Suisse
Arnaque

On a tenté de m'arnaquer sur une aire d'autoroute suisse

Comment on a tenté de m'arnaquer sur une aire d'autoroute suisse

La fraude ne se limite pas au monde numérique: sur une aire d'autoroute suisse, un escroc a tenté de soutirer de l'argent à notre journaliste. Un épisode qui n'est malheureusement pas isolé.
29.09.2025, 05:3129.09.2025, 05:31
David Walgis / ch media

Récemment, je suis devenu la cible d'une arnaque. Pas l'une de ces escroqueries bien connues relayées depuis des années par tous les médias: pas une arnaque sur Tinder, pas un appel alarmant de «Swiss Federal Police», pas d'héritage surprise par mail. Non, il s'agissait d'une tentative d'arnaque dans la vie réelle. J'ai croisé le regard de mon escroc. Et lui le mien.

Un vendredi, sur le chemin du retour vers la maison, je me suis arrêté dans le canton de Zurich, sur une aire d'autoroute. Il faisait chaud, j’étais fatigué et je voulais juste m'acheter une bouteille d'eau et une petite douceur. A peine avais-je ouvert la porte de ma voiture qu'un homme m'a abordé. A peu près de mon âge, sans doute pas plus de trente-cinq ans, il avait l'air sérieux, portait un t-shirt de bonne qualité et parlait un anglais britannique.

«Do you speak English?», me demanda-t-il. «Yes, I do», répondis-je, un peu perplexe. «Thank God.» Enfin, il avait trouvé quelqu'un qui le comprenait. Me demandait-il de l'aider? «I'll try», répondis-je.

Il me raconta son histoire: il était touriste en Suisse et, la nuit précédente, sa voiture avait été cambriolée devant son hôtel à Zurich. «They took everything», dit-il. Ordinateur portable, portefeuille, cartes de crédit: tout avait disparu. Le consulat britannique à Zurich n'avait pas pu l'aider; les procédures étaient trop lentes. C'est pourquoi il se dirigeait maintenant vers l'ambassade à Paris, espérant y obtenir une aide plus rapide.

De retour sur les lieux : un escroc a tenté d'extorquer de l'argent à notre journaliste David Walgis.
De retour sur les lieux, notre journaliste David Walgis.Image: Raphaël Dupain

80 francs et sûrement plus

Puis vint sa requête: pouvait‑je lui avancer 80 francs pour son court séjour à Paris? Cela le gênait de devoir demander de l'aide à un inconnu, mais il se trouvait dans une situation délicate. Il me tendit la main en souriant:

«I'm Aaron, by the way»

Sa proposition: je devais lui donner mon Iban. Il m’assurait qu'il me transférerait l'argent par e‑banking, et que je pourrais ensuite retirer la somme. Il montra le distributeur à côté du shop et me tendit déjà son smartphone. L'application de sa banque était ouverte: en haut, l'option «virement», en bas des champs pour le prénom, le nom et le numéro Iban.

«Hum», dis-je.

Il glissa sur son écran, toucha une icône verte. «Je t'enverrai immédiatement le reçu du virement par WhatsApp», dit-il. Il retourna dans l'application de sa banque et commença déjà à saisir le montant.

880 £.

J'étais stupéfait:

«880 livres? Tu avais dit 80, pas 880»

«I said eight eighty.» Il avait déjà prononcé ces mots au début, expliqua-t-il. Il était un peu nerveux, ne parlait pas souvent avec des étrangers, et parlait donc plus vite. Peut-être que c'était pour cela que je l'avais mal compris. Il me tendit de nouveau son téléphone, cette fois avec un peu plus d'insistance.

J'étais déjà sceptique à propos des 80 francs. Mais à ce moment-là, les signaux d'alarme dans ma tête s'allumaient à toute vitesse. Je soupçonnais que l'application de sa banque n'était en réalité qu'une fausse application.

J'ai essayé de reprendre le contrôle de la conversation. Je l'ai regardé droit dans les yeux et dit:

«Je suis assez sceptique. Ça pourrait être une arnaque»

Son regard s'est durci un instant, puis s'est adouci à nouveau:

«Je suis un étranger dans ton pays. Allez, je suis vraiment dans une situation délicate. Après tout, c'est toi qui m'as proposé ton aide.»

«Montre-moi d'abord ta voiture et la vitre cassée», lui ai-je répondu.

Il monta un escalier jusqu'aux places de parking supérieures, au niveau de la zone de restauration. Là, une voiture l'attendait, immatriculation britannique. Bon, au moins ça, c'était vrai, me dis-je. Toutes les vitres étaient intactes. «Je ne vois aucun dégât», constatai-je sobrement. Avant d'ajouter: «As-tu des photos de la voiture forcée?» Il désigna alors sa Mercedes, qui semblait coûteuse:

«Je ne photographie sûrement pas ma voiture abîmée, je ne veux pas me rappeler du vol. Tu vois ma voiture? Tu crois vraiment que j'ai besoin de t'arnaquer?»

Je dis: «Désolé, je ne te donne pas d'argent.» Pendant que je m'éloignais, il leva les mains et s'assit, furieux, derrière son volant.

Un problème souvent rencontré sur cette station service

Après le départ précipité de l'Anglais, je suis entré dans la boutique de la station-service. A la caisse, j'ai raconté l'incident à un employé. Il n'a guère été surpris: «Ah oui, ce problème, on le rencontre régulièrement ici.»

Quelques jours plus tard, les gestionnaires du magasin confirmeront être au courant de la situation. Dans un courriel, la cheffe d'équipe de H&B Real Estate AG, qui gère la station-service de Würenlos, précise que l'entreprise est en contact avec la police. Le contexte: la présence croissante de mendiants autour de la station. «Selon l'évaluation des autorités, il s'agit d'une escroquerie organisée.»

Malgré tout, Bernhard Graser, le porte-parole de la police cantonale d'Argovie, ne constate pas un grand nombre de plaintes pour cette station-service:

«Cela ne veut pas dire que cela n'arrive pas. Il y a simplement eu peu de signalements directs. Ça ne semble pas un problème grave.»

D'autres tentatives de fraude sont en revanche plus fréquentes: fausses demandes Twint, appels prétendument émis par la «Swiss Police», arnaques sentimentales. Bernhard Graser n'est toutefois pas surpris: les stations-service autoroutières sont des lieux idéaux pour ce genre de manœuvres:

«Il y a beaucoup de passage, on ne se fait pas remarquer et on peut repartir rapidement.»

Des trous si grands qu'une Mercedes pourrait y passer

Je quittai le magasin ce soir-là, repris le volant et m'engageai dans le trafic du retour. Plus je repensais à l'incident, plus je m'en voulais. L'histoire de l'Anglais présentait des trous si grands qu'une Mercedes aurait pu passer à travers: il prétendait se diriger vers Paris, mais il se trouvait en réalité sur la voie en direction de Zurich. Sa voiture était intacte. Et, comme j’allais le découvrir plus tard, il n'existe même pas de consulat britannique à Zurich.

Pourquoi n'avais-je pas repéré les incohérences plus tôt? Pourquoi n'avais-je pas tiré la sonnette d'alarme avant? Aurais-je vraiment donné de l'argent si la somme avait été moins élevée? Etait-ce de la naïveté? Comment fonctionne exactement son stratagème?

Quelques jours plus tard, je me penche sur la psychologie derrière l'arnaque. Le terme technique est «social engineering», c'est-à-dire l'utilisation de diverses techniques de manipulation pour gagner la confiance des victimes. Ces méthodes sont nombreuses. Beaucoup d'articles se concentrent sur les arnaques en ligne, mais les escroqueries en face-à-face suivent des schémas similaires.

Un pied dans la porte et bientôt dans la maison

Ce qui attire mon attention, c'est la technique du «foot in the door». L'Office fédéral de la cybersécurité la décrit dans un billet de blog intitulé «Trucs et astuces d’escrocs». Cette méthode, à l'origine issue de la vente, commence par une demande apparemment minime, que presque personne ne refuse. Le pied est dans la porte. Viennent ensuite d'autres demandes, légèrement modifiées et amplifiées. Une première requête devient 80 livres, puis 880 livres. L'arnaqueur est entré dans la maison. La méthode joue sur la cohérence: une fois que les victimes ont dit oui une fois, il leur est plus difficile de revenir en arrière.

Un autre élément typique est décrit par le sociologue criminel allemand Christian Thiel. Dans une étude de 2016, il a répertorié différents composants typiques des escroqueries. Au cœur de nombreux scénarios: le «convincer». Il s'agit d'un élément de l'histoire destiné à dissiper les derniers doutes de la victime. Il dit en substance: «N'aie pas peur, je ne te fraude pas.» Dans mon cas, il s'agissait du soi-disant reçu bancaire que mon escroc voulait m'envoyer pour le transfert.

Une autre technique est celle de l'exclusivité. J'étais soi-disant le seul à l'aire de repos capable de parler suffisamment bien anglais pour comprendre mon escroc. Ensuite, vient la surprise: il m'a abordé dès que j'avais garé ma voiture. De plus, mon arnaqueur paraissait sérieux, sympathique, même charismatique. Il s'excusait en riant d'être fan de Manchester City, racontait son histoire avec beaucoup de détails, et m'appelait toujours par mon prénom dès qu'il l'avait appris. Un homme aimable… jusqu'à ce qu'il constate que je ne mordais pas à l'hameçon. Alors, il a essayé de me mettre la pression.

Et enfin, au cœur de l'arnaque se trouvait une question à la fois simple et efficace: «Pouvez-vous m'aider?» Qui peut dire non? Moi-même, en tant que journaliste, je sollicite parfois la bonne volonté de mes interlocuteurs. Les gens veulent aider. Et les escrocs en profitent. Rien de révolutionnaire, mais diablement efficace.

Dois-je devenir plus méfiant? Peut-être. Un soupçon de prudence est toujours utile, tout comme la connaissance des techniques de manipulation. Mais je sais aussi que je ne veux pas voir en chaque personne un escroc potentiel.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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