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Le Conseil fédéral nous cache des choses sur Credit Suisse

Alain Berset - Karin Keller-Sutter - Credit Suisse
Le Conseil fédéral commence à prendre ses aises avec l'utilisation des ordonnances pour mesures d'urgence...keystone (montage watson)

Le Conseil fédéral nous cache des choses sur Credit Suisse

Lors du rachat de Credit Suisse par UBS, une petite subtilité administrative a fait toute la différence: un paragraphe de l'ordonnance empêche l'accès aux dossiers importants via la loi sur la transparence. Le Conseil fédéral a-t-il pris goût à la gouvernance par mesures d'urgence? La tendance est inquiétante.
25.03.2023, 08:5525.03.2023, 12:19
Pascal Michel / ch media
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Gouverner par la force, on y prend rapidement goût. Au pays de la démocratie helvétique, pourtant, les consultations ennuyeuses et autres tables rondes font partie de la création d'un consensus. Même s'il peut être tentant de vouloir parfois tout accélérer par décret, pour aller plus vite ou par intérêt.

Le Conseil fédéral y a manifestement pris goût. Il recourt de plus en plus aux mesures d'urgence et à la gouvernance par ordonnance, récemment lors du sauvetage de l'entreprise électrique Axpo ou lors de la crise du Covid.

Dans le cas du mariage forcé entre UBS et Credit Suisse (CS), le gouvernement a encore affiné sa méthode pour gouverner par ordonnance. Si lors de la pandémie, le Conseil fédéral était scruté de toutes parts et avait peu de marges de manœuvre pour remplir ses tâches hors du contrôle des citoyens, pour le rachat d'UBS par Credit Suisse, il ne s'est pas gêné.

«Accès aux informations exclu»

Car dans la foulée du sauvetage de Credit Suisse, tout médiatisé qu'il fut, le Conseil fédéral a discrètement annoté — purement et simplement — que l'utilisation de la loi sur la transparence ne pouvait pas être invoquée.

«Le DFF, la Finma et la Banque nationale échangent les informations non rendues publiques qui sont nécessaires notamment à l’octroi, à l’administration, à la surveillance et au traitement des prêts d’aide sous forme de liquidités et des garanties du risque de défaillance.»
Ordonnance du Conseil fédéral du 16 mars 2023admin.ch

Certes. Et la suite:

«L’accès à ces informations et à ces données en vertu de la loi du 17 décembre 2004 sur la transparence est exclu»
Ordonnance du Conseil fédéral du 16 mars 2023admin.ch

Le Conseil fédéral détermine ce qui est rendu public

La justification de cette exception est fournie par le Conseil fédéral dans son commentaire sur l'utilisation de l'ordonnance:

«Compte tenu de la sensibilité avérée de ces données et informations et à des fins de clarté juridique, l’ordonnance limite le champ d’application matériel de la LTrans. (...) Cela constitue une disposition spéciale (...)»
Commentaire du Conseil fédéral sur l'ordonnance du 16 marsadmin.ch

Traduction: les banques en question et la Confédération ont considéré que la situation aurait été trop critique si l'ordonnance du rachat de CS par UBS n'était pas possible. Le commentaire précise:

«Si la banque d'importance systémique doit craindre que les unités administratives doivent autoriser l’accès aux informations et documents mis à disposition, il peut arriver que les informations requises ne soient pas fournies ou (...) avec beaucoup de retard.»
Commentaire du Conseil fédéral sur l'ordonnance du 16 marsadmin.ch

Le Conseil fédéral ne semble pas tout à fait à l'aise avec cette approche restrictive. Il reconnaît quelques lignes plus loin que:

«Il est toutefois indéniable que la transparence concernant l’action de l’Etat est importante et nécessaire»
Commentaire du Conseil fédéral sur l'ordonnance du 16 marsadmin.ch

«Le présent article n’empêche pas cette transparence, qui est assurée d’une autre manière, par la publication appropriée des principaux résultats, indicateurs et conditions-cadres», est-il indiqué.

Un réflexe inquiétant

Contacté, le Département fédéral des finances (DFF) explique ce que cela signifie dans la pratique: il renvoie à la conférence de presse de dimanche et à un document contenant les principales questions et réponses. Il indique qu'il s'efforce d'informer le public au mieux sur la situation.

En d'autres termes, la Confédération a décidé de son propre chef ce qu'elle voulait communiquer ou non sur le déroulement de la reprise et comment elle veut le faire. «Le fait que l'accès aux documents publics soit annulé par la justification de mesures d'urgence est inquiétant», déclare Martin Stoll, directeur de l'association loitransparence.ch.

Selon lui, s'il est légitime que les secrets d'affaires soient protégés, la loi sur la transparence en tient déjà suffisamment compte. Refuser purement et simplement la publication de tous les documents relatifs au complexe dossier du CS, en vertu des mesures d'urgence n'est toutefois, pour lui, pas défendable du point de vue de l'exécution de la politique nationale.

«Plus la décision a une portée importante, plus la transparence doit justement être la plus complète possible»
Martin Stoll

Avec cette clause d'exclusion, le Conseil fédéral fait le contraire: «Il alimente les indiscrétions et les spéculations au lieu de donner accès aux faits», explique Martin Stoll.

La loi sur la transparence était prévue pour un tel cas

Récemment, le Financial times a retracé minutieusement le drame du CS à l'aide de sources internes. Tandis que la Confédération préparait le rachat en grande pompe, des initiés ont veillé à améliorer leur position de négociation par des fuites ciblées dans la presse anglo-saxonne.

Le public est en reste: en raison de la clause du droit d'urgence, ces événements ne peuvent pas être éclairés par des documents officiels. En réponse à une demande d'accès de ce journal, le DFF de Karin Keller-Sutter a fait référence à cette exception.

Adrian Lobsiger, le préposé fédéral à la protection des données, n'a pas été impliqué dans l'élaboration de l'ordonnance et ne peut donc pas prendre position sur le cas concret. Il s'est toutefois déjà exprimé par le passé de manière critique sur de telles dispositions spéciales qui limitent l'accès aux documents, écrit sa porte-parole. Et il n'est pas tendre:

«Ce procédé conduit à un affaiblissement du principe de transparence, voulu précisément par loi qui porte son nom»
Adrian Lobsiger, préposé fédéral à la protection des données

Les cachotteries du gouvernement pourraient faire l'objet d'une session spéciale du Parlement. Les conseillers nationaux et aux Etats se réuniront en avril pour se pencher sur la chute de Credit Suisse. La conseillère nationale socialiste thurgovienne Edith Graf-Litscher a déjà critiqué le Conseil fédéral:

«La chute du CS, avec ses conséquences économiques massives, est d'intérêt public. Le public a droit à la transparence dans le traitement de l'affaire»
Edith Graf-Litscher, conseillère nationale (TG/PS)
Ce taureau court au milieu d'une banque et provoque le chaos
Video: watson
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