Suisse
Chômage

La Suisse entre chômage et pénurie de main-d'œuvre qualifiée

Le chômage baisse en Suisse, mais il y a un problème

Les derniers chiffres du chômage dépeignent une situation mitigée, alors que les annonces de suppressions de postes se multiplient en Suisse. Quel rapport avec la conjoncture – et qu'en est-il de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée? Eclairage.
07.06.2024, 16:53
Lara Knuchel
Lara Knuchel
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Le nombre de chômeurs en Suisse a certes de nouveau légèrement baissé en mai, mais seulement par rapport au mois précédent. Concrètement, 105 465 personnes étaient inscrites au chômage fin mai, a indiqué, jeudi, le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco). Cela représente 1492 chômeurs de moins qu'en avril. Le taux se maintient ainsi à 2,3%. Il avait continuellement baissé au cours des mois précédents depuis janvier.

Hausse partielle

Au départ, les chiffres ont certes de quoi réjouir. Et ils contrastent peut-être avec la multiplication des annonces de suppressions d'emplois et de fermetures - Migros, Novartis, UBS, le fabricant de chocolat Barry Callebaut ou, plus récemment, La Poste. (Bien que cette dernière a promis le maintien des emplois malgré la disparition d'environ 600 bureaux de poste).

Mais à y regarder de plus près:

«La baisse du nombre de chômeurs a de nouveau été moins forte que d'habitude à cette période de l'année»
Boris Zürcher, chef de la direction du travail au Seco

En conséquence, le taux de chômage corrigé des variations saisonnières a de nouveau augmenté. Dans l'ensemble, cela s'est produit un peu plus tôt que prévu, analyse le spécialiste.

D'habitude, le chômage baisse nettement au printemps, car la météo permet une intensification des activités dans le secteur du bâtiment et parce que les affaires reprennent progressivement dans le tourisme après l'intersaison. Mais des effets macroéconomiques se superposent cette fois à la saisonnalité habituelle. Cela signifie que, selon les calculs du Seco, le nombre de chômeurs a connu une hausse de 2201 personnes en mai, après correction des variations. Le taux de chômage «net» est ainsi passé de 2,3 à 2,4%.

L'ampleur de la hausse a certes surpris le collaborateur du Seco. Mais elle suit la tendance actuelle:

«Depuis plus d'un an, le taux corrigé des variations saisonnières prend l'ascenseur»

A titre de comparaison, il y a un an, le nombre de chômeurs s'élevait à 92 000 contre près de 109 000 aujourd'hui. Comme le montre les données statistiques, la hausse du mois de mai a été supérieure à la moyenne.

En effet, la situation sur le marché du travail s'est légèrement détériorée depuis environ six mois. Il faut toutefois prendre en compte qu'elle s'est dégradée, ou plutôt normalisée, alors qu'elle était excellente jusque-là.

L'industrie à la peine

«Le marché du travail se porte toujours très bien, mais moins bien qu'un an auparavant», nuance Michael Siegenthaler, expert de la question au Centre de recherches conjoncturelles de l'EPFZ (KOF). Pourquoi en est-il ainsi?

«Dans l'industrie, le commerce de gros et les secteurs tournés vers l'exportation, il y a moins d'optimisme au sein des entreprises. L'économie mondiale a déjà sensiblement ralenti en 2023 et ces entreprises le ressentent».

Plusieurs indicateurs du secteur montrent une stagnation depuis longtemps en Suisse: l'indice des directeurs d'achat (PMI) pour l'industrie se situait en mai à 46,4 points et restait ainsi pour le 17ᵉ mois consécutif en dessous du seuil de croissance de 50 points. La dernière fois qu'il avait dépassé ce seuil, c'était en décembre 2022. Mais le secteur des services reste lui aussi globalement juste en dessous de la tendance à long terme.

Michael Siegenthaler
Michael Siegenthaler, expert du marché du travail au Centre de recherches conjoncturelles de l'EPFZ.Image: zvg

Cet assombrissement du marché dans certaines branches conduit parfois à des consolidations et donc à des suppressions de postes, explique Michael Siegenthaler:

«Là, c'est surtout la faiblesse de la conjoncture internationale qui joue un rôle, notamment en Europe. Des partenaires commerciaux importants comme l'Allemagne stagnent ou connaissent même une petite récession. Les acteurs qui travaillent beaucoup avec ce pays le ressentent aujourd'hui très fortement».

Le refroidissement après la surchauffe

Malgré tout, cette évolution ne doit pas faire oublier le caractère historique de la reprise économique après la pandémie. «L'effet de rattrapage s'est produit simultanément dans tous les secteurs, ce qui était unique», rappelle Michael Siegenthaler. Cela n'arriverait pas après des crises économiques normales. La conjoncture favorable a alors pris des allures de boom, beaucoup parlent même d'une certaine surchauffe:

«Il y a eu une conjonction de facteurs, les entreprises étaient peut-être même un peu trop optimistes...»

Et ça s'est également répercuté sur le marché du travail. Environ 170 000 nouveaux emplois à temps plein ont été créés au cours des trois dernières années. «Cela correspond à peu près à la population de la ville de Berne. Ce rythme est très intense, même pour le marché du travail suisse, qui se caractérise par une croissance élevée et constante des emplois depuis environ 25 ans», explique l'expert.

La pénurie de main-d'œuvre qualifiée persiste

Outre le vieillissement progressif et le départ à la retraite de la génération des «baby-boomers», c'est cette évolution qui a encore renforcé la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée:

«Presque tous les secteurs ont cherché en même temps à recruter»
Michael Siegenthaler

Un chômage léger, mais en hausse constante ces derniers temps, et une pénurie de main-d'œuvre qualifiée - y a-t-il un «mismatch» en plein développement sur le marché du travail? Faut-il y voir un fossé entre ce que les travailleurs peuvent apporter et ce que les entreprises recherchent? L'Office fédéral de la statistique n'a pas encore publié les derniers chiffres à ce sujet. Il n'empêche: «On l'observe déjà dans d'autres pays: la fluctuation a parfois très fortement augmenté».

En Suisse, on observe actuellement une sorte d'«économie à deux vitesses», a également déclaré Boris Zürcher du Seco en réaction aux derniers chiffres publiés récemment.

Concrètement, les secteurs de la construction, de l'hôtellerie-restauration, du commerce de gros, du commerce de détail et de l'industrie ne se portent actuellement pas très bien.

«D'un autre côté, nous avons des branches comme la santé, l'informatique, les services de conseil, c'est-à-dire des services classiques qui exigent des compétences poussées, se portent particulièrement bien. Au cours des six derniers mois, les différences ont été très importantes.»

Malgré une légère augmentation du nombre de chômeurs par rapport à l'année précédente, la pénurie de main-d'œuvre qualifiée ne va donc en aucun cas disparaître. Siegenthaler tient toutefois à préciser:

«Il faut aussi dire que le manque de main-d'œuvre qualifiée est en fait une bonne chose. Le contraire se traduirait par un manque de travail, ce qui serait un énorme problème. Certains pays ou régions sont confrontés à un taux de chômage élevé. Cette pénurie est un bon signe à bien des égards - un problème de riches»

Pour Boris Zürcher du Seco, l'évolution du nombre de chômeurs de longue durée est également une preuve de la bonne santé du marché du travail: leur proportion par rapport à l'ensemble des chômeurs reste extrêmement faible, avec environ 12%. «Cela signifie par exemple qu'en cas de changement, il est difficile de retrouver le même emploi ou qu'il y a un petit temps d'attente», explique-t-il. «Mais ce n'est pas comme si le chômage s'était fortement durci et devenait ainsi un problème structurel».

Avec du matériel des agences Keystone-ATS et AWP.
(Adaptation française: Valentine Zenker)​

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