Gouverner par la force, on y prend rapidement goût. Au pays de la démocratie helvétique, pourtant, les consultations ennuyeuses et autres tables rondes font partie de la création d'un consensus. Même s'il peut être tentant de vouloir parfois tout accélérer par décret, pour aller plus vite ou par intérêt.
Le Conseil fédéral y a manifestement pris goût. Il recourt de plus en plus aux mesures d'urgence et à la gouvernance par ordonnance, récemment lors du sauvetage de l'entreprise électrique Axpo ou lors de la crise du Covid.
Dans le cas du mariage forcé entre UBS et Credit Suisse (CS), le gouvernement a encore affiné sa méthode pour gouverner par ordonnance. Si lors de la pandémie, le Conseil fédéral était scruté de toutes parts et avait peu de marges de manœuvre pour remplir ses tâches hors du contrôle des citoyens, pour le rachat d'UBS par Credit Suisse, il ne s'est pas gêné.
Car dans la foulée du sauvetage de Credit Suisse, tout médiatisé qu'il fut, le Conseil fédéral a discrètement annoté — purement et simplement — que l'utilisation de la loi sur la transparence ne pouvait pas être invoquée.
Certes. Et la suite:
La justification de cette exception est fournie par le Conseil fédéral dans son commentaire sur l'utilisation de l'ordonnance:
Traduction: les banques en question et la Confédération ont considéré que la situation aurait été trop critique si l'ordonnance du rachat de CS par UBS n'était pas possible. Le commentaire précise:
Le Conseil fédéral ne semble pas tout à fait à l'aise avec cette approche restrictive. Il reconnaît quelques lignes plus loin que:
«Le présent article n’empêche pas cette transparence, qui est assurée d’une autre manière, par la publication appropriée des principaux résultats, indicateurs et conditions-cadres», est-il indiqué.
Contacté, le Département fédéral des finances (DFF) explique ce que cela signifie dans la pratique: il renvoie à la conférence de presse de dimanche et à un document contenant les principales questions et réponses. Il indique qu'il s'efforce d'informer le public au mieux sur la situation.
En d'autres termes, la Confédération a décidé de son propre chef ce qu'elle voulait communiquer ou non sur le déroulement de la reprise et comment elle veut le faire. «Le fait que l'accès aux documents publics soit annulé par la justification de mesures d'urgence est inquiétant», déclare Martin Stoll, directeur de l'association loitransparence.ch.
Selon lui, s'il est légitime que les secrets d'affaires soient protégés, la loi sur la transparence en tient déjà suffisamment compte. Refuser purement et simplement la publication de tous les documents relatifs au complexe dossier du CS, en vertu des mesures d'urgence n'est toutefois, pour lui, pas défendable du point de vue de l'exécution de la politique nationale.
Avec cette clause d'exclusion, le Conseil fédéral fait le contraire: «Il alimente les indiscrétions et les spéculations au lieu de donner accès aux faits», explique Martin Stoll.
Récemment, le Financial times a retracé minutieusement le drame du CS à l'aide de sources internes. Tandis que la Confédération préparait le rachat en grande pompe, des initiés ont veillé à améliorer leur position de négociation par des fuites ciblées dans la presse anglo-saxonne.
Le public est en reste: en raison de la clause du droit d'urgence, ces événements ne peuvent pas être éclairés par des documents officiels. En réponse à une demande d'accès de ce journal, le DFF de Karin Keller-Sutter a fait référence à cette exception.
Adrian Lobsiger, le préposé fédéral à la protection des données, n'a pas été impliqué dans l'élaboration de l'ordonnance et ne peut donc pas prendre position sur le cas concret. Il s'est toutefois déjà exprimé par le passé de manière critique sur de telles dispositions spéciales qui limitent l'accès aux documents, écrit sa porte-parole. Et il n'est pas tendre:
Les cachotteries du gouvernement pourraient faire l'objet d'une session spéciale du Parlement. Les conseillers nationaux et aux Etats se réuniront en avril pour se pencher sur la chute de Credit Suisse. La conseillère nationale socialiste thurgovienne Edith Graf-Litscher a déjà critiqué le Conseil fédéral: