«Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et nous ne savons pas quand elle va tomber». C'est ainsi que Lina résume la situation qu'elle vit actuellement. A l'image de beaucoup de collègues, cette psychologue indépendante basée à Genève est inquiète. «La situation me stresse beaucoup», confirme Nathalie, qui exerce dans la même ville et, comme Lina, préfère témoigner sous le couvert de l'anonymat - ce qui démontre à quel point le climat est tendu.
La faute au litige autour de la rémunération des psychothérapeutes. Depuis l’été 2022, ces derniers peuvent exercer leur activité de manière indépendante à la charge de l’assurance de base. A l'époque, les cantons avaient fixé un tarif horaire provisoire de 155 francs, contre l'avis de santésuisse, qui estimait que cette somme était trop élevée. La faîtière des assurances maladie est revenue à la charge en novembre 2024, demandant aux cantons de réduire le tarif provisoire.
«Cette rémunération a entraîné une hausse massive des coûts à la charge de l’assurance de base obligatoire», dénonce santésuisse. Pourtant, réduire le tarif risque d'avoir des conséquences très sérieuses pour les psychothérapeutes, qui devraient alors rembourser la différence aux patients. La faîtière des assureurs le sait, et n'hésite pas à glisser une menace à la fin de son communiqué:
Dans les cabinets, la tension est palpable. «C'est un sujet qui m'inquiète et qui prend beaucoup de place dans les discussions entre collègues», indique Lina. «Ce qui me préoccupe le plus, c'est l'incertitude liée aux demandes de remboursement», ajoute-t-elle.
«Cette instabilité nous met dans une situation compliquée et anxiogène», renchérit Nathalie. La psychologue estime qu'il est difficile de continuer de travailler dans ces conditions, sans savoir si, à la fin du mois ou de l'année, elle devra rembourser «des sommes astronomiques».
Fribourg, Berne, Bâle-Ville, Argovie et Appenzell Rhodes-Extérieures ont déjà fait savoir qu'ils vont garder le tarif provisoire, alors que Glaris a suivi la proposition des assureurs, ce qui a provoqué un petit séisme en Suisse alémanique et inquiété les acteurs de la branche.
Les autres cantons doivent encore s'exprimer. Pourtant, même si ces derniers rejetaient la demande des assureurs, cela ne résoudrait pas le problème. Car un tarif définitif doit encore être déterminé. Les négociations sont en cours et la première phase, portant sur la structure tarifaire, est «à bout touchant», indique Cathy Maret, responsable affaires politiques et communication chez la Fédération suisse des psychologues (FSP).
C'est également pour cette raison que le timing de la demande de santésuisse, concernant un tarif destiné de toute façon à être bientôt remplacé, interroge. «Ce n'était vraiment pas nécessaire», déplore Cathy Maret.
Les psychologues suivent ces discussions avec une certaine appréhension. Si le tarif définitif s'avère inférieur à l'actuel, le problème du remboursement se représenterait. «D'un côté, on aimerait avoir une réponse rapidement. Ce serait toujours mieux que le flou actuel et l'anxiété qui en découle», note Lina. «De l'autre, dans ces conditions, être positif est vraiment compliqué».
Nathalie affirme qu'elle n'arrive pas à envisager que les choses puissent mal se passer. «Trop de cabinets seraient obligés de fermer», avance-t-elle. «J'ai l'impression qu'être pessimiste rendrait mon travail impossible. Cela voudrait dire que mes dix ans d'études et de formation n'auraient servi à rien».
Les assureurs veulent réintroduire l'ancien tarif horaire en vigueur avant le changement de modèle, s'élevant à 133 francs. La situation n'est pas comparable, répond la FSP: depuis que les soins psychologiques sont pris en charge par l'assurance de base, beaucoup de thérapeutes doivent gérer un cabinet, ce qui engendre des coûts supplémentaires.
«Notre modèle de coûts montre que le tarif provisoire est encore trop bas», assure Cathy Maret. Elle estime qu'il ne permet pas aux psychothérapeutes de faire tourner leur cabinet.
«Le travail du psychologue ne se limite pas à discuter avec son patient. Il y a toute une partie de communication avec l'entourage et le réseau de soin qui nécessite du temps», explique Nathalie. De petites tâches qui s'accumulent et génèrent beaucoup de travail administratif. «On est facilement à une heure d'admin non rémunérée par jour», résume la psychologue.
Lina évoque également les formations postgrade nécessaires pour obtenir le titre, ainsi que des formations continues obligatoires, que les psychologues doivent payer de leur poche pour la plupart. «Il s'agit de frais dont on n'entend pas parler, mais qui font partie de la réalité de notre métier», avance-t-elle.
Les deux psychologues accusent les caisses maladie d'être déconnectées de la réalité psychique de la population. «Les études actuelles montrent clairement que les problématiques anxio-dépressives sont en augmentation, notamment chez les enfants et les adolescents», affirme Nathalie, qui se dit inquiète du pouvoir croissant des assurances.
«La demande explose, mais, parallèlement, les assureurs veulent réduire les ressources allouées aux professionnels de la santé», déplore-t-elle. «C'est incohérent».
«Les caisses maladie évoquent des chiffres qui ne nous parlent pas», abonde Lina. Nous sommes sur un autre niveau, avec la souffrance des gens, leur vécu».
La FSP assure que la sécurité des psychothérapeutes est sa priorité. Si Nathalie et Lina affirment se sentir soutenues par les associations de psychologues, elles aimeraient passer à autre chose. «Cela fait plus de deux ans qu'elles négocient avec les assurances et les autorités. On aimerait qu'elles puissent mettre ces ressources ailleurs», indique Nathalie. «Il y a d'autres sujets importants qui méritent d'être traités, comme le devenir des psychologues en formation continue».