Les catastrophes ont l'art de se rappeler à nous. Lundi, 300 habitants ont été évacués de Blatten de façon préventive. La montagne menace, encore et toujours, d'avaler le village sous des tonnes de rochers.
Lucia Bevere, une analyste de données expérimentée qui gère les statistiques mondiales sur les catastrophes naturelles pour le groupe Swiss Re est catégorique:
En 2024, les pertes économiques de telles catastrophes s'élevaient à 320 milliards de dollars. La valeur des dommages assurés a dépassé la barre des 100 milliards de dollars pour la cinquième année consécutive.
En Europe, 2024 a été la deuxième pire année en matière de coûts générés par des catastrophes naturelles. Cela est notamment dû à «Boris», la tempête qui a inondé une grande partie de l'Autriche et de l'Europe centrale en septembre dernier. L'augmentation de la violence et de la fréquence des catastrophes naturelles est clairement due au changement climatique. Mais c'est surtout l'urbanisation intensive des zones à risque qui est responsable des immenses dommages monétaires qui en découlent.
Ce n'est donc pas surprenant que les pays industrialisés les plus riches figurent en bonne place dans la liste Swiss Re des pays présentant le plus grand potentiel de dommages économiques dus aux catastrophes naturelles. Les Etats-Unis sont en 2e position, l'Autriche en 4e, la Suisse en 9e et l'Allemagne en 14e. Les inondations et les orages sont les risques naturels les plus importants en Allemagne, en Autriche et en Suisse (voir tableau 👇), et «ils vont continuer à s'intensifier», prédit Lucia Bevere.
Malgré cela, peu de pays européens ont une couverture d'assurance presque complète contre les principaux risques naturels qui augmentent avec le changement climatique. Les pays comme la Suisse et la France constituent donc l'exception plutôt que la règle.
Cela est surprenant, car les risques naturels, tels que les inondations et les orages, répondent en fait parfaitement aux critères d'assurabilité. Ces catastrophes se produisent de manière aléatoire, mais dans des régions spécifiques. Les données sur la répartition des risques sont si bonnes qu'il est possible de calculer de manière relativement fiable des primes adaptées aux risques. Mais l'assurance des risques naturels peut rapidement devenir très coûteuse, notamment dans les régions exposées, mais aussi en dehors de celles-ci.
Un rapport national de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a constaté l'année dernière ce que l'on sait en fait depuis longtemps dans tous les pays alpins: de grandes parties de la population vivent dans des régions qui sont touchées par des inondations à intervalles assez réguliers d'une dizaine d'années.
Selon l'OCDE, un quart de la population autrichienne et suisse vit dans une région à risque, en Allemagne, cela concerne 20% des habitants. Et ces proportions ne font qu'augmenter. La prévention est certes efficace pour endiguer les importants dommages économiques causés par les inondations catastrophiques, mais l'expérience montre que la prévention seule est loin d'être suffisante.
Selon l'OCDE, une couverture d'assurance complète est indispensable. Pourtant, seuls 5% des ménages autrichiens ont une assurance inondation complète, contre 40% en Allemagne et les 100% mentionnés en Suisse et en France. Les aides publiques en cas de catastrophe ne couvrent, quant à elles, qu'une partie relativement faible des dommages.
En Autriche, les aides publiques couvrent maximum 50% des coûts. En Allemagne, quatre ans après la grande inondation de l'Ahr, qui avait coûté la vie à 135 personnes dans l'ouest du pays, dans la région de Rhénanie-Palatinat, de nombreuses personnes touchées attendent toujours l'aide promise par le gouvernement. Sur les 30 milliards d'euros d'aide aux inondations promis par l'Etat fédéral et les Länder, seuls 3,3 milliards d'euros ont été versés fin 2023.
Malgré la catastrophe, le taux d'assurance pour les dommages causés par les inondations en Rhénanie-Palatinat n'est toujours que d'environ 50%. «Une augmentation significative de la densité d'assurance ne peut manifestement pas être obtenue sur une base volontaire», avait constaté avec désillusion l'association de protection des consommateurs de Rhénanie-Palatinat il y a un an.
De nombreux ménages domiciliés dans des zones à risque s'attendent à une aide étatique en cas de catastrophe et s'épargnent les primes d'assurance qu'ils devraient payer pour couvrir les risques d'inondation. Toujours est-il que la demande des défenseurs des consommateurs de renoncer à la «politique des bottes de pluie» a entre-temps été intégrée dans le contrat de coalition du nouveau gouvernement allemand.
Il n'est toutefois pas question d'une assurance obligatoire. Il s'agit plutôt d'examiner si les compagnies d'assurance peuvent être obligées de ne proposer que des polices d'assurance bâtiment avec une couverture contre les inondations, tout en laissant la possibilité au preneur d'assurance de refuser au cas par de rembourser les coûts contre les inondations.
En apparence, le modèle de l'opting-out (possibilité de renonciation) est justifié entre autres par des réserves de droit constitutionnel contre une assurance obligatoire, explique Antje Kullrich, journaliste spécialisée et conseillère en communication allemande de longue date. Mais en réalité, le secteur de l'assurance aurait peur d'une assurance obligatoire assortie de conditions imposées par l'État, qui pourrait les contraindre à souscrire des affaires non rentables.
Des raisons similaires font que la résolution de la question des assurances n'avance pas non plus en Autriche. Une plus grande solidarité serait la solution. Mais elle n'est pas si facile à mettre en œuvre.
Le patron de la Bâloise, Michael Müller, nous avait décrit le problème en octobre dernier:
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci