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Le crash d'un F/A-18 révèle un grave problème de sécurité

Le crash d'un F/A-18 révèle un grave problème de sécurité

L'armée suisse a un problème de radar

Le système radar de l'armée n'est plus du tout à jour et sa modernisation a pris beaucoup de retard. C'est ce que révèle le procès du crash d'avion militaire dans les Alpes bernoises il y a neuf ans.
26.03.2025, 18:5626.03.2025, 18:56
Andreas Maurer / ch media
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Un contrôleur aérien de 34 ans est assis devant son système radar dans une pièce sombre de l'aérodrome militaire de Meiringen (BE). Il travaille avec un «quadradar» datant de l'époque de la guerre froide. Le contrôleur fixe un écran circulaire sur lequel apparaissent deux points. A chaque tour de cadran, les positions s'actualisent dans une représentation bidimensionnelle. Toutes les cinq secondes, les deux points avancent donc par à-coups.

Il s'agit de deux avions de combat F/A-18 qui ont décollé sur la piste 10 en direction de l'est. L'instructeur de vol décolle en premier, suivi de près par son élève. L'écart entre eux n'est que de quinze secondes. Les deux jets forment une patrouille. Objectif explicité lors du briefing de cet exercice aérien: monter dans les airs ensemble pour abattre un ennemi au-dessus du Sustenhorn.

Un radar désuet

L'un derrière l'autre, ils s'enfoncent dans une épaisse couche de nuages. Le deuxième avion couple donc son système radar avec le premier. Il peut ainsi le suivre, malgré le brouillard qui réduit la visibilité.

Cela ne fonctionnera en revanche que si les deux montent à peu près dans un même angle. Or, le premier décolle trop abruptement et le second trop à l'horizontale. La liaison radar s'interrompt. Les deux F/A-18 se suivent de près à travers les nuages, sans se voir.

Sur l'écran au sol, les deux points se rapprochent par saccades. Lorsqu'ils se rapprochent de plus de 1,6 miles, le système ne peut plus les distinguer précisément. Alors les points fusionnent.

Le pilote à l'arrière signale avoir perdu la liaison radar à la radio. Dans le jargon technique, on parle de «break lock». Le contrôleur aérien ne connaît ce problème qu'en théorie. Car c'est la première fois que cela se produit dans l'espace aérien helvétique.

Le radar Quadradar: l’outil utilisé par le contrôleur lors de l’accident. Il est aujourd’hui exposé au musée de l’aviation de Dübendorf.
Le Quadradar.Image: Andreas Maurer

Sur son écran, les deux petits points verts se rejoignent dangereusement. Mais c'est tout ce que le contrôleur peut voir. Contrairement à un radar moderne, le quadradar n'affiche:

  • Ni les altitudes de vol.
  • Ni les identifications des avions.
  • Ni les vitesses.
  • Ni les cartes.
  • Ni les itinéraires
  • Ni les points de navigation
  • Ni les références géographiques.
  • Ni les limites de l'espace aérien.
  • Ni même les altitudes minimales.

Pour éviter la collision, le contrôleur veut attribuer des altitudes de vol différentes aux deux avions. Lors du briefing avant le décollage, lui-même et les pilotes ont appris par cœur toute une série d'indications pertinentes. Dans ce cas-ci, l'altitude de vol sûre au-dessus des Alpes est de 4000 mètres. Ou Flight Level 150, en termes techniques.

«Shit, ça ne va pas du tout»

Le contrôleur avait probablement le bon chiffre en tête, mais il donne une autre information à la radio: Flight Level 100, soit 3000 mètres au-dessus du niveau de la mer. «Je me suis trompé», dira-t-il lors de sa première audition.

Il s'est apparemment rendu compte de son erreur peu après. «Shit, ça ne va pas du tout», aurait-il crié selon des témoins. Mais il ne peut plus atteindre le F/A-18 désorienté. Il a déjà ordonné au pilote de changer de fréquence et a confié la communication à «Batman», la centrale d'intervention de Dübendorf.

Depuis Meiringen, il se saisit du téléphone pour alerter «Batman». Pas moyen de l'atteindre directement. Il lui faut traverser toute une boucle d'appels. Il perd un temps précieux. Le contrôle aérien ne parvient toujours pas à atteindre le premier F/A-18.

Un problème de sécurité

Celui-ci fait un tour dans le ciel. Depuis le cockpit, le pilote voit une fumée noire s'élever au-dessus du Vorder Tierberg. C'est là que son collègue de 27 ans s'est écrasé. Il est mort sur le coup.

Quelques mois plus tard, les juges d'instruction reconnaissent un problème de sécurité au sein des forces aériennes, et écrivent une lettre au commandant. Ils critiquent le manque d'exhaustivité du radar. Selon eux, la représentation bidimensionnelle ne permet pas au contrôleur aérien de déterminer avec exactitude l'altitude des avions.

