La joie est palpable lorsque Ueli Leutert s'avance ce matin-là à Dübendorf (ZH) dans l'ancien hangar des Forces aériennes, qui abrite aujourd'hui le Musée de l'aviation. Lorsqu'il aperçoit les deux avions de combat Hunter, il sourit:
Il caresse brièvement de la main l'extrémité de l'aile de son ancien avion de combat.
Leutert a passé sa vie aux commandes d'un avion. Très tôt, il a voulu devenir pilote et a finalement réussi à intégrer l'escadron quinze des Forces aériennes, ainsi qu'à travailler chez Swissair. Lors de son service militaire, il volait encore à l'époque côte à côte avec des cuisiniers, des enseignants, des banquiers et d'autres pilotes de milice qui ne grimpaient dans le cockpit des avions à réaction que pour le cours de répétition.
L'atterrissage sur l'autoroute A1 près de Münsingen (BE) le 24 mars 1982 compte parmi ses moments les plus forts. Leutert se souvient:
Les pilotes se seraient beaucoup réjouis de cette journée. Puis le moment est venu: «J'ai fait voler mon Hunter sur l'autoroute et tout s'est déroulé comme sur des roulettes».
Aujourd'hui encore, 42 ans plus tard, Leutert garde un souvenir précis de ce jour. Chaque fois qu'il longe le tronçon d'autoroute en voiture, il repense à ce moment: «Ma famille a dû écouter l'histoire d'innombrables fois, comment papa a atterri là et a roulé avec le Hunter sur l'aire de repos». D'un point de vue aéronautique, l'atterrissage sur l'A1 ne représente pas un grand défi, explique Leutert. Seuls les ponts au-dessus de l'autoroute sont inhabituels:
Pendant que Leutert évoque ses souvenirs devant le Hawker Hunter, des enregistrements vidéo des atterrissages sur l'autoroute sont projetés sur un écran derrière l'avion. Un garçon demande à son père:
La question fait sourire le pilote Leutert: «Eh bien, quand j'ai atterri sur l'autoroute, la vignette n'existait même pas». Plus tard, certains pilotes auraient acheté une vignette autoroutière pour leur avion de chasse et l'auraient collée dans l'avion.
Leutert n'est pas le seul pilote à avoir décollé et atterri sur les autoroutes suisses. Ce jour-là, c'est justement son ancien camarade pilote, Heinz Wittwer, qui fait un tour au musée en tant que surveillant. Les retrouvailles des deux hommes sont rayonnantes: «Quelle coïncidence! A l'époque, nous volions tous les deux l'un derrière l'autre avec nos avions sur l'A1», raconte Wittwer, qui était enseignant et n'était assis dans le cockpit des avions que pendant son service militaire.
Autour d'un croissant, les deux hommes se souviennent de leur service. Leutert demande à Wittwer: «Tu ne t'étais pas arrêté boire un verre au restoroute à l'époque?» – «Non, non, pas moi. Jamais», répond Wittwer avec un sourire coquin.
Les deux pilotes attendent avec impatience ce mercredi, où des jets devraient décoller et atterrir sur l'autoroute pour la première fois depuis les années 1990.
Ce mercredi, l'armée suisse testera à nouveau des atterrissages et des décollages sur l'autoroute A1. Cette fois, c'est un tronçon d'autoroute près de Payerne (VD) qui sera testé comme aérodrome militaire de fortune.
Pour le chef du groupe de travail «Décentralisation» et chef de projet de l'exercice «Alpha Uno», le colonel d'état-major général Rolf Imoberdorf, le plus grand défi consiste à assurer le bon fonctionnement de la logistique – en effet, en l'espace de quelques heures, il faut transformer tout le tronçon d'autoroute en aérodrome.
De même, l'autoroute doit être rouverte à la circulation le plus rapidement possible après la fin de l'exercice.
L'exercice à venir sur l'autoroute est le résultat d'une nouvelle stratégie, en fait ancienne, de l'armée suisse. Dès 1970, des avions de combat ont atterri et décollé pour la première fois sur les autoroutes. Ces pistes improvisées devaient permettre, en cas de guerre, aux jets de décoller pour défendre la Suisse sans passer par les aérodromes réguliers.
La guerre en Ukraine a montré l'importance de la décentralisation de l'infrastructure. L'officier de carrière Imoberdorf explique:
L'exercice de Payerne sera la onzième fois que les avions utiliseront l'autoroute comme piste. En principe, ces missions étaient censées être secrètes, mais de nombreux curieux se sont rassemblés à chaque fois au bord de la route. Ce sera probablement aussi le cas à Payerne ce mercredi, explique Imoberdorf, qui précise que «les spectateurs pourront suivre la mission en direct à la télévision sur SRF1».
Les Forces aériennes continueront à s'entraîner à leur capacité de décentralisation à l'avenir, affirme Imoberdorf. Les détails ou les critères concernant d'éventuels autres sites temporaires ne seront pas publiés pour des raisons de confidentialité. D'autres tronçons d'autoroute pourraient éventuellement être utilisés par les forces aériennes.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci