrait donc voir une pluie de dossiers débarquer sur son bureau. Mais une différence entre les JO d'été et les JO d'hiver est à prendre en compte. Il faut donc distinguer les JO d'hiver de ceux d'été.
«Les JO d'hiver ont un aspect anti-écologique», rappelle Sylvain Zeghni, qui prend comme exemple (aberrant) Albertville, en 1992.
Pour l'héritage matériel, il ne restera pas grand-chose. Il sera même maigre.
Si Nathalie Fabry évoque «la flexibilité des infrastructures», en prenant l'exemple de la piscine de la Défense Arena pour les JO, le professeur Sylvain Zeghni concède une légère sensation amère:
Des infrastructures laissées à l'abandon, comme à Athènes, Rio, Sarajevo ne seront pas un problème cette fois-ci.
«L'événement ne vit que par l'image», souligne Nathalie Fabry. Or, comme l'expose Sylvain Zeghni, «le stade qui se trouvait sous la Tour Eiffel, on demandera où il se trouvait. Par exemple le Stade de France est encore visité avec en mémoire la victoire de l'équipe de France de football en 1998. La Tour Eiffel est un héritage de l'exposition universelle».
Et de déplorer qu'«il ne restera finalement que peu de choses, si ce n'est des images, et ça me laisse, personnellement, un petit goût d'inachevé».
Le maître mot est donc l'«événementialisation» de la ville lors de JO - c'était ça, le projet de Paris. Selon les deux spécialistes, si les leçons de Paris sont retenues - un patrimoine, une vision, un bon système de transports publics, des infrastructures en bon état -, boostées par un storytelling qui crée une adhésion populaire, les villes vont se montrer intéressées.
Les Français sont venus voir les lieux, parfois sans assister à une compétition, mais pour s'imprégner de l'ambiance, constatent nos deux interlocuteurs.
Paris sera peut-être un exemple: une ville éphémère, avec quelques réhabilitations et finalement très peu de choses construites, avec un cadre, un discours percutants et une politique de communication bien huilée.
Signe d'un désir de poursuivre le travail de Paris, les organisateurs des futurs JO californiens ont déjà exprimé leur envie de relever le défi d'organiser des épreuves sans groupe électrogène, comme à Paris. Le comité d'organisation souhaite aussi des Jeux sans voiture, lâchait cette semaine la chaîne NBC.
Il semblerait que la folie des grandeurs soit terminée, comme l'a rappelé Thomas Bach lors de son discours de la cérémonie de clôture. L'ancien membre du CIO, Richard «Dick» Pound, assurait que les dossiers d'organisation pour les JO sont les meilleurs films de science-fiction. «Oui, ça l'a été. Mais il y a quand même un engagement du CIO en faveur de l'environnement, ce qui calme les ardeurs. Mais les gros délires ne sont plus à l'ordre du jour», rebondit Nathalie Fabry.
Pour Sylvain Zeghni, Paris était, sur le papier, «un gros délire». Selon Nathalie Fabry, la professeure de l'Université Gustave Eiffel, «que la Seine soit réappropriable était un pari totalement délirant».
Sylvain Zeghni, spécialiste de l’économie du tourisme et de l’environnement, en conclusion, félicite le comité d'organisation de cette édition parisienne:
La Suisse et sa candidature pour les JO d'hiver de 2038 vont devoir s'inspirer de l'exemple parisien. Même si ce sont des Jeux d'hiver.