Les Suisses sont toujours plus polarisés: doit-on en avoir peur?
Le dernier baromètre électoral de l'institut Sotomo pour les élections fédérales de 2027 conclut sur une hausse de la polarisation. Elle prédit un score canon pour l'UDC, à 30,4%, et des scores cumulés du Parti socialiste (PS) et des Verts à 29,1%.
L'UDC fait même 34% parmi les hommes, exactement le même score que la gauche pour les femmes. Des résultats qui font écho à un autre sondage gfs.bern mené en 2024 pour la SSR et qui indiquait que près de 47% des jeunes femmes de 18 à 39 ans n'avaient «aucune sympathie» pour l'UDC, tandis que chez les hommes, ils étaient 41% à avoir la même attitude envers les Verts.
Le sondage Sotomo indique aussi que c'est parmi les plus de 65 ans que le Centre et le PLR, mais aussi le PS, font leurs meilleurs scores. Alors, les partis traditionnels, est-ce un truc de «boomers»? Que se passera-t-il lorsque nos retraités modérés s'en iront et que la nouvelle génération de votants devra glisser son bulletin dans l'urne?
Un vote changeant au fil de la vie
«La polarisation actuelle est, en partie, le miroir des thèmes qui préoccupent les Suisses et sont privilégiés par différents partis», estime Oscar Mazzoleni, professeur à l'Institut d'études politiques de l'Université de Lausanne. «Les assurances-maladie d'abord, là où le PS se démarque. Puis l’immigration, là où l’UDC est très fort.»
«Une partie des jeunes soutient en ce moment moins les partis modérés», reconnaît volontiers le politologue. Voter au centre-droit ou au centre-gauche risque-t-il de devenir une affaire du passé? Oscar Mazzoleni n'y croit pas. «Un jeune peut voter pour un autre parti 20 ou 30 ans plus tard. Il est aussi possible que la future génération de votants, à 18 ans, préfère voter pour des partis modérés.»
«Il faut également prendre en compte le cycle de vie», note le professeur lausannois. «Un jeune homme en apprentissage qui a un petit salaire et habite chez ses parents, pourrait voter différemment quand il sera bien payé et vivra de manière autonome.»
Même constat en France, plus flagrant encore
La situation existe également en France, où la fracture entre le gouvernement de centre-droit d'Emmanuel Macron et un parlement tiré entre le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI) est de plus en plus flagrante.
D'autant plus que ce sont les retraités qui ont, en bonne partie, favorisé son élection comme président en 2017 et 2022. Le fameux «front républicain» sera-t-il encore d'actualité lorsque les jeunes votants, qui n'ont pas de complexe à voter pour le RN ou LFI, auront «remplacé» les aînés? Ce n'est pas ce que pense Paul Cébille, rédacteur en chef de l'institut Hexagone.
«Les retraités ne composent pas un vote homogène. Une partie vote pour Macron, mais une autre part importante et plus pauvre, pour le RN», analyse-t-il. Mais il rajoute un autre élément important à l'analyse: le patrimoine, qui va être distribué à la génération suivante. «Cela pourrait favoriser un retour de biens disponibles sur le marché du logement et alléger les tensions économiques», une source de polarisation qui explique une part du vote LFI, notamment chez les étudiants.
Une polarisation actuelle bien réelle
Il n'empêche, la polarisation actuelle est, elle, bien réelle. «Les votes plus radicaux peuvent aussi être expliqués par des conditions socio-économiques défavorables. Typiquement, celles des jeunes hommes face à celles des jeunes femmes, ce qui provoque une frustration sociale», indique Oscar Mazzoleni.
«On est dans une phase de mondialisation de la guerre culturelle: ce qui a commencé aux Etats-Unis est importé ici via les réseaux sociaux et participe à cette polarisation», note le politologue, qui évoque «des idées très arrêtées en faveur ou contre le féminisme, le "wokisme" ou la famille traditionnelle».
L'autre éléphant dans la pièce, c'est la question identitaire, que l'on retrouve tant en Suisse avec l'UDC qu'en France, avec le RN. «Partager son pays avec ce qu'on estime être d'autres populations avec lesquelles on a moins de lien» est un constat que font de nombreux électeurs de droite, note Paul Cébille.
Mais certaines nouvelles valeurs sont désormais partagées par la majorité, qu'il s'agisse des droits des femmes ou des minorités sexuelles, note Paul Cébille, qui estime toutefois qu'en France, le clivage de la religion est en train de revenir.
Mais nos deux politologues restent particulièrement prudents quant à savoir si ces nouvelles différences de valeurs permettront d'expliquer précisément le comportement des votants pour les décennies à venir. «Nous sommes encore dans une époque de changements et d’incertitudes», relève Oscar Mazzoleni. «Qui peut dire là où nous en serons dans 30 ans? Qui aurait pu prédire ce qui se passe aujourd’hui, il y a 30 ans?»