Comme mesure immédiate, les juges d'instruction proposent donc d'acquérir un radar de dernière génération - «notamment avec la possibilité de représenter les objets volants en 3D».

Baptisé Mals Plus, celui-ci était de toute façon prévu. Après l'accident, les autorités ont fait savoir qu'il serait introduit en priorité à Meiringen. Le problème semblait ainsi résolu.

L'ancien système remplacé, mais...

D'après nos informations, l'ancien radar de surveillance a bel et bien été désactivé. Il est désormais exposé au musée de l'aviation de Dübendorf. Toutefois, le nouveau système pour le décollage n'est toujours pas en service. Les contrôleurs au sol y voient donc moins clair aujourd'hui que le 29 août 2016, date de l'accident dans les montagnes. Interrogée, Skyguide confirme:

«Des essais ont montré que les exigences d'un système moderne sont techniquement difficiles à mettre en œuvre à Meiringen, notamment en raison des particularités de la topographie. Nous prévoyons toujours la mise en service d'un radar plus actuel dans les années à venir.»

Le Mals Plus se fait toujours désirer à Meiringen. Il s'agit d'une solution standard allemande qui, selon les tests, ne convient pas aux décollages dans les Alpes suisses. Elle n'est adaptée que pour les approches.

Pour l'autorité de la navigation aérienne, les contrôleurs «ne disposent effectivement plus d'un radar à balayage circulaire à Meiringen». Depuis fin 2018, plus aucun radar ne surveille donc le départ des avions de combat.

«Il n'y a pas d'autre filet de sécurité à disposition»

Après l'accident, les juges d'instruction avaient proposé une autre mesure d'urgence. Les contrôleurs aériens de Meiringen devaient obtenir des liaisons directes avec les responsables de Dübendorf. Mais là non plus, rien n'a bougé.

L'armée a certes remplacé le système de communication. Mais elle n'a pas mis en place de liaisons directes entre les différents sites de travail. Elle a envisagé de telles améliorations, avant de finalement les rejeter. Au motif qu'elle n'aurait pas trouvé de solution technique adéquate.

Guerre en Europe et regain d'importance

Lorsque la justice a formulé ses exigences, la Russie occupait déjà la Crimée. Mais avec l'invasion de l'Ukraine en février 2022, la situation sécuritaire a radicalement changé.

Les forces aériennes suisses sont soudainement revenues sur le devant de la scène. Meiringen représente un aérodrome militaire important pour le pays. Notamment parce qu'il sert de deuxième site d'engagement pour la sécurité du Forum économique mondial de Davos. Il s'agit d'un engagement sérieux, au cours duquel les avions sont armés.

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Un F/A-18 décolle, le mercredi 5 juin 2024, sur l'A1 à Payerne.Keystone

L'accident de 2016 montre qu'un lapsus peut conduire à un drame. Le contrôleur a certes revu son argumentation devant le tribunal. Il a dit avoir délibérément indiqué l'altitude parce qu'il cherchait avant tout à séparer les avions. Il affirme ne pas être responsable des crashs au sol. Avec le recul, cette version semble correcte. Les autorités ont en effet adapté les procédures après l'accident.

Mais cela n’a pas aidé le contrôleur. Le tribunal militaire a qualifié ses nouvelles déclarations de prétextes et l’a condamné pour homicide par négligence à une amende. Les outils de travail obsolètes n’ont été considérés que comme circonstances atténuantes. Le pilote survivant, quant à lui, a été acquitté.

Skyguide et le syndicat soutiennent le pilote

Ce jeudi s’ouvre le procès en appel devant la seconde instance, le tribunal militaire d’appel, qui siégera à Aarau. La justice militaire est compétente, car le pilote est membre de l’armée et le contrôleur agit pour son compte.

Le procureur demande un jugement plus sévère. En première instance, il avait requis des peines de prison: douze mois avec sursis pour le contrôleur aérien et neuf mois avec sursis pour le pilote.

Le contrôleur continue à se battre pour être acquitté. La condamnation en première instance a certes été relativement clémente pour l'homme âgé aujourd'hui de 42 ans. Mais il a dû faire une croix - provisoirement au moins - sur sa carrière. Depuis l'accident, il ne se sent plus en mesure d'accompagner à distance des avions dans le ciel suisse.

Skyguide continue certes de le soutenir. Il ne travaille plus dans une tour, mais en tant que formateur à la Skyguide Academy. Il peut ainsi transmettre comment mieux agir à la prochaine génération de professionnels.

De son côté, le syndicat Helvetica défend aussi encore son collègue: «par sa collaboration à l'enquête technique sur l'accident, il a apporté une contribution essentielle à l'amélioration de la sécurité. Nous l'en remercions».

(Traduit et adapté de l'allemand par Valentine Zenker)

Vidéo: watson
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