Il n'était pas doué, pas vraiment une âme d’écolier – petit zigoto avec un grand museau. «Il n’était franchement pas terrible», nous dit le directeur de l’académie Elite Tennis Center, Jean-René Lisnard, peu impressionné par l'arrivée du gredin à 18 ans. «Il était peut-être vingt-cinquième mondial chez les juniors, un niveau plutôt moyen à cet âge». Précision utile: «Dans notre académie, il n’y a pas de passe-droit ni de touristes, tout le monde paie. Donc Daniil a dû lutter car, au départ, il ne gagnait pas beaucoup».
D'origines modestes, son père le rappelait à son devoir de mémoire, à son exigence de rentabilité. Il l’exhortait à poser son paquet de chips et son joystick pour empoigner enfin son destin, gagner un peu sa vie, au moins quelques matches. «Je ne considérais pas le tennis comme un travail», a reconnu Daniil Medvedev à l’US Open 2019, première finale du Grand Chelem disputée avec la foule sur le paletot, après qu'il l'eue persiflée au micro:
Il coûtait cher en amendes et en raquettes – haine profonde de la défaite. Il dit qu’il s’est calmé, mais dans le tennis, tout le monde sait que ce n’est pas vrai (juste une illusion, à peine une sensation). Tout le monde le voit gronder son coach, signer les imbéciles, jeter des piécettes à l’arbitre. Il fait peur aux oiseaux et fuir les godelureaux.
«Quand tu commences à jouer sur le circuit principal, il y a plus de caméras, plus d'attention, et là j'ai compris que je ne pouvais plus faire trop de conneries, sinon j'allais passer ma vie à être disqualifié», racontait Medvedev en 2018. A certains égards, il a progressé: il est plus discret.
Il pourrait arguer de son âme slave, une formule un peu fourre-tout de la psychanalyse russe, mais il est unique et le revendique.
Tout chez lui semble démantibulé et «pas fini» – grand corps désuni. Avec ses longues jambes émaciées et ses petits sautillements quand il frappe, Daniil Medvedev ressemble à un poulain dans un pré. Aucun joueur n’a développé des apparences aussi trompeuses de lenteur, de gaucherie et de candeur, que ce faux calme au «passé» ravageur.
Ses appuis au sol vacillent, ses membres batifolent. Medvedev frappe des coups gagnants alors que ton son corps, lui, semble en perdition. Sur une jambe, à bout de bras, sur les pattes arrières, il est capable d’un relâchement total, quelque chose de renversant, de foudroyant (totalement troublant), comme guidé par une force occulte qui aurait pris possession de tout son être – esprit malin dans un corps fin.
Il ne se réclame d’aucune orthodoxie. Il ne demande rien à personne. Il joue à sa façon, une bien curieuse façon; mais cette curiosité n’est pas un vilain défaut. «C’est un esprit libre, témoigne Jean-René Lisnard. On l’a vu arriver avec son style unique et plutôt que lui prodiguer un enseignement classique, ce qui n’aurait pas servi à grand-chose, on a préféré l'accompagner dans sa différence».
Tout chez lui paraît étrange, un peu fou, un peu génial, parfois les deux. Il balance des services à 200 km/h dans un mouvement presque hâtif, comme s’il avait un train à prendre. Sa préparation en coup droit semble chasser le papillon plus que la balle. Et cette balle, parlons de cette fameuse énigme de l’expertise balistique: elle paraît neutre, voire inoffensive, mais Gilles Simon relève dans L’Equipe qu’elle.... tourne dans l’autre sens.
Il semble lire dans les pensées de son adversaire et trouver les maux justes – tout ce qui les tarabuste.
Son tennis peut paraître mal dégrossi, décousu, décérébré; il est au contraire le produit d’une perspicacité hors norme, d'une intelligence vive et intuitive; toujours un plan caché, toujours un coup d’avance. «Ce type est un grand maître des échecs», s’était écrié John McEnroe en 2019. Roi des échecs, seul maître de ses faits et gestes.