Ce cas avait fait beaucoup parler. L'an dernier, le Tages-Anzeiger découvrait que les chaussures de la marque helvétique On étaient vendues jusqu'à 55% moins cher à l'étranger qu'en Suisse. Il suffit de parcourir sa boutique en ligne pour s'en rendre compte. Le modèle Cloud 6 pour hommes, par exemple, coûte 190 francs en Suisse, alors qu'au Royaume-Uni, en France ou aux Etats-Unis, les clients ne doivent débourser que l'équivalent de 153, 150 et 129 francs, respectivement.
Une situation qui peut interroger, notamment de la part d'une marque représentée par Roger Federer et qui aime mettre en avant sa suissitude. Un petit tour de l'autre côté de la frontière montre qu'il ne s'agit pas d'un exemple isolé. D'autres produits helvétiques iconiques, à l'usage bien plus quotidien, sont également vendus moins cher à l'étranger.
C'est le cas des boules Lindor. Le cornet de 200 grammes coûte 11,95 chez Coop et Migros, mais seulement 5,99 euros chez Carrefour, soit 5,60 francs - c'est moins de la moitié. Le chocolat Villars est également moins cher en France: la même tablette de 100 grammes revient 2,46 euros (2,30 francs) chez Auchan, contre 4,60 francs chez Coop. Là encore, la différence se monte à 50%.
Même scénario pour le café «divin moulu» de Mövenpick, dont le prix diminue presque de moitié une fois traversée la frontière - le paquet de 500 grammes coûte 10,90 chez Coop et l'équivalent de 5,60 francs chez Carrefour. Citons également les biscuits Kambly Butterfly, dont le coût passe de 2,38 euros (2,25 francs) chez Auchan à 4,4 francs à la Coop. Ou les bonbons Ricola aux herbes, vendus 3,49 euros (3,30 francs) chez Bennet, en Italie, et 4,20 francs dans les magasins du géant orange.
A noter que tous ces produits sont fabriqués en Suisse, du moins ceux vendus dans notre pays, et qu'ils arborent volontiers le drapeau helvétique ou la mention «Suisse» sur leurs paquets.
Les marques qui ont répondu à nos sollicitations mettent en avant plusieurs arguments. Une porte-parole de Lindt & Sprüngli indique que les prix doivent être fixés en tenant compte des exigences de l'environnement commercial local. La situation en Suisse et en France ne serait, dès lors, pas comparable. Elle développe:
La diversité des marchés suisse et français est également évoquée dans la réponse de Mövenpick. La marque souligne que «la fixation des prix relève de la responsabilité exclusive des partenaires licenciés, ainsi que du commerce de détail». «En France comme en Suisse, la fixation des prix est laissée à la discrétion des détaillants», abonde la porte-parole de Lindt & Sprüngli.
Villars, qui tient à préciser que tous ses produits sont fabriqués à Fribourg, indique également que la fixation des prix de vente aux consommateurs est sous la responsabilité des enseignes. «Nous n’avons pas la possibilité d’agir sur leur politique promotionnelle», remarque-t-on.
Mövenpick ajoute finalement que la comparaison porte sur deux devises différentes, le franc et l'euro, dont les taux de change sont «susceptibles de fluctuer».
Ces explications laissent la Fédération romande des consommateurs (FRC) sceptique. «L'argument des salaires élevés en Suisse comme justification principale ne tient pas», balaye Jean Busché, responsable économie & NTIC auprès de la FRC.
Le responsable cite des recherches mandatées par le lobby du commerce de détail et confirmées par Monsieur Prix et la Confédération, selon lesquelles le coût unitaire du travail en Suisse est même légèrement inférieur par rapport aux pays voisins. «Quant aux produits fabriqués localement, les salaires ne représentent en moyenne que 11% du différentiel de prix observé, selon une étude du SECO en 2003», complète-t-il.
Pour Jean Busché, l'explication se situe ailleurs: marques et distributeurs exploiteraient le pouvoir d'achat élevé des consommateurs suisses pour accroître leurs marges. Il résume:
«Cette situation révèle que les prix élevés pratiqués en Suisse sont largement dus à des marges excessives réalisées à plusieurs niveaux de la chaîne commerciale, en particulier par les distributeurs», poursuit-il.
Jean Busché dénonce notamment les grandes enseignes comme Migros et Coop, qu'il accuse de réaliser des marges «dépassant significativement les niveaux raisonnables», comme démontré par plusieurs enquêtes de la FRC. «Cela reflète un problème structurel lié à un manque de concurrence efficace et à une opacité des prix, en autres dans le secteur agroalimentaire», note-t-il. Et de conclure: